Inquiétante Allemagne

Depuis la découverte d’un mouvement extrémiste, au début du mois de novembre, le spectre du nazisme ressurgit en Allemagne. Qui sont ces groupuscules d’extrême droite et quelle est leur influence aujourd’hui ?

Les preuves de la montée de l’extrêmedroite en Allemagne sont de plus en plus visibles. Selon l’office fédéral ducrime (BKA), le nombre de personnes susceptibles de perpétrer des violencesd’extrême droite en Allemagne a doublé au cours de la dernière décennie pouratteindre aujourd’hui 9 000 individus. Et la découverte du groupuscule néonaziresponsable du meurtre de dix personnes au cours de ces dix dernières annéesn’est que le dernier exemple en date de cette inquiétante montée en puissance.

“Les mouvements néonazis ont augmenté en Allemagne”, analyse Stéphane François,politologue français spécialiste des droites radicales. “Il y a un lien trèsnet avec les ravages de la mondialisation. De façon générale, les périodes decrise, et les situations de détresse sociale qui en découlent, comme que l’on connaîtactuellement, favorisent le repli et les discours identitaires, en particulierdans la dérive radicale de certains groupuscules”, affirmet- il. Le contexte decrise actuelle est donc propice à la montée de l’extrême droite : la peur del’avenir entraîne la peur de l’autre, la volonté de revenir à une “sociétéfermée”, selon l’expression de Karl Popper, philosophe autrichien.
Si les analystes considèrent que le nazisme a disparu avec la chute du IIIeReich, ils estiment que l’extrême droite actuelle reprend les principesfondamentaux de l’idéologie hitlérienne : antisémitisme, homophobie et notionde supériorité de la race blanche, le tout enrobé dans un discoursultra-violent et connu sous le terme de néonazisme.
“Socialisme de ressentiment”

Selon l’Office fédéral pour la protection de laConstitution en Allemagne, le néonazisme est en plein essor et regroupe un axefort : l’affiliation ethnique et la xénophobie, dirigée contre les principesd’égalités, haïs par les militants extrémistes. Mais comment expliquer larésurgence de telles idées en Allemagne, pays de la Shoah ? Stéphane Françoisanalyse : “Il y a plusieurs raisons, comme la réapparition dès l’après-guerrede formations nazies, devenue ‘néo’. En outre il y a toujours eu desnostalgiques du régime national-socialiste, ainsi que ceux qui ont une visionraciale du monde qui continuera de se manifester par le racisme etl’antisémitisme”.

Des idées qui n’ont en réalité jamais disparu du paysage politique allemandmais qui, à l’occasion de tragiques faits divers, refont surface au sein d’unesociété qui n’a jamais vraiment réussi à éradiquer la haine de l’autre : “lenazisme n’a pas été combattu partout de la même façon”, explique lepolitologue. “Dans certains pays, comme les Etats-Unis, il a été très peupourchassé au nom de la liberté d’expression. Et je ne parle même pas desgroupes existants en Amérique latine, ou des nazis réfugiés dans différentspays du Proche Orient, qui ont réussi à passer entre les mailles du filet de ladénazification”, poursuit-il. Dans nos sociétés modernes, et sous l’effet de lacrise, la peur de l’autre, créatrice de haine, n’a jamais autant touché lesclasses populaires appauvries par le système mondial. A chaque fois que la roueéconomique tourne, les idées néonazies font un retour en force dans les couchespopulaires allemandes et européennes.
“Il s’agit d’une idéologie du ressentiment, qui n’existe que par la volonté dese créer un bouc émissaire : les Juifs dans l’Allemagne des années 1930, lespopulations de couleurs à partir des années 1970, en plus des Juifs”, rappelleStéphane François.
Le néonazi devient ainsi un homme violent qui n’existe que dans l’affrontementà l’autre. Face à la déroute sociale et au manque d’écoute des politiques, lesplus défavorisés se réfugient dans la peur et la haine de l’autre. Ce queStéphane François qualifie de “socialisme de ressentiment”.
Une nouvelle lutte des classes mais placée sous des considérations “raciales”et non plus “sociales”.
La vraie menace : le NPD

La cible du discours néonazi a également évolué. Si lapeur de l’autre reste, le bouc émissaire change. “Certains groupuscules/ partisextrémistes de droite ont abandonné l’antisémitisme, du moins officiellement,de façon stratégique, pour le remplacer par une haine des Musulmans, surfantainsi sur la peur des islamistes, qui, en tant qu’expression d’une vision dumonde intolérante, sont à combattre”, rappelle Stéphane François. Aujourd’hui àcôté de slogans tels que “Mort au Youpins”, se lisent également “Mort auxnégros”, “Mort aux Arabes”, ou encore “Mort aux bougnoules”.

Mais si l’idée de haine de l’autre regroupe les militants extrémistes, lemouvement néonazi n’est pas uniforme. “La stratégie de ces groupes relève del’amateurisme et de la pulsion”, explique le politologue français. “Il n’y apas comme l’ont suggéré des articles allemands de “Brigades Brunes” calquéessur les Brigades Rouges des années 1970. Il s’agit, simplement, mais c’est déjàbeaucoup, de passages à l’acte très violents d’individus et non de groupes”,tient-il à rappeler.
Un constat approuvé par l’Office fédéral pour la protection de la Constitutionen Allemagne. Dans un rapport, l’institution estime que “les mouvementsnéonazis ne sont pas homogènes et apparaissent sous des formes très diverses.
Si certains groupes s’avèrent être négationnistes sans idéologie politique,d’autre appellent à un Etat totalitaire”.
Les passages à l’acte restent encore individuels sans organisation réelle d’unemouvance néonazie qui reste peu influente en Allemagne. Seule “menace”politique : le NPD, Parti National Démocrate, très proche de l’idéologienéonazie. Nombreux sont ceux qui considèrent ce parti comme le socle desactivistes d’extrême droite et appellent donc à son interdiction. Mais ce vieuxparti, né en 1964, a jusqu’à présent toujours réussi à exister.
Différentes institutions allemandes ont tenté de l’interdire en vain : ladécision a été rejetée en 2002 par la Cour constitutionnelle allemande. Enattendant, l’Allemagne fait son possible pour lutter contre une idéologie qui aconduit au plus tragique génocide du XXe siècle. Depuis 1992, plus de 24organisations d’extrême droite ont été interdites par le ministère fédéral del’Intérieur et des associations comme “Exit Deutschland” tentent desensibiliser les extrémistes et de les “libérer” des idéologies de haine raciale.Un combat difficile mais nécessaire en ces temps de crise où la peur del’avenir et la peur de l’autre n’ont jamais été aussi présent.