Israël-Allemagne : vers des noces de diamant ?

Soixante ans de relations diplomatiques et économiques unissent l’Allemagne à Israël.Des liens prolifiques pour l’Etat hébreu bien décidé à les préserver. Bilan

Bibi - Merkel  (photo credit: Reuters)
Bibi - Merkel
(photo credit: Reuters)
Le 1er novembre dernier,l’Allemagne faisait partie des 14 Etats (dont 5 européens) à voter contrel’admission de l’Autorité palestinienne à l’UNESCO. Une décision qui marque unenouvelle borne dans son histoire commune avec Israël. Entre les deux pays, lepartenariat stratégique est en plein renouveau, sous le leadership d’AngelaMerkel.
Le pari était pourtant loin d’être gagné : en mars 2008 encore, lors de lavenue de la chancelière allemande en Israël, la polémique avait fait rage surl’utilisation de la langue de Goethe dans un discours à la Knesset.
“Les derniers mots que ma famille a entendus étaient en allemand, et c’étaitl’ordre de les abattre”, avait alors déclaré Aryeh Eldad, député de l’Unionnationale, reprenant à son compte des mots du poète Ouri Zvi Greenberg. Etplusieurs parlementaires, dont l’actuelle présidente du parti travaillisteShelly Yachimovitch, avaient même quitté la salle.
Pourtant, paradoxalement, l’héritage de la Shoah a rapidement noué un lienentre les deux pays. Si les relations diplomatiques formelles n’ont étéétablies qu’en 1965, un “accord sur les réparations” était signé dès 1952. Letexte formait le cadre des dédommagements payés par l’Allemagne aux victimes dela Shoah, qui s’élèvent aujourd’hui à 125 milliards de shekels, soit 25milliards d’euros, versés principalement à destination de l’Etat d’Israël ou decitoyens israéliens.
Mais tout le monde n’était pas favorable à cette précoce relation. Aux yeux dugouvernement américain, de trop sanctions imposées à l’Allemagne risquaient de la faire replonger dans lecercle vicieux de l’entre-deux-guerres.
De son côté, une large part de la société israélienne, représentéepolitiquement par tous les partis, du Herout de Begin à de nombreux élus degauche, et jusqu’aux communistes du Mapam, s’opposait à un tel “pacte avec lediable”. Accepter une compensation financière allemande revenait à pardonner lerégime nazi de ses crimes.
Il semble donc, d’après certains historiens tels que George Lavy, quel’impulsion soit essentiellement le résultat de la volonté commune d’Adenaueret de Ben Gourion. Les deux dirigeants ont poursuivi leurs efforts et établi,cinq ans plus tard, les premiers liens militaires entre les deux pays. Pourpreuve : des livraisons d’armes stratégiques allemandes, longtemps tenuessecrètes du fait d’une loi allemande qui interdisait de telles opérations, enraison de sa dépendance aux exportations énergétiques arabes.
La bonne santé des échanges économiques
Cette coopération dans le secteur de ladéfense se poursuit jusqu’aujourd’hui. En point d’orgue : la construction detrois sous-marins Dauphin nouvelle génération, financés à 50 % par en 2000. Maiselle a dépassé rapidement les simples échanges pour permettre la mise en placed’opérations communes entre les agences de renseignements des deux pays, et ce,depuis le drame de la prise d’otages lors des Jeux olympiques de en 1972.
La collaboration établie fait d’Israël un partenaire particulièrement importantde l’Allemagne, comparé à l’implication de au sein de l’OTAN, souligne YvesPallade.
Sur un plan économique, l’étendue des échanges entre les deux pays est enaugmentation constante depuis les années 1960. Au point de faire de l’Allemagnele deuxième partenaire commercial d’Israël, pour un montant de 3,8 milliardsd’euros par an. Les deux tiers représentent des importations israéliennes,essentiellement en produits chimiques, machines et véhicules. De fait, depuis1980, la compagnie de bus Egged renouvelle essentiellement sa flotte auprès deMercedes, et dans une moindre mesure Volkswagen et Volvo.
De son côté, malgré la petitesse de son économie, Israël est le quatrièmepartenaire de l’économie allemande à travers le “grand Moyen-Orient” (du Marocau ).La République germanique s’y fournit notamment pour la pharmaceutique et lesnouvelles technologies. Les coopérations avec les ingénieurs allemands se sontmultipliées à travers l’organe de la fondation germano-israélienne pour larecherche scientifique et le développement. Enfin, point de déséquilibre : lesinvestissements directs israéliens en Allemagne totalisent un milliard d’euros,alors qu’à l’inverse les entreprises allemandes ne possèdent que pour 100millions d’euros dans l’économie de l’Etat hébreu.
Berlin,médiateur régional
L’Allemagne tente depuis sa réunification d’obtenir uncertain poids diplomatique sur la scène internationale, jusque-làdisproportionnellement réduit, comparé à sa puissance économique. Cet intérêtaccru pour les affaires mondiales semble conduire à reconsidérer sa position dans larégion.
Ainsi de l’envoi en 2006 d’un contingent allemand (le deuxième en importanceaprès l’Italie) au sein de la Finul au Sud-Liban pour s’assurer du maintien dela récente paix. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerremondiale, 2 400 soldats allemands sont présents au Moyen-Orient, à bord deplusieurs navires de guerre chargés de protéger les côtes libanaises notammentdu trafic d’armes.
Privé du soutien populaire d’une opinion publique allemande, hostile à de telsengagements, le gouvernement Merkel s’emploie depuis lors à trouver unerésolution rapide au conflit israélo-palestinien, qui permettrait selon lui deretirer les troupes. En 2007, a ainsi proposé l’organisation d’une conférence internationale dans le but derégler les conflits régionaux, dont la Syrie et l’Irak. Une propositionfinalement rejetée, à commencer par les Etats-Unis et Israël.
Mais la tendance, en depuis l’établissement de la feuille de route en 2003, à l’initiative del’ancien ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer, n’est pasnégligeable.
Le torchon brûle entre Angela et Bibi
L’effort diplomatique allemand passe égalementpar le vecteur européen. A l’initiative de la création du poste dehaut-représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique desécurité, lors du traité de Lisbonne, l’Allemagne tente d’établir une positioncommune avec ses partenaires européens sur les questions internationales engénéral et le conflit israélo-palestinien en particulier, où elle souhaitefaire peser l’UE. Sans succès jusqu’à présent. Si la relation personnelle entreAngela Merkel et Ehoud Olmert était réputée “excellente”, l’arrivée au pouvoirde Binyamin Netanyahou semble être concomitante à une relative dégradation desrelations bilatérales.
Pour la première fois en février dernier, s’alignait avec la majorité auConseil de sécurité pour approuver une résolution qui condamnait la poursuitede la construction dans les implantations.
Une décision suivie d’un échange virulent entre les deux dirigeants, Merkelrépondant à la “déception” de l’Israélien par un “Comment osez-vous ? Vous êtescelui qui nous a déçus, vous n’avez pas fait un seul pas pour faire avancer lapaix.” Et l’an dernier, la Bundestag adoptait une résolution condamnant leblocus israélien de la bande de Gaza et depuis octobre dernier, à la suite del’annonce de la construction de 1 000 appartements à Guilo, Merkel menace desuspendre la livraison de deux nouveaux sous-marins Dauphin subventionnés autiers par l’Allemagne.
Une façon de faire comprendre à Israël le prix du refus par le gouvernementchrétien-démocrate au pouvoir de reconnaître un Etat palestinien alors que sapopulation y est massivement favorable (entre 70 et 80 %), et alors que la CDUest menacée dans les sondages.
L’évolution n’inquiète pourtant pas la majorité des observateurs, qui laqualifient de “rééquilibrage”, par rapport aux partenaires européens.
Le parlementaire conservateur Ruprecht Polenz expliquait il y a peu au New YorkTimes : “La chancelière essaie d’expliquer au gouvernement israélien qu’avecles changements extraordinaires qui ont lieu au Moyen-Orient, le temps n’estpas de son côté quand on en vient à la résolution du conflitisraélo-palestinien.”
La diplomatie allemande semble en effet avoir rapidement pris conscience de lafenêtre d’opportunités en tous genres qui s’est ouverte depuis un an. Ce sontainsi les services de renseignements allemands qui, s’appuyant sur la juntenouvellement au pouvoir en Egypte, ont remplacé leurs homologues français commeintermédiaires cruciaux dans les négociations secrètes ayant mené à l’accordSchalit.
Un relatif optimisme partagé par David Harris, président du American JewishCommittee, qui pense que la question des implantations ne devrait pas peser àlong terme. Pourtant, “la vraie question est de savoir si la relation spécialeva survivre au changement de génération. Le sentiment de responsabilité semaintiendra-t-il ?”