L’antisémitisme à la tribune des Nations unies

Sur fond d’augmentation des attaques antisémites, les dirigeants mondiaux réaffirment leur engagement dans la lutte contre toute forme de racisme

Ron Prosor, émissaire israélien à l'ONU, à la tribune de l'Assemblée générale jeudi 22 janvier (photo credit: REUTERS)
Ron Prosor, émissaire israélien à l'ONU, à la tribune de l'Assemblée générale jeudi 22 janvier
(photo credit: REUTERS)
Cette rencontre n’aurait jamais dû avoir lieu. Mais jeudi 22 janvier à New York, ministres européens et diplomates du monde entier se sont rassemblés pour la première réunion informelle jamais organisée sur la recrudescence de l’antisémitisme dans le monde. Fait certainement révélateur : la conférence n’a été que peu suivie.
La star de l’événement : le philosophe français Bernard-Henri Lévy. Dans un discours passionné, il a retracé l’histoire de l’antisémitisme jusqu’à ses racines modernes, des fausses accusations de sacrifices humains et de l’assassinat du Christ à la présente antipathie contre Israël. Avertissant qu’aucune société n’est à l’abri de cette envie de vengeance. « Paris où l’on a réentendu l’infâme cri de “Mort aux Juifs” et où, il y a quelques jours, l’on a tué des dessinateurs parce qu’ils dessinaient, des policiers parce qu’ils faisaient la police et des juifs parce qu’ils faisaient leurs courses et qu’ils étaient juste juifs », a-t-il déclamé. « D’autres capitales, beaucoup d’autres, en Europe et hors d’Europe, où la réprobation des juifs est en train de redevenir le mot de passe d’une nouvelle secte d’assassins – à moins que ce ne soit la même, dans de nouveaux habits. Votre Assemblée avait la sainte tâche de conjurer le réveil de ces spectres. Mais non, les spectres sont de retour – et c’est pour cela que nous sommes ici. »
Puis, abordant le sujet d’Israël, BHL a rappelé que la nation des juifs ne serait jamais libérée de sa culpabilité : « Israël serait-il exemplaire, serait-il la patrie d’un peuple d’anges, reconnaîtrait-il au peuple palestinien l’Etat auquel il a droit, que la plus ancienne des haines ne baisserait, malheureusement, pas d’un ton ». « Quand on frappe un juif, c’est l’humanité qu’on jette à terre. Un monde sans juifs ne serait pas un monde », a-t-il continué, adoptant la même rhétorique que de nombreux autres dirigeants européens. « La haine d’Israël ne se dispersera pas ».
Séparer Israël de l’antisémitisme
L’idée de l’antisémitisme comme précurseur de tous les racismes et discriminations était un point commun entre les différentes interventions, dont celle de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite, Abdullah al-Mouallimi. S’exprimant au nom de l’organisation des pays islamiques, il a commencé son discours en condamnant « toutes les discriminations, y compris celles basées sur la religion ou les croyances religieuses » et l’a terminé en ajoutant : « la colonisation et l’occupation alimentent le foyer de l’antisémitisme… L’occupation est un acte antisémite. Il menace les droits de l’homme et l’espèce humaine ».
Cette déclaration était une claire contre-attaque du message délivré par le secrétaire général des Nations unies à peine une heure plus tôt. Dans son discours, Ban Ki-moon avait souligné que « les griefs concernant les actions menées par Israël ne doivent jamais être utilisés comme une excuse pour attaquer des juifs. De même, les critiques envers Israël ne devraient pas être écartées sous le prétexte de l’antisémitisme. Cela ne fait que rendre tout dialogue impossible et entrave la quête de paix ».
Interrogé par le Jerusalem Post, Michael Saldberg, de l’Anti-Defamation league, a relevé cette divergence comme un exemple de la quantité de travail qu’il reste à faire. « Il est approprié que les Nations unies, qui sont le centre de la communauté internationale, distinguent les deux sujets – cela n’a que trop tardé », a-t-il expliqué. « L’idée que l’antisémitisme doit être traité là où il est le plus puissant – dans le monde arabe et musulman – est probablement le plus grand défi que nous ayons à relever ».
L’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, Ron Prosor, après avoir révélé qu’il s’apprêtait à devenir grand-père pour la première fois, s’est dit attristé par le fait que sa petite-fille allait naître dans un monde « encore entaché par l’antisémitisme ». « Ce violent antisémitisme projette une ombre sur l’Europe », a-t-il ajouté, rappelant les messages antisémites délivrés par certains membres des Nations unies. « Cet été, sous prétexte d’inquiétude humanitaire, des délégués ont utilisé cette tribune pour prononcer des discours antisémites, accusant Israël de se comporter comme les nazis », a continué Ron Prosor. « Le fait que vous soyez en colère ou frustré par notre conflit n’a aucune importance. Il n’y a aucune excuse pour de tels discours. »
L’ambassadeur a également cité Amos Oz : l’écrivain israélien avait relevé que, dans les années trente, les antisémites européens appelaient les juifs à partir en Palestine. « Maintenant ils crient “Les Juifs hors de Palestine”. Ils ne veulent pas que nous soyons, ni ici, ni là. Ils ne veulent pas que nous existions. »
Un besoin de mesures concrètes
Samantha Power, ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies, a noté l’importance historique de cette conférence, mais selon elle, pour vaincre l’antisémitisme, « les gouvernements ne peuvent agir seuls. Nous devons nous rallier à des partenaires de la société civile. Les attaques de juifs sont des attaques commises sur nous tous. »
Le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes français Harlem Désir, et le ministre de l’Europe allemand Michael Roth ont également prononcé un discours. Ils se sont adressés aux journalistes après les discussions au sujet de l’avenir de la coopération européenne sur la sécurité, mettant l’accent sur les lois actuelles concernant la répression des discours haineux : « Nous avons besoin d’un nouveau cadre législatif pour les entreprises du web et la diffusion de propos racistes et antisémites », a expliqué Harlem Désir. « Nous souhaitons que ce problème soit discuté à une échelle globale ». Pour Roth, « l’Europe est un continent d’immigration, l’Allemagne est un pays d’immigration. La plupart de ceux qui sont venus en Allemagne ont enrichi notre pays… Mais nous avons toujours besoin de leur adhésion à nos valeurs européennes ».
Michael Gourary, le PDG du congrès juif israélien, est déçu. Il espérait que la conférence ne serait pas que « des mots, des mots, des mots ». Il est venu aux Nations unies avec des propositions concrètes, que les Etats européens pourraient mettre en œuvre pour enrayer l’antisémitisme : l’adoption de lois plus fortes, comprenant une définition plus précise de l’antisémitisme ; une meilleure régulation de l’Internet ; l’interdiction du retour des djihadistes radicaux partis au Yémen, en Syrie ou en Irak ; et une meilleure protection des communautés juives. « Au lieu de parler de mesures concrètes, toutes les discussions actuelles concernent la liberté de parole, et l’espionnage versus le non-espionnage », a-t-il expliqué. « Mais le réel problème est le grand nombre d’attaques envers des juifs en Europe ».
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