Azekah : la frontière de Juda

Tel Azekah est vu comme le point de rencontre entre plusieurs civilisations. Une équipe d’archéologues lui promet un avenir comme Megiddo

P20 JFR 370 (photo credit: Benjamin Slitzmann)
P20 JFR 370
(photo credit: Benjamin Slitzmann)

«Les Philistinsréunirent leurs armées pour livrer bataille, et ils se rassemblèrent à Soco,qui appartient à Juda ; ils campèrent entre Soco et Azekah, à Ephès Dammim.Saül et les hommes d’Israël se rassemblèrent aussi ; ils campèrent dans lavallée d’Elah, et ils se mirent en ordre de bataille contre les Philistins. […]Un homme sortit alors du camp des Philistins et s’avança entre les deux armées.Il se nommait Goliath, il était de Gath, et il avait une taille de six coudéeset un empan. […] “Choisissez un homme qui descende contre moi ! S’il peut mebattre et qu’il me tue, nous vous serons assujettis ; mais si je l’emporte surlui et que je le tue, vous nous serez assujettis et vous nous servirez.” » (ISamuel XVII) L’issue du combat est dans l’inconscient collectif. La pierre quia terrassé Goliath est devenue aussi célèbre que la flèche qui s’est plantéedans le talon d’Achille. Mais pour le plus grand nombre, le lieu et le nomd’Azekah sont pratiquement tombés dans l’oubli. A Efrat, cité haute – voisinede Bethléem d’où venait David – peuplée de 99 % de Juifs religieux, Simone, 70ans, redécouvre le texte biblique avec émotion : « Arpenter Azekah une Bible àla main, quoi de mieux ? », lance-t-elle sans imaginer une autre possibilité.

Manfred Oeming est coresponsable de la fouille avec deux autres universitairesisraéliens. Ce théologien allemand a une approche bien plus rationnelle. Pource professeur d’études sur l’Ancien Testament et l’histoire juive antique àl’université d’Heidelberg, il est nécessaire de séparer les deux niveaux decompréhension : le biblique et le scientifique, note-t-il devant la pente duTel culminant à 80 mètres au-dessus de la vallée d’Elah. La vue ressembleaujourd’hui au paysage cultivé de la Galilée.
« David et Goliath, c’est davantage une histoire que l’Histoire. Ainsi, malgrétous les récits sur les Anakim, on n’a aucune chance de trouver ici unsquelette de 3,30 mètres de haut. » Pour Oeming, peu importe si l’Hébreu et lePhilistin n’ont pas réellement combattu ici même. Et peu importe que David aitréellement tué Goliath de sa main, ou que ce soit le fait d’un de ses soldats,car « toutes les traditions ont tendance à présenter la personne la plusimportante d’une période donnée comme le roi le plus puissant ».
Un lieu charnière 

C’est donc la portée symbolique de l’histoire du colosseblasphémateur contre le vaillant berger qui intéresse Oeming. « L’important estd’explorer une culture dont les textes sont issus. Sur ce site, on gagne uneconnaissance du décor biblique, pas de l’Histoire elle-même. » « L’histoire deDavid et Goliath donne une bonne indication sur la fonction géographique dusite d’Azekah », complète Oded Lipschits, responsable du département Etudes del’Antiquité d’Israël à l’université de Tel-Aviv. « Azekah est une frontièreentre le pays des vallées et celui des plaines, entre les Judéens et lespeuples des côtes appelés Philistins à certaines périodes, et même entre lesdeux premiers et les Edomites qui venaient du sud. C’est un lieu charnière dontle récit biblique est l’emblème. Une frontière est comme un melting-pot où l’ontrouve des influences de toutes sortes : cananéennes, égyptiennes, judéennes,perses, grecques, maccabéennes… Un point de rencontre de civilisations. » Lafrontière est aussi l’endroit où comprendre l’histoire et la culture des terresintérieures. « Quand le royaume de Juda contrôle Tel Azekah, cela signifiequ’un roi peut construire une vraie frontière, avec des fortifications en facedes peuples qui vivent à l’ouest », explique Lipschits.

Pour autant, deux étés de fouilles consécutifs n’ont pas encore suffi à dateravec précision la période où le royaume de Juda dominait Azekah. « On pense quele Tel était sous le contrôle des Philistins jusqu’au dernier tiers du IXesiècle avant Jésus-Christ, lorsque Gath a été détruite par le roi araméenHazaël », développe Oded Lipschits. « C’est seulement à ce moment que leroyaume de Juda a pu descendre des collines et établir sa frontière ici ». Maison ne sait toujours pas ce qui s’est produit entre cette époque-là et la fin duVIIIe et le VIIe siècle avant notre ère, quand le Tel appartenait aveccertitude à Juda.
Devenir un site majeur ? 

« On n’a pas encore trouvé beaucoup sur la périodejudéenne », avoue Oeming, « mais autrement, on est bénis ». Après 6 années defouilles sur le site de Ramat Rahel à Jérusalem de 2005 à 2010, venir à Azekah,« un site 10 fois plus grand au carrefour de la Judée », était en effet un paririsqué. « Personne ne s’attendait à découvrir une place publique et une villebasse sur l’un des flancs du Tel, ni une présence égyptienne aussi prégnante ausommet, encore moins une cité remontant au bronze moyen (-2000 à -1550).J’espère donc que beaucoup de visiteurs viendront à Azekah dans 10 ans. Aprèstout, Megiddo et Lakish ont fait l’objet de fouilles pendant plus de 30saisons. » Le mécène allemand Manfred Lautenschläger (qui a donné son nom à «l’expédition » archéologique) a offert un million d’euros pour 10 saisons àl’équipe israélo-allemande qui accueille aussi des universitaires américains ouaustraliens.

Mais Tel Azekah a-t-il vraiment le potentiel pour devenir un site archéologiquemajeur, à l’image de Tel Megiddo ? « Nous avons en tout cas déjà distingué 15strates du bronze ancien (-2500) à la période romaine, byzantine, et débutmusulmane », répond Lipschits.
En plus de sa forte charge symbolique, Azekah se situe donc entre plusieursépoques et plusieurs sites archéologiques majeurs comme Lakish ou Tel Yarmout.Pourquoi le Tel a-t-il donc été si longtemps ignoré ? « C’est le premier site àavoir été fouillé en Palestine, en dehors de Jérusalem par deux archéologuesanglais : Bliss et Macalister », révèle Oded Lipschits, « en 1898 et 1899 ». «Ils n’ont rien trouvé d’autre qu’une forteresse hellénistique, mais pasd’architecture », poursuit Oeming, « donc ils ont quitté l’endroit au bout de 2saisons en décidant qu’il était sans importance. Or, selon les inscriptions duroi Sennahérib, découvertes en 1981, Azekah a été un site énorme ! Sennahéribqui était venu avec l’armée assyrienne en 701 pour conquérir toute la région adit l’avoir assiégé et conquis, et avoir emporté tous ses trésors. » A Lakish,une autre équipe a trouvé les traces d’un siège et 5 000 pointes de flèches.Azekah a donc de bonnes chances de devenir « un deuxième Lakish », mais pourcela, il reste aux archéologues, à leurs étudiants et aux volontairesinternationaux à trouver le lieu du siège assyrien. Manfred Oeming ne s’en faitpas trop ; « Oded a un bon nez », assure-t-il.
La technologie a suivi 

Aucune trace de destruction remontant aux VIIIe et VIIesiècles n’a néanmoins été mise au jour pour l’instant à Azekah, mais, pourYouval Gadot, le troisième universitaire coresponsable de la fouille, lacompréhension du site peut encore changer. Il reste à l’équipe un minimum de 8saisons de fouilles de 6 semaines chacune, et tous les espoirs sont dirigésvers le sommet du Tel que Bliss et Macalister avaient déjà partiellementfouillé. Lipschits, Oeming et Gadot ont de bonnes raisons de penser qu’unédifice principal se trouve là, peut-être enfoui à plusieurs dizaines de mètres.

Que Bliss et Macalister n’aient pas été plus loin, soit, mais pourquoi personnen’est-il venu fouiller à Azekah pendant plus d’un siècle alors qu’uneforteresse hellénistique y a été trouvée ? Gadot, définitif : « Des erreurs etdes stéréotypes déjà vus dans le passé, à Tel Gezer par exemple. De mauvaisesméthodes archéologiques etc. ». Et pour cause, en 100 ans, l’approche de ladiscipline s’est métamorphosée pour devenir moins « fétichiste ». Et latechnologie a suivi. « Chaque génération apprend à extraire de plus en plusd’informations à partir de restes de plus en plus petits ; on fait plus avecmoins », explique l’archéologue, aussi responsable de deux autres fouilles àJérusalem, l’une dans la Cité de David, l’autre à Khirbet Er-Ras. « Avant, ladécouverte d’une jarre au sol nous limitait à l’objet lui-même. Cela permettaitde se demander si un peuple s’en servait pour manger, de dater le sol lui-même,voire de parler d’identité. Maintenant, on a par exemple recours à des étudesélectromagnétiques pour détecter des murs, avant de décider où faire dessections. Grâce à la microanalyse, lorsque l’on trouve un squelette, on peutaussi comprendre l’identité biologique des populations grâce à une rechercheADN, en plus de l’expertise d’un anthropologue-physicien. » 

« Finalement, Dieuest toujours impliqué » 

Mais les volontaires qui viennent en Israël ont encoreun peu le syndrome d’Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue.Comment ne seraient-ils pas excités par la découverte de figurines noirestrouvées en 2012 et cet été, ou par les nombreux scarabées indigo datant deRamsès II (XIIIe siècle avant J.-C.) ? « Pour moi, ce sont juste destrouvailles de plus », expédie Lipschits en accompagnant sa réponse d’un reversde la main. « Je pense toujours aux implications historiques et à l’imageglobale du site », explique-t-il. Pourtant, c’est bien lui et sonl’enthousiasme débordant qui ont contaminé Oeming le prudent à coup de « nousavons trouvé un énoooooorme ceci, et nous allons organiser un énooooorme cela». Au point que le théologien emploie désormais – probablement sans s’en rendrecompte – le même adjectif à toutes les sauces. « Tenir de la poterie, mêmeintacte, dans sa main ne compte pas », complète Youval Gadot. « On ne cherchepas de beaux objets, mais à comprendre l’histoire humaine qui peut-êtreappréhendée uniquement grâce au contexte ». Cet objectif est le plus petitdénominateur commun entre les 3 hommes. Manfred Oeming résume d’un mot les 3profils : « Youval est un archéologue ; il ne se préoccupe pas de religion.Oded est historien ; s’il voit la tête d’une flèche, il peut entendre l’arméeassyrienne. Je suis théologien ; si j’observe la même situation, j’essaie decomprendre à quoi obéissait la foi de ces peuples. Pour moi, on peut donc avoirun point de vue matérialiste ou historique, mais finalement Dieu est toujoursimpliqué ».

Au contact de l’équipe de Tel-Aviv, l’Allemand de 57 ans dont c’est la 10esaison de fouilles, s’est aperçu qu’il prenait peut-être trop de gants, mêmes’il n’hésite jamais à creuser lui-même dans une citerne de 6 mètres deprofondeur et à se couvrir de terre et de poussière de pied en cap. « Je doisdire que ma coopération avec Oded a vraiment changé mon point de vue sur laBible. Au début, j’étais bien plus conservateur. Je pensais que, dans chaquerécit, on touchait au cœur de la grande Histoire. Je suis maintenantpratiquement persuadé que David et Goliath est une histoire tardive etmiraculeuse. »