Des Explorateurs au sionisme moderne

Selon Nahmanide, l’histoire des Explorateurs date du 22 du mois de Sivan de la deuxième année de la sortie d’Egypte.

Sionisme (photo credit: Wikimedia Commons)
Sionisme
(photo credit: Wikimedia Commons)

 

Elle peut se résumer en quelques lignes. A la demande du peuple et avec le consentement divin1, Moïse envoie un « commando » de douze hommes, un par tribu, parmi les plus éminents. Sa mission : espionner le pays du nord au sud, repérer ses points forts et ses faiblesses, jauger son arsenal de guerre, la détermination de ses habitants et la richesse de ses productions agricoles et animales. Il revient avec de beaux fruits mais en signalant que ses habitants sont invincibles. Le peuple est ainsi découragé, et non seulement il refuse d’entrer en Canaan, mais il souhaite retourner en Egypte. Dieu s’enflamme contre le peuple et le condamne à errer dans le désert durant quarante ans, c’est-à-dire jusqu’à l’extinction de la génération sortie d’Egypte.

Naissance du sionisme

Comment expliquer ce fiasco ? La première cause est à chercher dans les différences d’appréciation au sein du peuple et de ses dirigeants. Les uns pensaient qu’il fallait compter entièrement sur Dieu, sur les miracles qui leur auraient permis de conquérir le pays et d’en chasser l’occupant. Les autres avaient à l’esprit l’adage talmudique qui dit « On ne doit pas compter sur le miracle2 » et si c’est vrai, attaquer les peuples de Canaan, c’est courir à la catastrophe certaine. C’est ce courant qui l’a emporté car ils étaient majoritaires : seuls Caleb et Josué parmi les douze prêchaient la confiance totale en Dieu.

La deuxième cause est d’ordre psychologique. La génération sortie d’Egypte est l’aboutissement d’un long esclavage qui a duré plus de deux siècles. Elle était dans la mentalité de l’esclave, mentalité incompatible avec le désir et le besoin de liberté. Dans l’incapacité psychique de devenir des hommes libres, il fallait qu’elle périsse dans le désert. Une nouvelle génération qui n’a pas connu l’esclavage pouvait alors conquérir le pays de la promesse.
E. Lévinas, se basant sur un texte talmudique3, explique que le refus d’entrer en terre promise était motivé par la crainte d’une assimilation aux peuples cananéens et le risque de divinisation de la terre.
On peut dire qu’avec cette affaire, le sionisme est né avec ses partisans et ses détracteurs.
Quelque sept siècles plus tard, plus exactement dans les années -539 à -515, le problème s’est reposé dans toute son acuité. Il s’agit de la fin de l’exil de Babylone rendue possible grâce à l’édit de l’empereur Cyrus (-539), autorisant les Juifs à rentrer chez eux et reconstruire le Temple. Sous la direction de Chechbassar et Zorobabel (Ezra, chap. 1et 2), les textes nous apprennent qu’au total, seuls 42 000 hommes4 ont quitté la Babylonie pour la Judée. Le reste de la population, et surtout une certaine élite, comme les Lévites, avaient opté pour la poursuite de l’exil. Ezra et Néhémie eux-mêmes, n’arriveront qu’en -458, c’est-à-dire 55 ans après la construction du Deuxième Temple. Nos sages prétendent que l’étude de la Torah était alors une priorité par rapport à la reconquête de la terre promise. Après avoir organisé cultuellement et administrativement la population grandissante des olim hadashim, Néhémie retourne à Babylone et reprend ses fonctions de maître échanson d’Artaxerxés (-432).
En 70 de l’ère vulgaire, le Second Temple est détruit et le peuple est à nouveau chassé de sa terre pour presque dix-neuf siècles, quand les premiers mouvements sionistes commencent à s’installer en Palestine.

Un miracle permanent

Le sionisme moderne a pris naissance au milieu du XIXe siècle avec les Hovevé Tsion5 et le Bilou6, mouvements nés en réaction aux persécutions antisémites et à l’émergence des nationalismes. Sous l’impulsion quasi prophétique de Theodor Herzl, le sionisme politique aboutit à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Il nous faudra peut-être des siècles pour apprécier le caractère éminemment miraculeux de l’événement. Après s’être consumés d’espoirs et de prières pour le retour à Sion durant près de deux millénaires, dans les synagogues du monde entier, les Juifs ont la possibilité de retrouver leur pays !

Mais, comme au temps des Explorateurs et d’Ezra, très peu comprendront le phénomène et beaucoup resteront indifférents, ou pire, hostiles. Parmi ces derniers il faudra compter hélas, certains courants religieux, les intellectuels de gauche et les fervents de l’assimilation à tout crin ; chacun ou chaque groupe évoquant ses propres motivations.
Rappelons une interprétation midrashique des versets 2 et 3 du psaume CXXVI. « Alors on disait parmi les nations : l’Eternel a fait de grandes choses pour ces gens (les Hébreux). Oui, l’Eternel a fait de grandes choses pour nous ! » : les Gentils reconnaîtront les miracles faits pour Israël avant Israël lui-même !
Heureusement, envers et contre tout, l’Etat d’Israël se maintient, se renforce et devient, sous nos yeux, un miracle permanent, une terre d’accueil pour tous les exilés, un centre de haute technologie, de rayonnement spirituel, de propagation de la Torah.
Merci, ô mon Dieu, de nous avoir permis de vivre en ces temps exceptionnels et de nous donner à voir tes merveilleux prodiges ! 

Claude Brahami est l’auteur de la série L’Arme de la parole, Hérév Pifiyot et du Petit Commentaire sur la Tora, aux éditions Sine-Chine.