Des pierres gravées par le poids des ans

L’eau, les racines des arbres et la pollution atmosphérique endommagent les murailles de la Vieille Ville

restauration vieille ville (photo credit: Photo illustrative/Reuters)
restauration vieille ville
(photo credit: Photo illustrative/Reuters)

Si les pierres pouvaient parler, imaginez un peuce que raconteraient les murailles qui entourent la Vieille Ville de Jérusalem! Des milliers d’histoires sont enfouies dans leurs interstices, qui attendentjuste d’être découvertes par des individus assez patients pour partir à leurrecherche.

Les Ottomans adoraient les couleurs vives et laporte de Jaffa était bleu roi. Les Britanniques, qui préconisaient au contrairela sobriété, n’ont guère attendu pour débarrasser les murs de leur peinturelorsqu’ils ont pris les commandes de la ville. Les Jordaniens, quant à eux,avaient bouché par des pierres et des gravats les créneaux voisins de KikarTsahal, afin de mieux se protéger durant la guerre d’Indépendance. Et lessoldats de ce pays, lorsqu’ils s’ennuyaient durant leurs factions, avaient prisl’habitude de graver leur nom dans la pierre.

Ce sont là quelques-unes des anecdotes rapportéespar l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI), qui vient de mener, ces huitdernières années, une grande inspection des murailles, suivie de travaux derestauration. Un projet qui a coûté 17 millions de shekels.

En 2004, des pierres datant de la reconstructionjordanienne du mur, près de la Nouvelle Porte, s’étaient effondrées sur leterrain de basket du Collège des Frères. Redoutant un accident, l’AAI a doncentrepris, dès 2005, un examen minutieux des murailles. Conclusion : lesmurailles avaient un besoin urgent d’entretien. Il faut dire que la précédentevérification datait du Mandat britannique.

L’eau, le grand ennemi de la pierre

A l’époque, les archéologues anglais s’étaientcontentés de rafistoler les murailles : ils avaient introduit çà et là duciment pour en stabiliser certaines parties, une pratique qui, on le sait, nuità la qualité de la pierre. Ensuite, hormis quelques réparations mineuresopérées après la guerre des Six-Jours, plus rien n’avait été fait. Aussiimpénétrables qu’elles puissent paraître, ces murailles ne dureront pastoujours si on ne les entretient pas correctement. L’eau est leur grand ennemi,explique Avi Mashiah, directeur de la section Jérusalem de l’AAI, en charge duprojet.

Autres dangers redoutables, les racines des arbres(et en particulier celles des câpriers, les plus grosses et les plus tenaces)et la pollution de l’air, due au passage des voitures, qui recouvre les pierresd’une pellicule noire. “Il existe peu de villes comportant en leur centre unmonument aussi important et qui soit encore en usage. Or, nous, nous utilisonstoujours les portes”, explique Mashiah. “Ces murailles constituent le symbolemême de notre ville !” Le projet, financé par le bureau du Premier ministre etmené par l’AAI, l’Autorité pour le Développement de Jérusalem et l’Autorité desParcs nationaux, est parvenu à son terme en mai dernier. Il s’est achevé par larénovation de la Porte du Lion, entrée principale vers le Mont du Temple.

Craignant de voir la presse arabe donner uneteinte politique à la cérémonie, les autorités s’étaient abstenues de célébrerla fin des travaux. L’examen des murailles, qui a produit assez de découvertespour faire l’objet d’un ouvrage en 14 volumes, donnera peutêtre lieu à unepublication ultérieure.

Quid de l’impact des balles ?

Un peu plus des trois quarts des murailles ont ainsiété examinées et rénovées. Seul l’angle sud-est, proche du mont du Temple, estresté intouché, car il est sous la responsabilité du Wakf musulman. Or, si leWakf se préoccupe beaucoup, lui aussi, de l’entretien de vieilles pierres et sil’on a pu voir, ces dernières années, quelques échafaudages ici et là, “sescritères sont différents des nôtres”, explique Mashiah, diplomate.L’analyseméticuleuse, pierre par pierre, effectuée par les Israéliens a donné lieu à denombreux désaccords sur la nature même de la restauration à mener.

“Notre plus grand dilemme”, indique Mashiah, “aété de décider si nous ferions le minimum et garderions les murailles tellesqu’elles sont aujourd’hui, ou si nous allions leur redonner l’aspect qu’ellesavaient à l’époque ottomane. Fallait-il les traiter comme un monument historiqueou nous contenter de les renforcer ? Les pierres cassées devaient-elles êtreremplacées ou laissées à leur place, pour montrer le passage du temps ? Et quefaire des impacts de balles ?” La question de savoir quoi préserver et quoireconstruire s’est posée dès la restauration de la première porte, la porte deSion. Les combats avaient fait rage à cet endroit en 1967 et les pierresportaient d’innombrables traces de balles.

“Seulement, ces impacts, qui ont certes détruitdes ornementations architecturales, représentaient également un symbolenational”, souligne Mashiah. Voilà pourquoi tous les membres de l’équipe sesont accordés à secteurs toutefois, la décision a été loin de fairel’unanimité.

Comme il y a 50 ans

A la porte de Damas, les experts ont décidé derecréer certains motifs détruits par les combats de la guerre des Six-Jours, enparticulier la couronne ornementale au sommet de la porte. Au début, leshabitants du quartier, indignés, ont invoqué une “intervention sioniste”,raconte Mashiah. L’AAI a alors publié une grande affiche en arabe présentantune image d’archives de la porte avec toutes ses ornementations et, tout àcoup, les habitants les plus âgés se sont souvenus de l’aspect qu’elle avait ily a 50 ans.

La porte de Damas et celle d’Hérode,quotidiennement utilisées par des commerçants, ont posé des problèmesparticuliers. Dans le climat politique tendu qui règne, le moindre incidentpouvait même le feu aux poudres. C’est pourquoi, soucieuse d’éviter dessoulèvements contre le travail des archéologues à Jérusalem-Est, l’AAI aorganisé de fréquentes rencontres avec les commerçants, et l’on est parvenu àun accord : les travaux auraient surtout lieu la nuit et sans utiliser d’eau,afin de ne pas endommager les marchandises.

En fait, on s’est aperçu que les spécialistesétaient arrivés juste à temps : la pierre ornementale qui couronnait la portede Damas menaçait en effet de s’effondrer sur le marché. 12 pitons d’acier,visibles de l’intérieur du mur, ont dû être utilisés pour la consolider. AJérusalem-Est, où les travaux archéologiques donnent généralement lieu à desfrictions entre Arabes et Juifs, les commerçants arabes se sont déclarés ravisde la rénovation. “Ils ont bien travaillé tout au long du projet”, affirmeNadim, qui tient depuis 20 ans un stand de vêtements féminins juste devant laporte de Damas. “Il n’y a pas eu de problème avec la communauté. Avant, lespierres étaient toutes noires. Ne serait-ce que pour les touristes, c’est bienmieux maintenant !” Les grandes pierres blanches qui surmontent la porte deDamas, mais aussi d’autres parties des murailles, jurent un peu avec celles quel’on a pu conserver. Au début, explique Mashiah, les habitants de la capitaleont poussé de hauts cris en les découvrant, arguant que l’AAI détruisait unsymbole pour le remplacer par une version aseptisée à la Disneyland.

Fin juin, la mission jordanienne de l’Unesco s’estplainte que le projet de rénovation des murailles en remplaçait de tropnombreuses parties. Mais dans quelques années à peine, les intempéries auront,selon Mashiah, joué leur rôle : les nouveaux ajouts auront alors subi une telleérosion qu’il sera difficile de distinguer les anciennes pierres des neuves.Déjà, celles que l’on a remplacées à la porte de Sion, où les travaux ontdébuté, se fondent désormais parmi les anciennes.

Dans cinq ans, la substance protectrice que lesexperts ont appliquée sur la pierre se sera totalement estompée et, dans dixans, l’AAI devra sans doute procéder à un nouvel examen pour débusquer de nouvellesfissures. “Les gens n’ont pas idée de la somme de réflexion qui a été investiedans la moindre pierre !”, affirme Mashiah. “Mais c’était aussi l’objectif : ilne fallait pas que les gens puissent s’en douter !”