Décoder la garde-robe juive

Pour la première fois, le Musée d’Israël présente une exposition exclusivement consacrée aux atours traditionnels juifs du XVIIIe au XXe siècle, en provenance de quatre continents. Visite guidée

Manteau de femme, Boukhara, Ouzbekistan, fin du XIXe siecle (photo credit: ISRAEL MUSEUM)
Manteau de femme, Boukhara, Ouzbekistan, fin du XIXe siecle
(photo credit: ISRAEL MUSEUM)
 Dans les soutes du musée, est conservée la plus grande collection au monde de vêtements juifs. A l’origine, au début du XXe siècle, ces pièces textiles ont été rassemblées par l’Académie Betzalel dont les fondateurs ont eu l’intuition qu’il fallait s’atteler à collecter ce patrimoine précieux du point de vue artistique et artisanal. Ces objets représentent tout un pan de l’histoire du peuple juif et ont été des sources d’inspiration pour différentes disciplines étudiées à Betzalel : design textile, broderie, dentelle…
 Le Musée d’Israël à Jérusalem ouvre en 1965 et le trésor de vêtements juifs est versé aux fonds de cette jeune institution qui déploie des moyens importants pour conserver, restaurer et continuer à enrichir la collection. Pour enfin, en 2014, offrir au public une exposition d’une centaine de pièces remarquables regroupées selon cinq thèmes : « Derrière le voile », « Percevoir l’invisible », « De curieux amalgames », « Mini-hommes et mini-femmes », « Vêtement et mémoire ».
 Les différences d’habillement entre juifs et non-juifs sont en général minimes. Dans les sociétés traditionnelles d’Asie centrale de culture islamique coercitive, les femmes juives sortent voilées, portent châles, capes, voiles, tchadors et burkas et sont ainsi dissimulées de la tête aux pieds, hormis une étroite fente pour les yeux. Quelques détails révèlent identité religieuse, statut et origine géographique. Par exemple, en Afghanistan au XXe siècle, les femmes musulmanes portent des vêtements colorés, quand les femmes juives sont vêtues de noir en souvenir de la destruction du Temple.
Cycles de la mode
 L’exposition s’intéresse aussi aux sous-vêtements, souvent élaborés et raffinés avec broderies et dentelles. L’occasion de découvrir qu’au XIXe en Asie, les superpositions de plusieurs couches de vêtements existaient déjà, les femmes portaient des sortes de leggings, et les artisans savaient confectionner des manteaux réversibles ! La mode est effectivement constituée de cycles et d’influences croisées. Le costume féminin de la communauté bagdadie établie en Inde mêle habit traditionnel et emprunts vestimentaires à l’époque victorienne. Au XXIe siècle, l’influence est inversée : dans les vêtements occidentaux, viennent souvent se nicher des détails d’inspiration orientale.
 Une pièce de lingerie attire paradoxalement l’attention sur les parties du corps qu’elle était censée dissimuler : un bustier porté sous la chemise met en valeur la poitrine. Un tel vêtement est porté par une femme honorable dans une société pudique, une poitrine avantageuse est aussi signe de fertilité. Frau Blau, styliste israélien, s’inspire de ces éléments et crée une robe raffinée avec un bustier coloré. Les pièces exposées ont été élaborées à une époque où la confection de chaque pièce de vêtement requérait de nombreuses heures de travail manuel, où un costume était fait entièrement sur mesure avec des essayages successifs. Aujourd’hui, à l’époque des fabrications industrielles en grandes séries, ces méthodes élaborées subsistent, avec bonheur, chez des couturiers créateurs telavivens, capables de rivaliser avec la grande mode parisienne. Comme Tovale, Maskit, Frau Blau, Tamar Primak, Yaniv Persy et Medusa qui se sont chacun essayé à revisiter un costume de l’exposition. A l’instar de leurs prédécesseurs, ils accordent, pour leurs créations, une grande importance au choix des matériaux (velours, soie, satin, toile, laine, lin, cuir et même papier…) et aux contrastes, à la diversité des teintes, aux broderies, aux accessoires et aux techniques employées.
 En matière de couleurs, les juifs ont, depuis la découverte de l’Amérique, contribué à importer sur le Vieux Continent des pigments qui ont révolutionné le monde du textile. Les professionnels du vêtement d’autrefois amélioraient leurs méthodes pour toujours plus de finesse ; de la même manière, les designers israéliens utilisent des techniques innovantes issues de l’industrie : par exemple, la découpe au laser d’ajours dans le cuir crée des dentelles étonnantes.
Cycles de la vie
 L’exposition, très exhaustive, s’intéresse aussi aux vêtements d’enfants. La plupart des éléments exposés ressemblent à des versions miniaturisées de l’habit adulte, ce qui reflète l’attitude séculaire de nombreuses sociétés vis-à-vis des enfants, tenus pour des adultes en herbe.
 La mortalité infantile était très élevée jusqu’au début du XXe siècle et, les superstitions conduisaient à affubler les vêtements des plus jeunes de talismans et d’amulettes protectrices. Le taux de mortalité infantile des garçons est plus élevé que celui des filles ; certaines communautés ont développé des pratiques pour conjurer le sort qui menaçait les garçons. Par exemple, la coutume d’habiller les garçons en filles, qui commence à la circoncision où le bébé est vêtu d’une robe blanche. Cette tenue, qui pourrait être considérée comme une imitation des robes de baptême chrétien, existe pourtant dans les pays spécifiquement musulmans éloignés de l’influence chrétienne. Certains chercheurs universitaires assimilent maintenant à ces pratiques superstitieuses la coutume de ne pas couper les cheveux des garçons avant l’âge de 3 ans.
 L’exposition attire l’attention du visiteur sur des pratiques de « recyclage » en usage dans certaines traditions juives. Pas un recyclage écologique, mais une transformation en vue d’une utilisation rituelle à la synagogue.
 Ainsi une tradition alsacienne : l’enfant apporte à la synagogue à l’âge de 3 ans sa mappa qui enveloppera le Sefer Torah ; il s’agit du lange de circoncision découpé en bandes assemblées et joliment brodées.
 Et comme dans tout défilé de mode classique, la visite se ponctue par la robe de mariée. Dans l’histoire du vêtement des communautés juives, les robes de mariées blanches sont apparues récemment. Partout dans le monde, elles étaient extrêmement colorées. Taillées dans des étoffes épaisses, elles sont surbrodées avec des fils dorés. Tout cet or symbolise la prospérité souhaitée au jeune couple.
 Dans les communautés orientales, l’utilisation des robes colorées s’est déplacée vers la cérémonie du henné. Dans l’empire Ottoman, les femmes riches faisaient don de leur robe de mariée ouvragée à la synagogue ; après leur mort, ce vêtement était transformé en rideau d’armoire de Sefer Torah, pour perpétuer le souvenir de celle qui avait porté ce vêtement. 
Musée d’Israël, Jérusalem
Jusqu’au 13 septembre
http://www.english.imjnet.org.il