Entre les murs de la Vieille Ville

Quelle est la vie à l’intérieur des remparts de Jérusalem ? Réponse aux travers du regard de trois communautés

Les murs de la vieille ville (photo credit: Reuters)
Les murs de la vieille ville
(photo credit: Reuters)

C’est à travers les rues aux pavés glissants de la Vieille Ville deJérusalem que le Forum des décisionnaires de Mishkenot Shaananim a organisé unevisite, guidée par une représentante de l’institut Yad Ben-Zvi, Merav Horowitz.Ce jour-là, des milliers de touristes mêlés aux locaux courent les anciennesallées biscornues, sous un soleil brûlant, tandis que les échoppes longent lesmurs. A chaque coin de rue, les antiquités découvertes transportent lesmarcheurs dans le temps. Le vent chaud qui souffle sur la ville fait oublier qu’ilexiste une vie quotidienne à l’intérieur des remparts.

Jérusalem, fondement de la paix selon sa signification hébraïque, devient“Jérusalem - ville complexe”. Car ajouté à sa valeur hautement symbolique, celieu touristique et densément peuplé est saint pour les trois religionsmonothéistes : christianisme, islam et judaïsme. Les pierres ont vu défilerl’histoire, au rythme des tensions. De tout temps, Jérusalem est revendiquéepar tous.

C’est face à la fameuse et imposante porte de Damas, où les préparatifs duRamadan font leur apparition, que Merav présente l’idée derrière ce projet :rencontrer des personnalités issues des trois communautés différentes etutiliser leurs regards et leurs mots pour entrevoir la vie à Jérusalem. Aprèsune descente des grandes marches de la porte de Damas et une série dedéambulations dans le Quartier arabe de la Vieille Ville, l’artère mène à l’unedes nombreuses entrées du Mont du Temple.

Au loin, la grande porte, couleur vert amande laisse apercevoir les jardinsdu Dôme du rocher. Sur la gauche apparaît la minuscule entrée du Centreafricain pour la jeunesse, ancienne prison et hospice pour pèlerins.

Premier arrêt : la communauté africaine musulmane

Yasser Qous, directeur exécutif, nous accueille dans une salle voûtée oùles enfants se réunissent pour diverses activités culturelles, manuelles, etpour l’aide aux devoirs en période scolaire. L’éducation est au centre despréoccupations de l’association qui la considère comme la clé du futur.

Yasser, après une brève introduction du centre culturel, expose lesproblèmes d’éducation, de chômage et les difficultés sociales au sein de lapopulation arabe de la Vieille Ville. A travers le mariage, il décrit unesociété palestinienne clivée et séparée : “Le mariage n’est pas un acteindividuel, il se déroule en familles de même catégorie sociale : les famillesd’Hébron se marient avec des familles d’Hébron.”

Depuis la fin de l’Empire ottoman, la communauté africaine réside dans laVieille Ville, proche des entrées d’Al-Aqsa. Bon nombre de ses membres, arrivésà Jérusalem après le pèlerinage de la Mecque, ont été des gardes de la mosquée.Actuellement, cette communauté de la Vieille Ville s’élève à 350 familles. Ason actif : ni école ou langue spécifique et une forte multiplication desmariages mixtes, mais elle revendique une bonne intégration au sein de lacommunauté arabe de la ville.

Yasser ne s’est jamais rendu en Afrique. Avec humour, il se définit commeune noix de coco : “palestinien de l’intérieur et noir de l’extérieur”. Ilprécise, tout de même, que les Africains musulmans sont plus libéraux que bonnombre de leurs coreligionnaires chez qui il dénonce un certain extrémisme. Maisune question taraude tout le monde, comment considère-t-il Jérusalem, la villeque son père, originaire du Tchad, a adoptée en 1964 pour être plus proche desa religion, et au plus près de Dieu. “Jérusalem est en moi, je vois la villepar mes propres yeux, je me sens donc responsable de ce qui s’y passe”.

Deuxième arrêt : communauté orthodoxe palestinienne

Le labyrinthe hiérosolymitain se poursuit. Sur les toits, minarets etclochers côtoyant synagogues et yeshivot se dessinent. C’est au Musée Wujoud,où sont exposés des objets arabes, utilisés dans la Vieille Ville aux XIXe etXXe siècles, que notre deuxième entretien se déroule. Au-dessus du petit muséese trouve le centre communautaire pour les femmes.

Nora Kort, issue d’une grande famille chrétienne, est la fondatrice dumusée et directrice de l’organisation. Le bâtiment du quartier chrétien, situéà proximité de l’imposante porte de Jaffa, est vieux de 650 ans. Nora Kort areçu le bâtiment comme don du Patriarcat grec orthodoxe. Voici une nouvellefacette de la Vieille Ville - où l’histoire continue de se rappeler à nos bonssouvenirs par la vue de la piscine d’Ézéchias depuis les fenêtres

Les murs de Jérusalem regorgent toujours autant de secrets. Cette anciennemaison où plusieurs familles étaient hébergées et se partageaient une cuisinecommune sous le Mandat britannique et la domination jordanienne, avait servi,bien avant, de café pour les soldats turcs.

Au centre des préoccupations de Kort : les femmes. Grâce à l’association,un centre médical indépendant fort de 12 spécialités et d’un service d’aidesociale, a été établi. Au programme : activités manuelles, pour faire perdurerles traditions des femmes. Ensemble, elles font des bijoux ou de la couture,travaillent le verre et le bois. Une cafétéria et un cybercafé sont égalementen projet. Nora souhaite accompagner les femmes et les rendre plus indépendantes.

Autre initiative, celle du “petit restaurant” : 15 femmes y sont employéeset peuvent ainsi soutenir leur famille. Nora Kort dépeint une société endifficulté. Mais selon elle, la solution réside dans “la beauté et la culturequi transcendent les limites. Il existe tellement de similarités entre lescultures”.

Troisième et dernier arrêt : la communauté juive

Le tour se termine par le Quartier juif de Jérusalem. C’est au terme de laguerre des Six-Jours que cette zone de la Vieille Ville sera entièrementreconstruite. Difficile entreprise pour la municipalité de Jérusalem del’époque, car le nombre d’antiquités enfouies dans le sol complique lestravaux. Autre dilemme des architectes : décider des reconstructions àeffectuer, ou non. La maison de Sara Yoheved et Leib Yaacov Rigler contrasteavec les façades blanches et refaites à neuf de l’ensemble du Quartier juif,car la demeure est vieille de 900 ans. Des piliers du VIe siècle et une mezouzay ont été retrouvés

Sara, écrivaine, grande contributrice du site aish.com et son mari musiciensont tous deux américains. Ils n’ont de cesse de proclamer leur privilège devivre aussi près du Kotel et du Saint des Saints. C’est à leurs yeux lemeilleur endroit pour vivre leur foi. Leib ajoute : “Je me sens proche de Dieudans ma vie de tous les jours, car il est présent à Jérusalem”.

Mais le couple reconnaît qu’il s’agit-là d’un endroit difficile à vivre, oùles voitures ne peuvent circuler. Déjà, Yasser Qous avait lui aussi souligné lescomplexités de la vie quotidienne à l’intérieur des remparts. Rues souventencombrées de touristes et nombreuses manifestations religieuses. Le directeurexécutif du centre africain avait même déclaré en riant qu’il n’existe aucunevie privée dans la Vieille Ville et qu’il ne met pas le pied dehors durant levendredi du Ramadan, de toute façon il ne peut pas circuler car les rues sontbondées.

Sara et Leib font remarquer “qu’il faut être motivé pour vivre entre lesanciens murs de Jérusalem”, mais la proximité du Temple est l’idéologie qui lesporte. S’en suit une longue discussion sur la paix, engendrée par un tableaud’art kabbalistique contemporain accroché au mur. Ce tableau aux couleurs vivesreprésente la réunification de Jérusalem haute et basse, matérielle etspirituelle.

Ce jour-là, tandis que les Musulmans accrochaient des guirlandes de Ramadamdans les rues, Sara et Leib se préparaient pour Tisha Beav et la commémorationde la destruction des Premier et Second Temples.Jérusalem, ville aux multiples visages, porte décidément bien son nom.Au-delà des désordres, les trois communautés rencontrées ont toutes beaucoupdonné pour appartenir à cette Jérusalem confinée dans son antique écrin demurailles. Et c’est avec fierté qu’ils clament leur amour de la Vieille Villeet le privilège de pouvoir être dans ce lieu saint, symbole d’accomplissementreligieux pour tous.