Le kibboutz, nouveau modèle de capitalisme ?

Sdot Yam, un exemple réussi d’une combinaison inédite de capitalisme et de socialisme.

1312JFR21 521 (photo credit: Reuters)
1312JFR21 521
(photo credit: Reuters)
En Israël, comme dans le reste du monde, on estd’accord sur le fait que le capitalisme comme système de production et dedistribution des richesses est mauvais. Mais par quoi peut-on le remplacer ?Pour paraphraser la fameuse citation de Churchill sur la démocratie : «Lecapitalisme est un mauvais système, mais il est le moins mauvais de tous.» TheEconomist, magazine d’affaires britannique a récemment noté qu’alors que lacrise économique frappait tout le monde, les milliardaires, eux (dont la totalerichesse s’élève à un ahurissant 26 milliards ou 38 pour cent du PIB mondial)ont vu leur richesse augmenter de 14 pour cent. Et ce, en l’espace d’anseulement. Selon le magazine américain Forbes, on compte en Israël 13milliardaires – un nombre élevé comparé à la taille du pays. A contrario, enChine, où la population atteint presque 200 fois celle d’Israël, on en dénombreuniquement 95. Si le capitalisme constitue le partage inégal des richesses etle socialisme, le partage égal de la pauvreté, est-ce qu’un modèle hybride decapitalisme et de socialisme créerait un partage des richesses plus équitable ?Une réponse possible se dessine dans l’endroit le plus inattendu – au kibboutzSdot Yam, à 42 kilomètres au sud de Haïfa. Récemment, The Marker, quotidienéconomique israélien, titrait à son propos : «Un kibboutz est prêt à vendre sonentreprise de marbre pour la coquette somme de 600 millions». Il est vrai queles membres de la coopérative possèdent 57,8 pour cent des parts deCaesarstone, une compagnie qui fabrique des surfaces de quartz conçues pour lescuisines, salles de bains, sols, escaliers et le revêtement des murs.
Mais le journal s’était trop avancé : les membres du kibboutz n’ont nulleintention de vendre leur compagnie à une firme capitaliste d’investissement. Maissi, toutefois, ils devaient le faire, ils deviendraient tous instantanémentmillionnaires, puisque les profits seraient divisés équitablement entre eux.
Les déboires du marbre 
On peut s’étonner du fait qu’un kibboutz, modèle même dusocialisme, soit arrivé à créer une entreprise cotée sur le marché global à 600millions de dollars. Certes, il existe des entreprises kibboutziquesflorissantes, mais elles sont de haute-technologie. Par exemple, LVTHa-Basahan, du kibboutz Lehavot, fabrique des extincteurs haut-de-gamme pour l’armée.Ou Plasan Sasa, du kibboutz Sasa, spécialisée dans la production de blindage devéhicules.
Mais le cas du kibboutz Sdot Yam est particulier. En ceci qu’il prouve que sesmembres, comme les capitalistes, peuvent investir dans une innovation audacieuseet risquée, puis de là, bâtir une richesse à long terme. Surtout, pluscapitalistes encore, ils ont su résister à la tentation des profits rapides età court terme.
Sdot Yam a été fondé en 1936, à la demande pressante de David Ben Gourion. Situéeau bord de la mer, au nord de Haïfa, la coopérative était soi-disant unkibboutz de pêche.
En fait, elle servait de base à Palyam, l’armée de Mer de la Hagana. Sa mission: faire passer clandestinement des Juifs en Palestine.
C’est ainsi que Yossi Harel, le célèbre commandant de l’Exodus, est enterré aucimétière du kibboutz, qui compte parmi ses autres célébrités, Hana Szenes,héroïne de la Seconde Guerre mondiale. Et parmi ses habitants, le médaillé d’ordes Jeux olympiques en planche à voile, Gal Fridman. En 1940, le kibboutz adéménagé à son adresse actuelle, juste au sud de Césarée.
Toutes les décisions majeures du kibboutz sont prises collectivement. C’estainsi qu’en 1987, les membres ont approuvé un investissement de 8 millions dedollars, sous forme d’emprunt, pour l’achat d’une chaîne de productionitalienne, dans le but de fabriquer du marbre synthétique. Le résultat ad’abord été désastreux : le marbre, parfaitement adapté au climat italien, sedésintégrait sous les températures israéliennes. Le kibboutz a dû se démenerpour s’acquitter de ses remboursements, à tel point, dit-on, que l’argentmanquait pour se nourrir.
Marge bénéficiaire de 42 % 
Le dirigeant de l’époque, Menashé Harari, décidealors de passer au quartz. Mais en 1992, un miracle se produit avec ladécouverte par le professeur Moshé Narkis du Technion d’un additif chimiquepour fermement fixer ensemble le polyester et le quartz.
Le kibboutz va alors partager cette découverte avec la firme italienne qui luiavait vendu les machines, geste complètement anticapitaliste. Certainspensaient qu’il s’agissait-là d’une énorme erreur, mais la réalité a prouvé,bien au contraire, que l’initiative était lumineuse. Le concept des surfacessynthétiques a été avalisé par la profession et finalement, Caesarstone a tiréprofit des ventes. Son concurrent principal, aujourd’hui, n’est autre queSilestone, entreprise mondiale.
Dans un marché où le prix reste la préoccupation principale, les entrepreneursen bâtiment et les architectes préfèrent le marbre synthétique, bien moinscoûteux que le marbre véritable. Et bon nombre de chefs d’entreprises ontcompris que, non seulement les produits de remplacement ne sont plus rejetés,mais qu’ils suscitent un intérêt grandissant.
Aujourd’hui, les actions de Caesarstone, sur le marché boursier du Nasdaq,défient le marché mondial, puisqu’en mars dernier, elles s’échangeaient à 11dollars et que leur cote atteint désormais 15 dollars.
Si les compagnies d’investissement sont intéressées par Caesarstone, c’estparce que son avenir est prometteur. Ses revenus au premier quart de 2012plafonnent à 29 pour cent de 67,3 millions, grâce, en particulier, à son succèssur le marché américain. En 2012, la compagnie prévoyait des ventes d’un totalde 300 millions de dollars, avec des profits bruts d’environ 70 millions dedollars. Sans compter la marge bénéficiaire de 42 pour cent, un tauxremarquable pour une entreprise qui n’est pas de haute-technologie.
Les ventes se répartissent entre l’Australie et les Etats-Unis à hauteur de 28pour cent, Israël avec 14 pour cent et le reste du monde pour les 30 pour centrestants. Yossef Shiran, le directeur actuel, met l’accent sur la promotion deCaesarstone.
Une récente campagne publicitaire diffusée sur la télévision israélienne soulignaitque les modèles s’inspiraient droit de la nature, une manière de neutraliserl’image négative du synthétique. Comme les stylistes de mode, la compagnie créerégulièrement de nouveaux designs.
Le kibboutz a, bien entendu, bénéficié du succès remarquable de sa société. L’annéedernière, celle-ci lui a versé 12,6 millions, dont 5 millions de salaires pourles 112 employés du kibboutz et 3 millions de loyer locatif.
Maxime Ohana, membre du kibboutz, est président du conseil d’administration. TeneInvestment Funds, actionnaire minoritaire, possède 24,7 pour cent des parts deCaesarstone, dont la majorité appartient donc au kibboutz Sdot Yam.
Pas à vendre 
Le secteur dynamique des entreprises israéliennes est caractérisépar des chefs d’entreprises novateurs, qui lancent des compagnies puis lesvendent à un prix élevé. En 2007, juste avant la crise économique mondiale,plusieurs des 87 compagnies israéliennes ont été achetées pour un total de 3,79milliards de dollars. Si l’argent a bel et bien été injecté en Israël, desemplois et des innovations ont été perdus. Les socialistes en savent doncpeut-être plus sur le capitalisme à long terme.
Selon le quotidien local Calcalist (l’économiste), le secrétariat du kibboutz aécrit à ses membres, pour contredire l’annonce de la mise en vente deCaesarstone, dont l’initiative semblait venir de Tene Investment Funds et deson directeur Ariel Halperin. Ils avaient autorisé la banque américaine J.P.
Morgan à chercher des investisseurs. La lettre avait été écrite suite à laprofonde colère exprimée par des jeunes membres du kibboutz après publicationde l’article de presse qui annonçait une vente imminente.
Cet épisode a toutefois montré le grand intérêt des investisseurs,impressionnés par le succès et la croissance de Caesarstone sur le marchéaméricain, où l’immobilier se relève de la crise.
La leçon tirée par les 711 membres du kibboutz : garder le contrôle de leurcompagnie. Caesarstone et le kibboutz Sdot Yam démontrent que l’on peutproduire de la richesse et la partager également. Et par là, prouvent aussi quedes socialistes peuvent battre les capitalistes sur leur propre terrain.