Le psy des messies

Pour le Dr Pessah Lichtenberg, psychiatre des âmes rédemptrices, le syndrome de Jérusalem est d’abord un phénomène juif

Le psy des messies (photo credit: DR)
Le psy des messies
(photo credit: DR)

Si vous empruntez une ruelle sinueuse de la Vieille Ville de Jérusalem,vous aurez toutes les chances d’apercevoir l’un des nombreux “messies” de lacapitale. Atteintes de ce qui est connu sous le nom de “syndrome de Jérusalem”,ces pauvres âmes sont persuadées d’être inextricablement liées à un processusde rédemption inhérent à cette ville.

Le diagnostic du syndrome de Jérusalem n’a pas été clairement défini. Mais leDr Pessah Lichtenberg en donne une définition sommaire : “toute sorte defantasme de rédemption où la ville de Jérusalem est impliquée.” Dans cettecapitale d’Israël, au caractère religieux et historique extrême, “les idées devenue imminente du Messie” peuvent “habiter” et affecter n’importe qui. Même siles religieux sont les plus touchés.

Lichtenberg, professeur à l’Université hébraïque et directeur de la sectionpsychiatrie pour hommes à l’hôpital Herzog de Jérusalem, est l’un des pluséminents experts mondiaux sur le sujet. Souvent interrogé sur les cas de sespatients par de nombreuses publications à travers le monde, Lichtenbergregrette que les médias couvrent généralement le cas “classique”, celui du“pèlerin dévot qui perd la boule” une fois débarqué en Israël.

Le syndrome de Jérusalem, souligne-t-il, “n’est pas réservé aux Chrétiens.”Si la majorité des patients conduits dans les hôpitaux pour cause de déliresmessianiques sont effectivement des adeptes de l’Eglise, beaucoup sont juifs.“Chaque fois que je suis interviewé par la presse, je parle aussi des casjuifs, mais les journalistes ne semblent jamais intéressés”, se plaint-il. Pendantqu’il énumère les diverses manifestations de ferveur religieuse excessiverencontrées dans son travail quotidien, un patient psychiatrique fulmine del’autre côté de la porte de son bureau. Le docteur essaie de le calmer.

C’est dans cette ambiance picturale que Lichtenberg décrit les cas les plustypiques qu’il est amené à traiter. Avant de commencer, le médecin explique quesi selon lui Jérusalem elle-même n’est pas la cause ultime de son syndromeéponyme, visiter une ville où “le messianisme est dans l’air” et où il y a unetelle concentration de lieux saints peut agir comme un déclencheur pour ceux quiont un problème préexistant.

“Le syndrome se déclenche à Jérusalem parce que les patients sont persuadésque c’est là, précisément, que les événements vont se passer. Ils ont lesentiment d’être convoqués, ils sentent qu’ils doivent se trouver là... mais cen’est pas Jérusalem en soi qui les rend malades”, explique-t-il.

Des messies, en veux-tu, en voilà

Lichtenberg a toujours prêté un grand intérêt à l’histoire du messianismejuif, comme l’épisode du faux messie Shabtaï Zvi. Mais pour lui, “la période laplus intéressante de l’histoire juive reste le siècle qui a précédé ladestruction [du Temple], avec tous ces ‘messies’ qui se manifestaient, dont unen particulier [Jésus], qui a pris une importance particulière.

Toutefois, poursuit-il, “je pense qu’aujourd’hui il y a probablement uneconcentration beaucoup plus élevée de messies et surtout de pensée messianique,partout autour de vous, vous pouvez le constater.” Une des raisons de cetterecrudescence ? Pour Lichtenberg, souvent, “l’essence de la psychose est lemiroir des sujets qui occupent” la culture populaire.

Du messianisme sioniste du mouvement d’implantation du Goush Emounim auculte de la résurrection autour du Rav Menachem Mendel Schneerson du mouvementhassidique Habad-Loubavitch, la rédemption plane sur les esprits de l’Israëlcontemporain. “Ce sont évidemment des psychoses qui traversent les âges, commeune sorte de ferveur messianique éternelle”, explique Lichtenberg. Un de sespatients réguliers est un sans-abri qui réintègre l’hôpital psychiatrique deHerzog après chacune de ses tentatives de “réorganiser l’architecture” du Montdu Temple.

“Dieu merci”, explique le Dr Lichtenberg, cet homme, un Juif, “n’est passuffisamment structuré intellectuellement ou techniquement pour aller bienloin” dans ses efforts. Parvenu sur le Mont via le quartier musulman pouréviter le barrage de police de l’entrée du Mur occidental, il est souventsurpris par les autorités en train de “prier intensément et avec véhémence dansun endroit où les Juifs ne doivent pas se trouver, jusqu’à ce qu’il se fasseembarquer.”

Il y a aussi les messies plus savants et sophistiqués. Ceux qui puisentleurs personnages dans la “riche tradition messianique” juive. Le Talmudmentionne deux messies, note Lichtenberg. “Lorsque nous internons un prophète messianique,[nous lui demandons] quel genre de messie il est, soit le “Machiah Ben-Yossef”,fils de Joseph, ou le “Machiah Ben-David”, le fils du [roi] David. Vu que laloi juive enseigne que le Messie, fils de Joseph, est censé participer àl’Armageddon puis mourir, lorsque nous avons devant nous un fils de Joseph,nous l’interrogeons longuement sur d’éventuelles pulsions suicidaires. “

Plus cocasses que dangereux

Les cas traités par Lichtenberg vont de ceux qui croient connaîtrel’identité du Messie et sont chargés de hâter sa venue, à ceux qui se prennentpour le prophète Élie, annonciateur de la rédemption imminente. “Parfois, lespatients ne se prennent pas eux-mêmes pour le Messie, mais ils l’ont repéré, cepeut être un rabbin du quartier, un de leurs amis ou même quelqu’un qu’ils ontvu à la télévision.”

Une fois, un malade est arrivé dans un état agité, obsédé par le “rachat”d’un site archéologique adjacent à l’hôpital où, croyait-il, “les prêtres duTemple prépareront les divers encens et huiles utilisés pour le service duTemple.” Après avoir été emmené en promenade à travers le site, il s’est un peucalmé, même s’il n’a jamais tout à fait renoncé à ses convictions sur cet endroit”et sur son rôle salutaire.

L’“Elie” moyen se sent “mal parce qu’il doit soudain assumer beaucoup plusde responsabilités qu’il ne se sent capable”, note Lichtenberg. Un autre cas,plutôt cocasse, est celui de David Ben-David (David, fils de David), uncolporteur qui vend des grattoirs pour le dos, rue Agrippas, au centre deJérusalem. Lichtenberg, qui connaissait l’échoppe de “Ben-David”, a été surprisde le voir débarquer à sa clinique au tournant du millénaire - une période “oùl’on redoutait une profusion de prophètes”. Le colporteur avait soudain décidéqu’il était le Messie.

Ben-David, “bizarrement accoutré, mais au fond inoffensif”, sera libéré del’hôpital après une nuit, raconte Lichtenberg, “parce qu’il n’y avait aucuneraison de le garder ici. Je l’ai renvoyé vendre ses grattoirs.” Lui-même Juiforthodoxe, le médecin “connaît bien ce qui anime ses patients” et essaie de“les aider à comprendre quelles pourraient être les aspirations spirituellesderrière leurs idées apparemment loufoques.” Il les aide à trouver “le coeur dusens ou de la vérité de ces idées.”

Et si le vrai Messie juif se montrait soudain, que ferait-il ? Lichtenbergsourit et répond par un clin d’oeil : “Nous laissons chacun raconter sonhistoire” et nous leur accordons toujours “le bénéfice du doute.” “Quelquesrares fois j’y ai presque cru”, plaisante-t-il, “mais jusqu’à présent, mes espoirsont toujours été déçus.” Cependant, conclut-il, “si le Messie devait venir, ilpourrait finir ici, à l’hôpital, et cette responsabilité, je la prends très ausérieux !”