Le rabbin de l’exemple

Son récit est un des plus poignants de ces dernières années. Son destin, qui débute par les affres de la Shoah pour déboucher sur les plus grandes responsabilités religieuses, un modèle de piété. Rencontre avec le rabbin de l’exemple

rabbin (photo credit: avec l'aimable contribution de OU Press)
rabbin
(photo credit: avec l'aimable contribution de OU Press)
L’histoire de ce grand rabbin est bien connue dansles cercles hébraïques. Né à Piotrkow en Pologne, Israël Méir Lau est le descendant d’une dynastierabbinique qui remonte à des milliers d’années. Son périple, du ghetto jusqu’aucamp de concentration de Buchenwald en compagnie de son grand frère protecteurNaftali, a séduit les Israéliens de tous horizons. Le récit d’une vie qu’ilavait relaté dans une biographie, écrite en hébreu et traduite en français en2010, qui avait révélé les errances d’un jeune enfant, ses journées de peur,sans défense, dans la Pologne de l’après-guerre jusqu’à sa réhabilitation enFrance. Et finalement Israël, où il a rejoint les haredim (ultra-orthodoxes) jusqu’àdevenir l’un des personnages rabbiniques centraux du pays.
Interrogé par le Jerusalem Post, Lau, qui a servi au sein du rabbinat del’armée, se remémore la formation de l’Etat à travers les yeux d’un jeunegarçon à la recherche de sa propre reconstruction. Mais aussi le ghetto où ilse cachait des “Aktion” allemandes, les liens tissés avec un prisonnier deguerre russe qui lui a sauvé la vie dans les camps. Il a su humaniser la Shoahpour nombre de ceux qui avaient du mal à se sentir liés à ses horreurs. Etmettre en lumière la résonance que la Shoah a eue sur les Israéliens, y comprisceux qui n’ont pas de lien direct avec le génocide européen.
A l’heure où les tensions sont vives, il offre un nouvel entendement de lacommunauté haredi et de son développement, parallèlement à la constructiond’Israël. Le Grand Rabbin Lau entrevoit des similitudes entre son parcours etl’idéologie nationale juive du sionisme. Et confie qu’il se considère comme un“pont” entre laïcs et religieux, au sein d’Israël.
Le jeune Israël Méir avait à peine deux ans lorsque la Seconde Guerre mondialea éclaté. Son enfance a été marquée par cette expérience et, note-t-il, il a dûpar la suite réapprendre à se comporter en gamin.
Après la guerre, Lau et son frère Naftali ont été recueillis par leur oncle.Habitué aux pincements de joue des autres détenus du camp, plus âgés que lui,le jeune Israël Méir ne sait pas comment interagir avec ses nouveaux camaradesde jeu de Kiryat Motzkin. Et pour leur prouver son amitié, le futur GrandRabbin leur pinçait solennellement les joues. Puis, jeune étudiant, un librairede Jérusalem l’a comparé au futur Grand Rabbin sépharade Ovadia Yossef, unétudiant pauvre au Kollel.
L’autre face de Tel-Aviv
A l’issue de son mandat de Grand Rabbin, Lau a reprisson poste précédent de rabbin de Tel-Aviv-Jaffa. Interrogé sur le contrasteentre son observance religieuse et le laïcisme légendaire de la Ville blanche,Lau répond que Tel-Aviv possède une autre face. Une face que ne voient pas ceuxqui ne vivent pas dans la ville. Les stigmates laïcs, explique le rabbin,proviennent de ceux qui viennent à Tel-Aviv pour prendre du bon temps. Pour lesbars, les discothèques et la plage. De ceux qui ne distinguent pas la viereligieuse de la ville.
“Il existe 200 classes de Talmud par jour, à Tel-Aviv. Aucune loi n’oblige unrestaurant à être casher, mais j’accorde plus de 970 certificats de cashroutpar an. S’il n’y avait pas de demande, les propriétaires de restaurants nesigneraient pas. Et tous les grands hôtels sont cashers.”
“Les médias rendent compte de la Gay Pride, qui dure une heure, une fois paran, mais passent sous silence les autres parades. Dont les milliers de fidèlesqui se rendent deux fois par jour dans les synagogues de Tel-Aviv, qu’il pleuveou qu’il vente.” Les divisions religieuses illustrées par Tel-Aviv ne seraientdonc pas aussi radicales que les marginaux orthodoxes et laïcs le laissentpenser, indique Lau.
L’optimisme du rabbin découle en partie de ses expériences auprès de sesenseignants. Ses maîtres lui ont appris à trouver l’équilibre entre la piété personnelle,extrêmement rigoureuse, et le respect des autres. Des qualités qu’il chercheconstamment à imiter.
Selon lui, “le problème entre les religieux et les non-religieux est une questiond’éducation, de connaissances et de relations publiques”. Les Israéliens laïcsdevraient recevoir une éducation plus orientée vers le judaïsme. Educationqu’il a lui-même dispensée lorsqu’il était professeur en écoles laïques. Etd’ajouter que malgré les gros titres qui mettent l’accent sur l’extrémisme etle rejet haredi, les ultra-orthodoxes s’intègrent de plus en plus à la sociétéisraélienne. Il cite, entre autres, la dispersion de sa communauté dans le pays et expliquequ’“un gros changement est survenu dans la communauté haredi”. Ses membresintègrent l’armée et quittent les zones ultraorthodoxes traditionnelles pours’établir en Galilée, en Samarie et dans le Néguev.
“Autrefois, ils vivaient seulement à Jérusalem puis à Petah Tivka et Bnei Brak.
Désireux de poursuivre leur existence, ils quittent le ghetto. Ce qui lescontraint à se mélanger à [d’autres] Israéliens dans la vie de tous les jours,notamment au travail. A ce jour, beaucoup d’entre eux suivent des études dansle champ du high-tech, dans l’informatique et l’électronique. Il existedésormais beaucoup de facultés haredi”.
D’après Lau, l’insolence des extrémistes ultra-orthodoxes constitue finalementune réaction à une vague d’ouverture qui déferle doucement sur leur communauté.
Respecter le souvenir de la Shoah
 Lau a largement manifesté son opposition à lapolitisation de la Shoah. Il a par exemple désapprouvé l’utilisation dessymboles des persécutions, dont l’uniforme des camps de concentration etl’étoile jaune, lors du rassemblement ultra-orthodoxe à Jérusalem, débutjanvier. Devant les images du Premier ministre grimé en nazi qui ont circulé,il s’indigne. “Il est interdit d’utiliser le terme de Shoah pour autre choseque le souvenir. Cela affaiblit la Shoah”, explique-t-il avec véhémence.
“Le livre sur la Shoah le plus largement diffusé est Le Journal d’Anne Frank.Dans cet ouvrage, les camps de concentration ne sont pas mentionnés. Ni la mortou même les trains de la mort. L’ouvrage traite d’une cachette à et des interactionsd’une famille et de ses voisins. Ce livre a fait le tour du monde, parce que,pour la première fois, il a donné un nom à une personne en particulier, et unehumanité, un visage et une identité ; l’auteure n’était pas un numéro.Elle n’était pas seulement l’une des six millions, mais un être à part entière.Elle avait une personnalité. Les gens du monde entier ont donc pu s’identifierà elle et éprouver de l’empathie pour cette pauvre petite fille qu’était AnneFrank.”
Le rabbin explique que lui aussi avait un nom à son entrée à .Par la suite, il n’était plus que le matricule 117030. “Je n’ai plus eu ni nomni identité.”
“Je veux que cette histoire fasse le tour du monde entier, pas seulement dumonde juif. Et cet accent sur la Shoah que l’on reproche souvent aux Juifs, lestaxant ‘d’obsessionnels’, est vital.”
“La négation de la Shoah est souvent utilisée pour délégitimer Israël. Etlorsque le monde oublie la Shoah, cela facilite la tâche de ceux qui, comme lesthéocrates iraniens, commencent à préparer une Shoah 2.”
Selon Lau, des pays comme la Pologne ou l’Allemagne, qui ont dû faire face àleur propre rôle dans le massacre, sont devenus de solides alliés d’Israëlprécisément parce qu’ils ont “retenu la leçon”. Et ont accepté la Shoah commepartie intégrante de leur patrimoine national. Aux yeux du rabbin, les leçonsde la Shoah revêtent une importance suprême. Et ceux qui les oublient,ajoute-t-il, détruisent sa portée.