Les combattants de droite

On pensait tout savoir sur l’insurrection du ghetto de Varsovie. Mais de nouveaux éléments montrent que l’histoire officielle a oblitéré le rôle important des révisionnistes, courant nationaliste du sionisme

Combattants (photo credit: © DR)
Combattants
(photo credit: © DR)

La révolte du ghetto de Varsovie, emblème de l’histoirejuive, est un épisode très souvent relaté. Mais il s’avère aujourd’hui qu’il nel’a été qu’à moitié. Le récit conté depuis la guerre sur ces Juifs qui ont choisi de se battreplutôt que “de se laisser mener passivement à l’abattoir” omet un groupe aurôle éminent, probablement pour des raisons politiques. Dans un livre non encore traduit en français, Moshé Arens rétablit la vérité.En tant qu’ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères, etprofesseur d’aéronautique, les premiers pas d’Arens dans le champ historiquesont convaincants. Son but : sortir de l’oubli les hommes et les femmes dumouvement de jeunesse Beitar. Ceux-là mêmes qui constituaient le second groupearmé du tristement célèbre ghetto, plus petit en taille mais mieux préparé etarmé. Leur arsenal comprenait deux mitrailleuses, alors que la plupart desautres combattants n’avaient que des grenades et des pistolets à leurdisposition. Et la bataille qu’ils ont livrée est restée dans la mémoire ducommandant SS qui a détruit le ghetto, Juergen Stroop, comme la plus dure àaffronter tout au long du mois d’opérations. Paradoxalement, leur rôle estpassé aux oubliettes durant des décennies et n’a toujours pas été réhabilitépar l’histoire officielle. Rappel des faits. Dans la Varsovie d’avant-guerre, une vibrante communautéjuive de 370 000 âmes voit s’opposer d’intenses rivalités idéologiques. Il y ales groupes sionistes de différents courants, tournés vers l’hébreu. Les Boundistes, antisionistes, parlant le yiddish et d’orientation socialiste.Mais aussi les orthodoxes, les communistes et les révisionnistes (dont faitpartie Beitar, le plus grand mouvement de jeunesse juif de Pologne). Chacun maintenant une grande distance avec les autres.

Le fondateur du mouvement révisionniste, Zeev Jabotinsky, plaide par exemplepour un sionisme militant. Il se propose de “réviser le sionisme”, ce qui le rend dangereux aux yeux dessionistes plus modérés.
Ces différences idéologiques prennent un tour dramatique lors de l’assassinaten 1933, du leader Haïm Arlozoroff sur la plage de Tel-Aviv. Deuxrévisionnistes sont arrêtés, puis blanchis après un long procès. Maisl’étiquette “fasciste” reste malgré tout désormais accolée au mouvement.
Quand la force ne vient pas de l’union

Puis avec l’invasion allemande en 1939,tous les dirigeants des organisations juives à Varsovie fuient en Lituanie.Plus tard, certains d’entre eux rejoignent leurs organisations. Mais MenahemBegin, lui, préfère se rendre en ,même si les lettres de Jabotinsky qui lui parviennent depuis Londres luireprochent ce choix. C’est Pawel Frenkel, à la tête du Beitar, qui le remplacealors pour devenir le leader du mouvement révisionniste en Pologne.

C’est seulement dans le ghetto, après la déportation de plus de 270 000 hommes,femmes et enfants que les différents courants parviennent à se mettre d’accordet à coordonner leurs efforts pour préparer l’insurrection.Mais même alors, les révisionnistes ne sont pas invités à rejoindre lecommandement militaire. Une seule décision est prise les concernant : leBeitar, qui a déjà construit une base de combats dans le périmètre nord dughetto, restera le seul maître de ce territoire. Les autres cellules de combatsrévisionnistes opèrent dans d’autres parties, mais sans coopération entreelles.Les hommes du Beitar creusent un tunnel de 50 mètres de long sous le mur dughetto jusqu’à un appartement du côté aryen. De là, est établi un contact avecune branche de la résistance polonaise pour acquérir des armes. Desinstructeurs polonais vont aller jusqu’à ramper dans le tunnel pour entraînerles hommes juifs au maniement d’armes et d’explosifs. L’autre groupe decombattants, le ZOB, fait sa propre contrebande.
Dans les deux camps, ce sont les membres des mouvements de jeunesse quiinitient la bataille. Leurs aînés demeurent passifs lors des déportationsmassives de septembre 1942. A l’époque, 50 000 Juifs sont parqués dans leghetto. La plupart ont été épargnés pour servir de main-d’oeuvre à l’effort deguerre allemand.
Durant les six mois qui s’écoulent entre la grande déportation et le combatfinal, le ZOB et le Beitar se rencontrent à plusieurs reprises, sans parvenir àunir leurs forces. Les combattants préparent un système élaboré de passagessouterrains, leur permettant de passer de bâtiments en bâtiments, via les murs,les caves et les toits des immeubles, sans descendre dans la rue.
Ecartés de l’histoire officielle

Au matin du 19 avril 1943, l’opérationallemande finale commence : 850 hommes pénètrent dans le ghetto accompagnésd’un tank et de voitures blindées.

L’anniversaire d’Hitler a lieu le lendemain et la destruction du ghetto deVarsovie doit faire office de cadeau de la part de son armée.Alors que les SS s’avancent, ils sont surpris par des tirs de balles et degrenades provenant des immeubles environnants. Des cocktails Molotov incendient le tank. Les troupes allemandes se retirentprovisoirement.

C’est le soir de Pessah et le Seder est célébré au coeur des passagessouterrains et des appartements abandonnés. Il faudra 28 jours aux forces nazies pour soumettre le ghetto en le brûlantcomplètement. Dans son journal, Joseph Goebbels, chef de la propagandenationale socialiste, écrit, une semaine après le début des opérations : “Descombats très durs ont lieu. Cela montre de quoi sont capables les juifslorsqu’ils sont armés”.

Un certain nombre de combattants parviennent à s’échapper, mais sont tués ducôté aryen. Il en va ainsi de Frenkel qui meurt deux mois plus tard au coursd’un duel avec des soldats allemands. Le chef du ZOB, Mordekhaï Anielewiz, esttué également, mais Itzhak Zuckerman et sa femme Zivia Lubetkin, tous deuxmembres du haut commandement de l’organisation, survivent. Le récit deZuckerman devient la version officielle de l’histoire de l’insurrection. Durantles combats, il rédige des communiqués réguliers, diffusés par une radio derésistance polonaise. Zuckerman y décrit l’insurrection comme menée par les membres du ZOB “quirassemble tous les éléments actifs de la communauté juive” et ne fait aucunemention des combattants du Beitar.
Ce récit de Zuckerman et Lubetkin, parmi les fondateurs du kibboutz LohameiHagetaot (les combattants du ghetto) demeure le récit officiel. Après lesconflits, la division politique d’avant-guerre demeure intacte, chacun desgroupes ayant participé à l’insurrection emphatise, assez naturellement, sonpropre rôle. Si les révisionnistes sont quelquefois mentionnés, c’est seulementde façon marginale. Eux-mêmes ne cherchent pas à se réhabiliter, tous leursleaders de Varsovie ayant été tués, il n’y a plus personne pour raconter lavérité.Les quelques membres du groupe qui atteignent la occupaient des fonctions mineuresau sein du mouvement, ou n’y sont même pas affiliés, et ne sont donc pasécoutés. Les factions sionistes socialistes qui ont participé à l’insurrectionse fondent dans le parti travailliste israélien. Ce dernier n’a aucun intérêtpolitique à célébrer le courage des révisionnistes, devenus membres du partiHerout (l’ancêtre du Likoud) de Begin.
Le leadership de droite n’a jamais fait non plus de ce sujet une prioritépolitique.