Les deux versants de la colline

Givot Olam, une ferme prospère de Judée-Samarie. Certains la connaissent pour la qualité de ses produits bios. D’autres lui imputent une haine anti-arabe. Ses habitants s’expliquent

Givot Olam se trouve à quelque six kilomètres de l’implantation d’Itamar,au sud-est de Naplouse. On n’y entend que le craquement du sol rocheux et sec.Ces collines arides de Judée-Samarie pourraient faire penser aux paysagesauvergnats, avec une touche israélienne.

L’implantation qui s’étale au sommet d’une colline constitue la plus grandeferme biologique d’Israël. Son ranch est impressionnant : 500 moutons et unmillier de chèvres paissent sur les collines verdoyantes. Des centaines depoulets élevés en plein air s’ébattent à l’intérieur d’un large enclos, avec unaccès ouvert à un poulailler chauffé et couvert où les poules pondent leurs œufs.

Une cinquantaine d’employés font tourner la ferme, constituée d’un moulin àfarine de taille industrielle, d’une usine alimentaire qui fournit lanourriture biologique des animaux, et d’une chaîne de production automatiséepour traire les chèvres. Le lait sert ensuite à fabriquer sur place fromage,yaourts et autres produits laitiers acheminés dans tout le pays chaque jour.

Le paysage pittoresque et l’ambiance champêtre font facilement oublier queGivot Olam (littéralement collines du monde) est une implantation illégalesituée sur l’une des poudrières du pays.

A bien des égards, le terrain accidenté sert de métaphore aux habitants qui ontbâti leur vie ici. S’y installer n’a pas été une partie de plaisir. La collineétait stérile avant l’arrivée d’Avri Ran, le fondateur du Mouvement des jeunesdes collines. C’est pourtant là qu’il a créé boutique en 1998.

A sa façon, l’agriculteur répondait ainsi à l’entrevue entre le Premierministre d’alors Binyamin Netanyahou et le président américain Bill Clinton, ausujet de nouveaux retraits de la région de Judée et Samarie. Aujourd’hui,l’endroit est florissant. Mais la vie au ranch n’est pas des plus commodes : 40minutes de voiture pour le supermarché le plus proche et une heure pourTel-Aviv ou Jérusalem, quand les embouteillages ne s’en mêlent pas.

Les enfants du primaire fréquentent l’école de Maalé Levona, à 20 minutes de laferme. Quant aux adolescents, ils sont dispersés dans les lycées-yeshiva et lesséminaires pour filles du pays. Tous les hommes s’engagent dans les patrouillesde sécurité. Ainsi que la majorité des femmes.

Une vie à part

Difficile, sans doute, à comprendre pour les citadins : les habitantsexpliquent qu’ils ont choisi Givot Olam précisément pour son contraste avec lavie urbaine. La tranquillité, les activités de plein air, le travail manuel etsurtout, la vie au cœur de la Terre d’Israël. “C’est un endroit incroyable pourvivre et élever des enfants”, s’exclame Sarah Ben-Itzhak, la fille de Ran, unemaîtresse-femme de 26 ans, mère de trois enfants. “Il existe une véritablecommunauté ici. Et nous avons l’impression de tous travailler ensemble à un butqui nous dépasse : l’aménagement de la terre d’Israël et l’approvisionnement enproduits biologiques de nombreux habitants.”

Comme Ben-Itzhak, le personnel permanent entretient des liens avec la familleRan. La plupart ont été chargés de la construction des infrastructures du ranchet de développer l’entreprise familiale. Par ailleurs, le caractère rustique etcalme de la ferme, aussi bien que le travail avec les animaux, convient particulièrementaux jeunes à la recherche d’un emploi saisonnier. Ainsi qu’aux personnes quiont besoin de se retirer pour un temps de la vie citadine agitée ou pour les Israéliensen situation de crise.

Concernant cette main-d’œuvre, il existe autant d’histoires que depersonnalités. Tzippora Laguna, 43 ans, est née au Chili, a grandi en Espagne,vécu en Suède après son mariage et a fait son aliya suite à son divorce un anet demi plus tard. Tzvi Arié Scheinerman a, quant à lui, été élevé dans unefamille ultra-orthodoxe à Monsey, New York, et vit en Israël depuis dix ans. Ila fait son aliya à 15 ans, seul.

Tous les employés de la ferme sont religieux. Bien que leurs parcoursdiffèrent, quelques points communs relient la communauté entière. Laguna etScheinerman disent tous deux trouver du réconfort auprès des animaux. Ilstémoignent également du calme et de la solitude de Givot Olam, un endroit idéalpour les “chercheurs”. Un lieu qui leur permet de se retrouver, et pour lesreligieux de communier avec la Bible et avec Dieu. “Je suis infirmière, maistravailler comme bergère est certainement la chose dont j’ai tiré le plus desatisfaction dans ma vie”, s’amuse Laguna, une petite femme très en forme,conséquence de son activité physique à la ferme. “Ma première tâche,en 1987,était de m’occuper des vaches au kibboutz Zikim à Gaza. J’adorais ça. Aprésent, je soigne les chèvres entre 7h et 10h le matin. Puis je vais préparerle déjeuner en cuisine. J’ai beaucoup de temps à ma disposition, et chaquechèvre a sa personnalité. Elles ne vous répondent pas insolemment”,s’amuse-t-elle. “Cette expérience m’a permis de prendre confiance en moi et deme permettre de me retrouver, de toucher mon moi profond, la personne que jesuis vraiment.”

Cette dévotion à l’épanouissement personnel et à la communauté a payé : GivotOlam est aujourd’hui la plus grande ferme biologique du pays. L’entreprise atrouvé sa place dans les cercles sensibles aux questions de santé d’Israël. 85% des oeufs biologiques du pays en proviennent, ainsi qu’une majorité dufromage et du lait biologique. Tnouva, le plus gros conglomérat israélien deproduits laitiers, est l’un des clients les plus notables, tout comme NitzatHadouvdevan, l’enseigne de produits santé.

Grosse ombre au tableau : les relations de voisinage A l’est de Givot Olam, lavue ne pourrait être plus idyllique. Par temps clair, on peut apercevoir lesmontagnes de Jordanie et il n’y a pratiquement personne à l’horizon.

La colline voisine est connue sous le nom de la Colline aux Trois mers. Enl’absence de nuages, il est possible d’y distinguer la mer de Galilée, la merMorte et la mer Méditerranée. De l’autre côté se dresse l’implantation d’Itamarainsi que les villages arabes de Yanoun et Awarta en contrebas. L’implantationde Har Bracha se trouve un peu plus loin, au sommet du Mont Gerizim et du MontEval, à proximité de Naplouse, la ville arabe la plus importante du nord de laJudée-Samarie.

Mais en dépit des merveilleux paysages, le voyage vers le Nord depuis Jérusalemsur la Route 60 témoigne d’un conflit sans fin. La région est parsemée desouvenirs douloureux : les monuments commémoratifs aux victimes israéliennesd’attaques palestiniennes pavent le chemin. Rien qu’à Itamar, 26 personnes ontperdu la vie ces dernières années. La dernière attaque en date a touché cinqmembres de la famille Fogel, assassinés dans leur sommeil en mars 2011.

Avri Ran est lui-même une figure controversée. Si les enseignes alimentaires desanté se fournissent en produits de Givot Olam, des Arabes des alentours et desmilitants d’extrême-gauche lui reprochent d’avoir contribué à inciter la haineet la peur, lot quotidien dans la région.

Pionnier au visage dur, empli d’une méfiance coriace envers les journalistes,Ran explique fièrement que la communauté prend en charge sa propre sécurité etn’a jamais compté sur l’armée. Un souhait qui selon certains a transformé lavie des voisins arabes en véritable cauchemar. “Nous sommes venus ici pourcontribuer à la construction du pays”, répond-il sèchement.

“N’exagérons rien, les habitants de Yanoun ne vivent pas constamment sous lamenace d’une attaque terroriste de la part des habitants de Givot Olam,d’Itamar et des autres communes de la région”, nuance David Nir, entrepreneuren technologie de pointe et militant au sein de l’association de partenariatarabo-juive Taayoush (en arabe “vivre ensemble).

“Mais Avri Ran a été accusé de la mort de Palestiniens, et j’ai subipersonnellement le traitement infligé aux indésirables qui approchent de cequ’il appelle ‘sa terre’.
Il a certes été acquitté de toutes les charges qui pesaient contre lui, maisles enquêtes de l’armée et les procès ultérieurs relèvent de la blague.” Et deraconter que Ran lui a décoché un coup de crosse de carabine. Conséquences : untraumatisme crânien et d’irrémédiables dégâts au nez.

Agriculteur écolo ou gourou ?

Pour Dror Etkes, ancien directeur du programme “Surveillance desimplantations” de La Paix maintenant, Ran agit en gourou envers les autreshabitants de la ferme, surtout les jeunes. Selon lui, Givot Olam est très malperçue dans les alentours.

“Une fois, la violence des habitants des implantations a obligé les résidentsde Yanoun à fuir”, rappelle Etkes. “Même aujourd’hui, les Palestiniens nepeuvent pas s’éloigner de plus de 50 mètres de leur domicile sans risquerd’être attaqués. Bien entendu, il va sans dire que les territoires en questionsont des terres volées. Même si Israël les a peut-être transformés en ‘terrainsnationaux’. Des preuves photographiques démontrent que les habitants ycultivaient et y travaillaient depuis des centaines d’années. Jusqu’à ce quedes communes comme Itamar commencent à fleurir ici et là.”

Les habitants de Givot Olam refusent de répondre aux accusations de Nir etd’Etkes. Mais pour David Haivri, directeur du Bureau de liaison de la région deShomron, il s’agit “d’accusations fantaisistes”.

“Les Arabes et les gauchistes tentent depuis des années de faire tomber Avrisous de fausses accusations, mais échouent à chaque fois. De plus, denombreuses personnes au sein de ces groupes ont appelé au boycott des produitsdes ‘implantations’, mais là aussi, personne ne mord. Regardez autour de vous :Givot Olam fournit des produits biologiques et naturels aux principales chaîneset enseignes alimentaires de santé en Israël. C’est la vérité pure et simple :la Terre d’Israël produit des denrées de qualité supérieure. Et personne necroit à leur programme radical ou à leurs tentatives de dénigrements des chefsdes ‘implantations’. Ne vous y trompez pas, nous sommes en train de gagner labataille, et nous n’avons pas l’intention de nous en excuser.”