Mieux vaut prévenir que laisser mourir

Israël enregistre plus de morts annuelles par suicide que sur les routes.Le gouvernement a lancé un projet pilote pour enrayer ce fléau. Premier bilan

prevenir (photo credit: Val Mina/MCT)
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(photo credit: Val Mina/MCT)

Pour empêcher quelqu’un d’attenter à ses jours, mieux vautne pas attendre qu’il soit perché sur le toit d’un immeuble, les yeux dans levide. La lutte contre le suicide se fait en amont. Avant que la dépression etle désespoir ne l’emportent.

Un comité interministériel, fondé en 2005, a développé un programme pilote pourprévenir le suicide, sous la houlette du ministère de la Santé. Aujourd’huidans sa 4e année de réalisation, il est en place dans trois villes du pays. Etd’ici 2015, il sera étendu au niveau national.
Selon les statistiques officielles, 400 personnes - habitants et touristes,majeurs et mineurs confondus - se donnent la mort par an, en moyenne, enIsraël. Mais selon certains, il faut compter 20 % de plus. A titre de comparaison,les accidents de la route font 370 morts par an, pointe Yamina Goldberg,directrice du Programme national pour la prévention du suicide. Mais “tandisque le gouvernement dépense 300 millions de shekels chaque année pour prévenirles accidents de la circulation, seuls 37 millions sont consacrés à la missionde prévention contre le suicide”, poursuit-elle.
Conséquence : plus de 6 000 Israéliens arrivent chaque année aux servicesd’urgences pour des tentatives de suicides. Et l’on estime que 2 000 de plus nesont pas signalées aux hôpitaux. Chaque mois, Magen David Adom reçoit 600alertes au suicide. Mais du fait de la stigmatisation sociale qui accompagneces événements, il reste difficile pour les autorités de recueillir desinformations précises.
Psychologue clinicienne diplômée de l’université de Tel- Aviv, Goldberg estresponsable de 500 psychologues qui travaillent dans le système de santépublique. Elle est impliquée dans la lutte contre le suicide depuis 2004, soitun an avant de devenir présidente du comité interministériel.
Son département est très petit : un chef-adjoint et 3 postes et demi-consacrésaux tâches administratives.
L’équipe est également responsable de la promotion des soins pour enfantsabusés sexuellement, victimes de violences domestiques et d’autres problèmes.
Un réseau d’“anges” gardiens

Goldberg associe un certain nombre de corpsgouvernementaux à son ministère pour le projet : le ministère de l’Education,le ministère des Services sociaux et caritatifs, le ministère de l’Intégration,le ministère de l’Emploi et du Commerce, des institutions académiques, ainsique l’Agence juive et des associations bénévoles. D’autres, tel que Tsahal, ontrejoint le comité par la suite. “Nous avions décidé qu’il était temps d’agir,plus seulement de parler”, se rappelle Goldberg.

“ N o u s sommes alors allés à la Knesset, devant la commission des finances,dirigée à l’époque par le parlementaire Yaacov Litzman (aujourd’huivice-ministre de la Santé). Ce dernier a compris qu’il s’agissait d’uneresponsabilité de l’Etat, et a accepté d’allouer de l’argent à un programme deprévention”. Le projet est financé à hauteur de 6 millions de shekels pourtoute sa durée.
“Nous avons étudié en profondeur ce qui se faisait dans le reste du monde et nousavons découvert plusieurs stratégies efficaces. Le programme s’adresseparticulièrement à trois catégories de population : les personnes âgées, lesjeunes et les nouveaux immigrants (en particulier d’Ethiopie et d’ex-Unionsoviétique)”.
Trois villes sont dès lors visées en priorité : Rehovot, forte d’une richeimmigration, Ramlé, à la population mixte juive et arabe, et Kfar Kanna,uniquement arabe.
Un quart des fonds proviennent de l’American Joint Commitee, le reste duministère de la Santé.
Le programme pilote a débuté en 2009 et devait devenir national en 2012,explique Goldberg. Mais une correcte évaluation du projet n’a pas su se faireen si peu de temps.
Le projet est basé sur le recours à des “gardiens” : professeurs, conseillerséducatifs, travailleurs sociaux, éducateurs, travailleurs de santé,accompagnateurs d’aliya, leaders de mouvement de jeunesse et d’autres encore.
Aucun n’est expert en prévention de suicide mais peut détecter des signes dedétresse. Les réseaux sociaux, très utilisés par les jeunes, sont bien sûrsurveillés. Plus inattendu : les coiffeurs et chauffeurs de taxis sontégalement sollicités. Pour être souvent témoins de confidences sur le vif, ilspeuvent alerter les autorités si un client parle de se suicider.
Le réseau de “gardiens” comporte 300 psychologues et psychiatres et 500volontaires dans le secteur juif (à travers l’association ERAN) et le secteurarabe (Shahar).
Fugues, piercings, drogue : à surveiller

Les signes qui annoncent une tentativede suicide éventuelle peuvent être identifiés : comportements extrêmes, peursirrationnelles, apparence négligée et changement dans la façon de s’exprimer ;dépression, usage d’alcool et de drogues, passages à l’acte tels que fugue,jeux, et piercings excessifs ; mensonges ou vandalismes, chute des résultatsscolaires, baisse de concentration et hausse de l’absentéisme à l’école.

“Nous avons beaucoup investi dans du matériel d’information en 4 langues”,indique Goldberg. Des messages vidéo pour lutter contre la stigmatisation ontété diffusés sur le web. “Nous avons même créé une pièce en amharique pour lesimmigrants éthiopiens, avec des acteurs et un metteur en scène de lacommunauté. Ils ont joué 8 fois jusqu’à présent, et cela a été un grand succès.Le message qu’ils font passer est très fort. Nous pensons produire la pièce enrusse également.” Autres secteurs de population à risques : les soldats, lespersonnes tout juste divorcées ou veuves, les homosexuels et les personnes auxproblèmes mentaux.
Les professionnels sont formés à reconnaître les signes avant-coureurs. Ils ontalors recours à un traitement court de 12 semaines, à l’aide la thérapiecognitivo-comportementale (TCC), la thérapie comportementale dialectique (TCD)ou la psychothérapie interpersonnelle (TIP).
La TCC est une approche basée sur la parole, qui cherche à résoudre lesdysfonctionnements émotionnels, comportementaux et cognitifs. Elle est orientéevers des résultats concrets. Les études ont montré que la TCC est efficace pourtraiter l’anxiété, les désordres alimentaires, les troubles de l’humeur et dela personnalité. Elle est recommandée pour les personnes suicidaires. La TCDest une approche développée par la psychologue Marsha Lineham pour traiter lespersonnes à la personnalité dite “borderline”.
Elle mêle la TCC à des techniques de pleine conscience comme la méditation.Enfin, la TIP est une thérapie limitée dans le temps, qui se concentre sur lesrelations interpersonnelles et la capacité à les construire. Elle a été initiéepar Harry Stack Sullivan, un psychiatre et psychanalyste juif américainfortement influencé par la sociologie et la psychologie sociale, et s’estdéveloppée à la fin des années 1970 en tant que traitement complémentaire pourles personnes souffrant de dépression modérée à sévère.
Selon les nouvelles réglementations, les services sociaux sont obligésd’informer les parents de toute tentative de suicide de leur enfant. S’ilsvivent dans une des trois villes du projet pilote, ils peuvent être traitésimmédiatement.
“Dans tous les hôpitaux concernés, les services d’urgences nous connaissent”,explique Goldberg. De fait, trois fois plus de personnes sont envoyées entraitement depuis le lancement du programme.
Le taux de suicide a-t-il également baissé ? “Il est difficile de mesurer uneréduction du suicide dans les trois villes en si peu de temps. Mais lessoignants estiment qu’il y a déjà des effets. Par exemple, il y a eu deuxsuicides par an à Kfar Kanna de 2006 à 2009, mais aucun en 2010”, annonceGoldberg. “Il y a également une baisse à Rehovot et à Ramlé, mais nous avonsbesoin de temps et de recherches pour savoir si cela résulte de l’approcheproactive du projet pilote.”