Militante bédouine, et féministe

Rencontre avec Amal Elsana Alh’jooj, invitée à participer à la Conférence présidentielle à Jérusalem

bedouine (photo credit: Reuters)
bedouine
(photo credit: Reuters)

Amal ElsanaAlh’jooj est une militante bédouine. Elle travaille au sein de plusieursorganisations, dont le NISPED (Institut stratégique de paix et de développementdans le Néguev), qui oeuvre pour améliorer les relations entre Juifs et Arabes,à la fois sur le terrain et auprès de la sphère politique israélienne.

Candidate en 2005 pour le prix Nobel de la Paix, Amal Elsana Alh’jooj militedepuis ses 17 ans pour une plus grande coopération multi-ethnique en Israël.Elle se refuse à porter comme un fardeau sa condition de femme au sein d’unecommunauté patriarcale. Ses chevaux de bataille : la création d’un Etatpalestinien, qu’elle voit comme une solution aux difficultés de cohabitationentre les différentes communautés de l’Etat hébreu. Et le développement departenariats solides entre Juifs et Arabes israéliens, qui dépassent le cadredu bon voisinage.
Qu’est-ce qui vous as poussée à vous lancer dans l’activisme ?

Le fait d’êtrenée fille dans ma famille. Je suis née dans une communauté où l’on n’a pasréellement de droits, en tant que femme. On ne peut revendiquer une égalité dedroits, et ce dès le premier jour de sa vie. Depuis que je suis toute petite,j’ai compris ce que voulait dire l’inégalité, c’està- dire être exclue simplementà cause de son apparence ou de son genre.

L’inégalité en tant que femme ou en tant qu’Arabe ?

Pas uniquement entant que femme. A 5 ans, j’étais été témoin de la destruction de la maison dema tante. J’ai demandé à mon père, “Pourquoi ?”, et il m’a répondu “Parce quenous sommes arabes.” A l’âge de 6 ans, je savais deux choses. Premièrement, jesuis une femme dans une société patriarcale, et deuxième chose, je suis unecitoyenne arabe dans un Etat israélien. Je suis donc une citoyenne de secondeclasse, pour ces deux raisons. Et j’ai très tôt compris que ces deux notionsdéfinissaient ma vie.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions de vie des Bédouins àl’heure actuelle ?

Il y a 200 000Bédouins qui vivent dans le désert du Néguev. Tous sont citoyens d’Israël,puisque le gouvernement israélien a décidé en 1963 de donner la nationalitéisraélienne aux populations bédouines. Mais cette citoyenneté signifie aussil’absence de reconnaissance pour 82 000 Bédouins qui vivent dans leurs villagesd’origine, villages qui existaient avant l’établissement de l’Etat d’Israël. Ilsn’ont pas d’eau, pas d’électricité, aucune infrastructure. Chaque matin, lesenfants doivent marcher des kilomètres pour aller à l’école. Quand on se renddans ces villages non reconnus, les conditions dont nous parlons correspondentà celles d’un pays en développement. Or Israël n’est pas un pays endéveloppement, c’est un pays développé et moderne.

Les Israéliens sont-ils au courant de ce problème ?

Pas du tout. Lamajorité des Juifs israéliens ne savent pas du tout ce qu’il se passe. En fait,j’ai l’impression qu’il y a trois catégories. La majorité des gens nes’intéressent pas du tout à la question, et s’en moquent. Quand on leur parledes Bédouins, ils nous disent “Ah oui, avec les dromadaires et les tentes !” Ladeuxième catégorie, ce sont les Israéliens très à droite, qui savent mais neveulent pas entendre parler de nous. Et enfin, il y a une catégorie plusrestreinte que les autres, celle des Juifs israéliens de gauche, des activistespour les droits de l’Homme et les droits sociaux, beaucoup plus au courant etprêts à militer pour cette cause.

Quelles sont les principales activités que vous organisez en tant quemilitante ?

Je dirige leCentre juif et arabe pour l’Egalité et la Coopération. Nous avons troisdomaines d’action. D’abord, nous cherchons à bâtir et renforcer la coopérationentre Juifs et Arabes autour d’intérêts et de projets communs. Il ne s’agit pasjuste d’une question de dialogue, le dialogue fait partie de la coopération,mais ne suffit pas. Nous cherchons plutôt à nous réunir autour de problèmesconcrets que nous cherchons à résoudre ensemble, en partageant lesresponsabilités.

Nous pensons que c’est un moyen d’améliorer le dialogue à un niveau plusglobal. Ensuite, nous encourageons à l’entreprenariat économique pour lesfemmes, qui sont la clé du changement social.
Le dernier aspect de notre travail repose sur le volontariat. Nous avons plusde 720 volontaires, qui sont présents et opèrent dans plus de 82 endroits,surtout des villages non reconnus.

En dehors de mon travail associatif, je dirige aussi l’école Hagar, qui réunitdans un même environnement éducatif des enfants juifs et arabes.

Quel est selon vous le plus gros défi pour Israël concernant les droits desBédouins?

Parler desvillages non reconnus dans le Néguev est le plus important. Cette question deterres n’a toujours pas été réglée par les pouvoirs publics israéliens. Le gouvernementne reconnaît même pas le fait qu’il existe de tels villages, ce qui expliquequ’on ne leur fournisse aucun service, même basique.

L’autre grand défi consiste à lutter contre les ségrégations.
J’aimerais voir des villages où cohabitent Juifs et Arabes, plus d’écoles quienseignent à la fois aux enfants juifs et arabes, plus de mixité dans lesusines, les départements de hightech… Cette vie en communauté est tout à faitpossible dans le Néguev : 30 % de la population est bédouine, mais les 70 %restants sont des Juifs.
Votre travail se situe donc à la fois sur le plan local et aussi dans uncadre de politique générale ?

Oui, tout à fait.Travailler uniquement au niveau local est un bon début, mais ce n’est passuffisant pour faire changer les choses.

Avez-vous le sentiment que la classe politique israélienne écoute vosrevendications ?

C’est plutôtdrôle, au début, beaucoup semblaient vraiment impressionnés, “Waouh c’est uneBédouine !” et ils me donnaient un espace de parole, mais dans un cadre trèspaternaliste.

Ils ont aussi été surpris de voir une femme bédouine monter au créneau. Je mesouviens, en 2003, j’ai rencontré l’administration Sharon, et on m’a demandé àplusieurs reprises qui organisait la rencontre : “où est l’homme ?” Il n’y avaitpas d’homme, c’était moi qui organisais ! J’ai aussi rencontré le Premierministre Ariel Sharon. Il s’est levé et il m’a dit “Mais qu’est-il arrivé auxBédouins, ils ont été corrompus ? Des femmes qui les dirigent !” Mais très viteils ont compris que j’étais décidée à me faire entendre. Ma grand-mère m’aappris qu’il n’y avait pas besoin de poignarder quelqu’un pour qu’il écoute, ilfaut simplement utiliser les bons mots et le bon discours.
Aujourd’hui je peux dire que je suis écoutée notamment au Ministère del’Education. Où que j’aille, on me respecte et on m’écoute, et c’est de cettemanière que certains de mes programmes ont été implémentés par le gouvernementisraélien.
C’est un travail énorme que de combattre la bureaucratie, mais quand on a unseul discours, qui n’est pas hypocrite (j’ai le même discours sur le racismeauprès du gouvernement israélien qu’auprès de l’Union européenne), les genssont plus enclins à travailler avec moi.
Si un député de la Knesset vous demandait une solution simple à mettre enœuvre pour le problème des villages non reconnus, quelle solutionsouhaiteriez-vous suggérer ?

Asseyez-vous à lamême table que les Bédouins, et reconnaissez leur droit à posséder leurs terresdans le Néguev. Au moment où le gouvernement israélien acceptera de reconnaîtreque ces terres appartiennent historiquement aux Bédouins et qu’il ne revientpas à Israël de les distribuer, la communauté bédouine pourra se sentir libre.

Pensez-vous que votre point de vue sur une solution binationale (un Etatpalestinien aux côtés d’un Etat juif) est partagé par les membres de votrecommunauté ?

Oui je le pense.Mais je ne parlerais pas d’Etat juif, cela souligne trop le côté religieux. Jeme réfère à un Etat israélien, que je souhaite être le foyer du peuple juifainsi que de tous ses citoyens. Je ne peux pas vivre dans un Etat qui s’appelle“juif” ou “musulman”.