Montefiore se voit pousser des ailes

Quand le meunier de Yemin Moshé se réveille : son moulin, complètement remis à neuf, est désormais prêt à battre vite et fort. Pour faire du pain d’antan

Nombre de moulins à vent ont ponctué le cours du siècle écoulé. En Israël,où les vents sont saisonniers, la structure se fait rare. Mais elle existe toutefoispar deux fois à Jérusalem.

Comme nombre de leurs confrères de par le monde, les moulins s’étaientprogressivement éteints au fil des ans. Pourtant, à la fin du mois d’août, lesailes de Montefiore se sont remises à tourner, brassant fièrement l’air de lacapitale israélienne. Le Premier ministre Binyamin Netanyahou était présent enpersonne pour l’occasion, aux côtés des dirigeants de la Fondation deJérusalem, qui a supervisé les travaux de rénovation, estimés à 5 millions deshekels. Au programme : réparation et restauration. Afin que le moulin à ventretrouve son ancienne gloire. Très prochainement il sera même possible d’ymoudre du blé, faisant de lui le seul moulin à vent en activité de tout Israël.

Des générations entières d’Israéliens et de Juifs du monde ont grandi avecl’image de l’édifice qui surplombe majestueusement les hauteurs du quartier deYemin Moshé, face à la Vieille Ville. Figure emblématique, le moulin est restéintact durant quasiment toute son histoire.

Construit en 1857 par le philanthrope britannique Moïse Montefiore, il est leseul moulin à avoir été utilisé pendant près de deux décennies. Jusqu’à ce quela machine à vapeur prenne le devant de la scène et le rende obsolète.

Il semble que Montefiore a eu l’idée d’une minoterie au cours de son quatrièmevoyage en Palestine, en 1855 alors que la guerre de Crimée fait rage entrel’Empire russe et la coalition composée de la Grande-Bretagne, la France,l’Empire ottoman et le Royaume de Sardaigne. Les retombées économiques de la campagnemilitaire ont alors aggravé les conditions de vie, déjà difficiles à Jérusalem.

A cette époque, la population habite exclusivement l’intérieur des murailles dela Vieille Ville.Montefiore et le rabbin britannique Nathan Adler entreprennent de recueillirdes aides au nom des Juifs de Palestine, principalement regroupés à Safed,Tibériade, Hébron et Jérusalem. Pour les deux hommes, il s’agit d’une “campagnede collecte de Fonds pour les Juifs qui souffrent en Terre sainte”. Le but deMontefiore, explique Marc Sofer, président de la Fondation de Jérusalem,n’était pas de faire la charité mais d’offrir à ses coreligionnaires un moyende subsistance digne. “Yemin Moshé sera le premier quartier construit hors desmurailles de la Vieille Ville. Ce sont d’abord les plus pauvres qui vont s’yinstaller. Montefiore a construit le moulin à vent comme une source de revenuspour ces Juifs”.

La rose du moulin

En fait, une triple motivation se cache derrière le projet de construction.Tout d’abord, il s’agit de permettre aux Juifs de Jérusalem de moudre le blé àun prix sensiblement inférieur à celui des moulins arabes. Ensuite, il fournitaux responsables du moulin une source de revenus non négligeable, et offre à lacommunauté juive de la ville une installation locale et pratique.

Au début de l’année 1857, un contrat est signé avec les Frères Holman,mécaniciens anglais situés à Canterbury (Kent) : les pierres de la tour serontextraites de leur région. Compte tenu de la dimension des murs de l’édifice -près d’un mètre d’épaisseur et 15 mètres de hauteur - beaucoup de pierresseront nécessaires. Elles sont expédiées par bateau à Jaffa et la machinerielourde est transportée à Jérusalem, à dos de chameau.

Dans sa forme originale, le moulin arborait une “casquette” de style Kentish etquatre ailes, la forme la plus avancée de pales éoliennes disponibles àl’époque.
La technologie de pointe de la structure a été renforcée par l’ajout d’une rosedes vents. “Il n’y avait pas toujours suffisamment de vent pour faire tournerles ailes”, explique le directeur général de la Fondation, Daniel Mimran. “Larose des vents était ainsi en rotation pour permettre aux ailes d’attraper unmaximum d’air, de n’importe quelle direction. C’était le moulin à vent le plusavancé technologiquement au monde, à cette époque.”
Facture des frères Holman, qui ont supervisé la conception et l’envoi des piècesdu moulin : 1 450 livres.

D’après Sofer, le projet de rénovation porte bien au-delà de la petite quantitéde farine que produira le moulin à vent. Il s’agit davantage d’un symbole deconstance, d’éternité. “Ce sur quoi le peuple juif, le peuple israélien,repose”, commente-t-il. “Si vous observez l’histoire du peuple juif, vousverrez perpétuellement un mélange d’ancien et de nouveau.”

“Jérusalem ne sera jamais, et ne devrait jamais être, une ville ultramoderne,monolithique ou homogène. Cela ne lui correspond pas. Son histoire, sa religionet sa culture s’associent à sa vie quotidienne. Son passé et son futur sontliés. C’est ce qui compose Jérusalem et ce qui compose Israël. Vous ne pouvezpas mettre de côté votre passé ; mais il vous faut regarder vers l’avenir.”

Les trois C de Jérusalem

La semaine dernière, lorsque le Premier ministre a pressé le bouton de laréplique du moulin d’antan, le mécanisme éolien était soutenu par un groupeélectrogène. Au cas où le vent ne se serait pas présenté pour l’occasion. Lemécanisme du moulin à vent s’est alors ébranlé pour la première fois en plusd’un siècle et quart, grâce à deux entités temporelles venues se rencontrer.

“La Fondation de Jérusalem était heureuse de s’associer au projet derénovation”, a expliqué Sofer. “Ces trois éléments - la communauté, la cultureet la coexistence, soit les trois C - permettent à Jérusalem de rester une villevivante, une ville pluraliste, et non pas une pièce de musée. Ce moulin à ventest loin d’être notre plus gros projet, mais il est peut-être l’un des plusvisibles.”

D’après Sofer, ce projet de restauration a suscité l’intérêt de la Fondationcar il correspond parfaitement à son credo de soutien. “La philanthropie n’estpas de la charité”, énonce-t-il. “Vous montez un programme, bâtissez uneinstitution - comme le moulin à vent - et, à la fin de la journée, l’idée n’estpas de donner une centaine de dollars à quelqu’un, ni même un millier dedollars, mais de mettre sur pied un projet qui va permettre aux gens, eux-mêmes,de construire leur propre vie. Voilà ce qu’est la philanthropie, et c’est ceque cherche à faire la Fondation de Jérusalem.”

Ce n’était pas une mince affaire que de construire le moulin à vent, ici, aumilieu du 19e siècle. En plus de la logistique nécessaire pour obtenir despièces et les transporter jusqu’à la colline de Jérusalem, de très nombreuxartisans et ouvriers ont été réquisitionnés.

Au printemps 1857, Thomas Richard Holman fait le voyage depuis Canterburyjusqu’en Palestine pour superviser l’équipe de travail. Il est ensuite rejointpar son frère Charles, deux experts en mécanique venus d’Angleterre et desdizaines d’ouvriers, arabes en majorité, sont embauchés.

Les travaux progressent à un rythme effréné. Douze heures par jour, six jourspar semaine. Le dimanche représente naturellement le jour du repos enAngleterre, et les Holman ont respecté la journée sainte chrétienne ici aussi.La première pierre sera posée le 5 mai 1857 et les travaux seront achevésl’année suivante.

Mais le moulin de Montefiore va finalement fermer ses portes en 1891, en partieen raison de l’absence de vent, d’où l’avantage dont jouissent les moulins àvapeur dans les modèles suivants. La machinerie avait en outre été conçue pourle blé tendre européen, qui exige moins de puissance de vent que le blé local.

Le travail de restauration constitue en une réplique exacte du design originaldessiné par Kentish. “Ce que nous avons fait aujourd’hui est basé sur les plansdu milieu du 19e siècle”, affirme fièrement Mimran.

Après être tombé en désuétude, le moulin continue à tenir debout, même aprèsplus d’un siècle d’existence. Mais sa position stratégique va signer sa perte.Si jusque-là, “le moulin était resté dans un splendide isolement”, note Mimran,au moment de la guerre d’Indépendance, la partie supérieure de l’édifice estalors utilisée comme position de tir par la Hagana. “Jusqu’à ce qu’au début de1948 le haut-commissaire britannique émette l’ordre de le détruire”.

Une boulangerie-boutique

Le moulin a connu son premier lifting partiel en 1955, puis a bénéficiéd’une sérieuse cure de jouvence en 1967, peu après la guerre des Six-Jours, parla Fondation de Jérusalem. “Ils ont mis un bouchon en bronze à son sommet etinstallé ce qui ressemblait à des éoliennes à des fins symboliques”, ajouteMimran. “L’ensemble de ce quartier est une sorte d’hommage à la premièrecommunauté juive venue vivre hors des murailles de la Vieille Ville.”

En 1982, un autre projet de restauration a été mené, avec le soutien d’uneriche famille juive, originaire du Mexique. Puis le chapitre suivant dansl’histoire de la rénovation du moulin se situe en l’an 2000. “Il y avait desfissures dans la structure. Le bâtiment commençait à montrer des signes defaiblesse et constituait donc un certain danger”, explique Mimran. “Nous avonsmêlé le ministère du Tourisme au projet. Nous avons renforcé la structure etremplacé les ailes et le dôme - même si, encore une fois, le sommet n’était pasbasé sur la conception originale.”

Le projet de restauration qui s’est achevé cette semaine a débuté il y a quatreans environ, lorsqu’un groupe de Chrétiens néerlandais basés en Israël asuggéré d’embellir le moulin à vent et surtout de lui rendre son état defonctionnement initial.

“Nous avons retrouvé le décret initial de la société anglaise pour le moulin àvent à la Bibliothèque nationale”, explique Mimran. “Puis nous sommes allés auComité de préservation de la municipalité ratifier le plan, et au ministère duTourisme. Tout le monde était enthousiaste, et le projet a grandi jusqu’àréunir un budget de 5 millions de shekels : 2 millions en provenance desChrétiens pour Israël, 1 million de la municipalité de Jérusalem, 1 million duministère du Tourisme et le dernier million du bureau du Premier ministre, quia perçu l’initiative comme un projet de préservation du patrimoine.”

“La structure laissée quasiment vide pendant plus d’un siècle a été ramenée àla vie. Nous sommes restés fidèles à la conception originale, établie surquatre niveaux - le premier pour la farine, au-dessus pour les meules, letroisième niveau pour les sacs de blé et le niveau supérieur dédié à ladispersion de la paille et de la poussière.”

Le rez-de-chaussée abrite désormais un écran où les membres du public pourrontassister à un court-métrage sur l’histoire du moulin à vent. Sofer tienttoutefois à souligner que le film ne portera pas seulement sur l’esthétique etla symbolique.

“Le moulin produira de la farine qui sera utilisée pour cuire du pain”, dit-ilavec enthousiasme. “Ce sera comme une boulangerie-boutique. Il ne s’agit pas demettre en concurrence les établissements locaux, mais de produire une certainequantité de pain à la vente. Un véritable projet de vie !” Le lieu est trèsaccueillant. Les pierres d’origine ont été remises à neuf, des solives etautres accessoires en bois ont été ajoutés, et une vraie tranche d’histoirevoit le jour à l’intérieur du site. Plus d’un siècle et demi après son idéeoriginale, Moses Montefiore doit être ravi.