Pas de deux avec l’ambassadeur

Michelle Mazel, femme de tête et épouse de l’ancien ambassadeur Zvi Mazel, livre un récit autobiographique. Celui d’une vie passée au service d’Israël

Michelle Mazel (photo credit: SARAH BLUM)
Michelle Mazel
(photo credit: SARAH BLUM)

Derrière chaque grand homme se cache une femme. C’est le cas de l’équipe Mazel. Dès qu’on franchit le pas de leur porte, l’ambassadeur vous sert modestement le café. La vue de l’appartement à Ramat Beit Hakerem, à Jérusalem, est grandiose. Mais l’intérieur est sans fioriture. A l’image du couple, des grands-parents à la retraite très occupés par leurs sept petits-enfants, il est rempli de souvenirs. Dans son dernier livre, son 7e opus, paru en hébreu, Michelle Mazel raconte 40 ans de la vie d’une femme d’ambassadeur pas comme les autres.

De Paris à Jérusalem
C’est le destin qui a fait se croiser les chemins de Zvi et de Michelle. Elle est née à Poitiers le 17 juin 1940. Licenciée de la Faculté de Droit du Quartier Latin, elle est aussi diplômée de Sciences Po Paris. En 1962, elle est récipiendaire de la bourse d’études américaine « Fulbright », attribuée à quelques étudiants triés sur le volet. Elle part alors à l’université de Lawrence, Kansas, pour six mois, en pleine crise des missiles de Cuba. Comme son mari, né à Bnei Brak, mais qui aspirait à une carrière diplomatique dès sa tendre enfance, Michelle voulait épouser cette voie, et, pour ce faire, comptait présenter le concours de l’ENA. Mais pour Zvi et par sionisme, elle a fait son aliya à la fin des études de celui-ci – à l’institution de la rue Saint-Guillaume également –, son premier enfant sous le bras. Trois ans plus tard, Michelle suivait Zvi, nommé à Madagascar. Elle explique qu’évidemment, c’est fascinant de rencontrer les grands de ce monde. Même si cela s’est parfois mal terminé pour certains. A Madagascar, le président Philibert Tsiranana, a dû partir à la retraite forcée suite à la révolution. Georges Pompidou est décédé quand le couple était en poste à Paris. Puis, au Caire, Anouar Sadate a été assassiné. D’Egypte, ils sont rentrés en Israël et y sont restés six ans pour être auprès de leurs enfants qui s’engageaient à l’armée. Puis Zvi a été nommé ambassadeur pour la première fois en Roumanie. Là aussi, la révolution a eu lieu et Ceausescu a été exécuté. Puis ils sont de nouveau retournés en Egypte. Zvi Mazel y occupait alors le poste d’ambassadeur d’Israël. La Seconde Intifada a éclaté. Il y a eu des attentats contre le président Moubarak. De 2002 à 2004, ils ont été en Suède. Michelle Mazel précise : « On y est tombé sur une hostilité contre Israël qu’on a du mal à comprendre ». Anna Lindh, alors ministre des Affaires étrangères de Suède, a été assassinée pendant cette période.
« Ça portait malheur aux gens quand on arrivait dans un pays et, du coup, il y a dû y avoir un grand soupir de soulagement quand Zvi est parti à la retraite », sourit Michelle. « Rétrospectivement, vivre des révolutions n’a pas été chose facile, mais c’est vivre l’Histoire ». Surtout quand, et souvent pour Michelle Mazel, personne n’a autant de diplômes que vous à l’ambassade, excepté votre mari. Cette éducation aura aussi été bien utile pour se défendre, car, lorsqu’on représente Israël, on est méprisé dans le meilleur des cas, voire constamment sous le feu des attaques. Mais ces diplômes ne lui assurent pas un métier indépendant. Il est en effet très difficile, en tant qu’épouse de diplomate, de travailler dans l’Etat de résidence. Parfois, le ministère des Affaires étrangères trouve un poste au conjoint.
Mazel indique que rares sont les maris qui suivent les femmes diplomates : « La plupart sont seules ». Faut-il renoncer à se réaliser ? Michelle parle le français, l’anglais, l’hébreu et l’arabe. Au vu de son parcours, elle aurait pu faire une grande carrière diplomatique. Choisir, ça a été renoncer, aussi. Dans le monde d’aujourd’hui, elle aurait pu exercer un « suitcase job » via Internet. Mais à l’époque, c’est impossible. Alors elle fait des traductions, écrit des livres, mais aussi des articles pour nos colonnes, enseigne le français à l’école américaine du Caire, ou travaille comme secrétaire à l’ambassade à Madagascar. Pour elle, ces emplois, qui lui permettaient aussi de cotiser pour une retraite autrement inexistante, complétaient son rôle de femme de diplomate. Car, si la femme d’ambassadeur n’est pas une Première Dame, elle en a les obligations : représentation, organisation de réceptions, visite aux œuvres de bienfaisance, aux organisations juives, aux sociétés féminines. Mais pour le ministère des Affaires étrangères, à l’époque, elle n’avait aucun droit. Quand Mazel était présidente de l’organisation des épouses de diplomates, le ministère a fini par accepter de cotiser la part de l’employeur pour leur retraite. Une victoire.
Diriger la résidence et s’occuper des enfants
La diplomatie israélienne ne bénéficie pas du luxe afférent aux représentations étatiques. En panne de chauffage et de courant dans l’hiver roumain de Ceausescu, c’est grâce à la visite de Shimon Peres, qui a dû manger dans le froid glacial de la résidence, que des fonds ont pu être débloqués par le ministère et que les installations datant de la Seconde Guerre mondiale ont été changées. La lourdeur administrative israélienne, à laquelle le citoyen est rompu, ne s’allège pas à l’ambassade. Au contraire : tout passe par l’administration, jusqu’à la fuite qu’il faut réparer en Egypte. On imagine le potentiel infini de heurts entre la femme de l’ambassadeur, le personnel de la résidence, qui n’a aucune obligation de lui obéir puisqu’il est payé directement par le ministère, et la sécurité, qui vérifie tout, partout (jusque dans le tiroir des sous-vêtements). Gênant, au quotidien, bien qu’indispensable. « Il faut des trésors de diplomatie pour arriver au shalom bait », taquine-t-elle. Ainsi, il n’y a pas un instant d’intimité entre les micros dissimulés et le personnel indiscret. Personnel qui d’ailleurs est vu comme superflu par le commun des Israéliens, explique Mazel, alors qu’il est nécessaire pour l’organisation de réception de 2000 personnes ! « D’un côté, les gens se demandent souvent “à quoi peut bien servir un ambassadeur” et, d’un autre côté, ça les fascine », analyse cette aguerrie.
Les enfants, eux, allaient au jardin d’enfants avec un garde du corps à Madagascar, et sous escorte policière à l’école israélienne en France. Ils devaient s’adapter à chaque déménagement. Michelle parlait à ses enfants en hébreu hors d’Israël et en français au pays. Elle les encourageait aussi à parler l’hébreu dans les transports à Paris, car « je voulais qu’ils soient fiers d’être Israéliens, pas qu’ils éprouvent un sentiment de honte ». Ses trois enfants se sont enrôlés à Tsahal, seuls, sans avoir d’amis israéliens de leur âge.
Une vie hors normes qui aura donc inspiré son dernier livre, Lirkod im hashgrir (Danser avec l’ambassadeur, non traduit). Un livre passionnant, truffé d’anecdotes, mais aussi agrémenté de recettes culinaires du monde entier ainsi que de conseils protocolaires à l’attention des cadets du ministère. Michelle Mazel cherche aujourd’hui un éditeur français. A bon entendeur…