Qu’est-ce qu’un réfugié ?

Réponse d’un Juif tunisien à Madame Ashrawi

Refugie (photo credit: Reuters)
Refugie
(photo credit: Reuters)

A peine l’Etat d’Israël commence-t-il à demanderréparation pour un million de Juifs originaires des pays arabes, que MmeAshrawi, membre du Conseil national palestinien, déclare que ces Juifs-là n’ontjamais été des “réfugiés”. Pour elle, un réfugié est un individu qui a quittéson pays d’origine contre son gré, sous une pression extérieure, et les Juifsoriginaires des pays arabes ne correspondraient pas à cette définition.

On comprend bien qu’elle cherche ainsi à réserverce terme aux seuls Arabes qui ont fui la Palestine en 1948. Soyons doncgénéreux avec elle, et accordons-lui cette exclusivité. Reste qu’un million deJuifs ont dû quitter les pays arabes contre leur gré dans les années 1950 et60, sous la pression du nationalisme arabe. Alors, quel terme qualifierait lemieux la condition d’un Juif originaire d’un pays arabe, si Mme Ashrawi ne lereconnaît pas comme réfugié ?... Doit-on parler d’exilé ? De fugitif ?D’expatrié ? Pourquoi pas d’OVNI, pendant qu’on y est ?...

Peu importe le terme, en réalité. On prendra celuiqui conviendra à Mme Ashrawi, pourvu que cette discussion ait lieu. Car envoulant riposter à Israël sur ce terrain, la dirigeante palestinienne a acceptéun débat qui n’a encore jamais eu lieu, sur la face cachée du nationalismearabe, sa face noire, sa xénophobie, justement. Et cette xénophobie caractérisetous les nationalismes arabes, y compris le nationalisme palestinien. Personnen’a oublié l’incroyable déclaration d’Abou Mazen, selon laquelle le futur Etatpalestinien ne compterait pas un seul Juif dans sa population. Un véritableEtat judenrein...

Jusqu’ici, jamais l’histoire des pays arabes au20e siècle n’avait fait mention des 500 000 Juifs d’Afrique du Nord qui avaientdû s’arracher à leur terre d’origine en ce temps-là ; jamais non plus des 100000 Juifs d’Egypte et ceux d’Irak, de Syrie, du Yemen, de Libye, etc. Jamaisl’ONU ne s’était même penchée sur cet exode massif qui a abouti à unedéjudaïsation totale de ces pays-là, tandis qu’elle accordait aux Arabes ayantfui la Palestine la qualité de “réfugiés”. Le dépeuplement juif du mondearabo-musulman a été passé sous silence, aussi bien dans les médias que dansles livres d’histoire et aux yeux des instances internationales. Une chape desilence est tombée dessus, qui a permis à la mythologie palestinienne des’épanouir librement.

Quelques regrettables “incidents”

Pourtant, les parallèles sont nombreux entre Juifsdes pays arabes et “réfugiés” palestiniens. En Algérie par exemple, il s’estagi d’une véritable épuration ethnique en 1962. Au seul mois de juillet decette année-là, 150 000 Juifs durent quitter ce pays précipitamment etmassivement, après que le FLN eût pris le pouvoir. A vrai dire les Juifsd’Algérie n’avaient pas le choix, puisque les nationalistes algériens leuravaient proposé (ainsi qu’aux Chrétiens) comme seule alternative : “la valiseou le cercueil”. Pour autant, ce ne fut pas partout une épuration ethniquesystématique, comme en Algérie. En Tunisie, par exemple, il y eut une premièrevague de départ à l’Indépendance (1956) mais modeste. Les Juifs tunisiens n’ontmassivement quitté leur pays d’origine qu’en 1967, après les émeutes quiavaient abouti à l’incendie de la grande synagogue de Tunis. Là encore, lapreuve était faite par les foules tunisiennes ivres de haine, que nul autre queles Musulmans n’avait de place en terre d’Islam, là encore, le lien que lesArabes ont toujours fait entre les Juifs et Israël s’est vérifié, là encore,c’est la xénophobie du nationalisme arabe qui fut à l’origine de cet exode.

Il serait trop long d’énumérer toutes les formesde pression justement, qui eurent raison des Juifs au Moyen- Orient arabe. Maisque ce soit les tracasseries administratives, les meurtres ou les détentionsarbitraires comme en Egypte en 1948, tous les pays arabes ont fait en sorte queles Juifs partent, et qu’ils partent une main devant une main derrière, nus etcrus, en laissant tout derrière eux. Une présence millénaire a été ainsibalayée d’un revers de main par Ben Bella, Nasser et tous les tyranneauxarabes.

A ce sujet, Mme Ashrawi soutient que certes, il yeut quelques “ incidents”, quelques assassinats antisémites, quelques pogromsaussi. Elle reconnaît également qu’à l’époque, beaucoup de pays arabes étaientdes dictatures. Mais pour elle, ce n’est pas la vraie raison de cettedéjudaïsation massive. Selon Mme Ashrawi, si les Juifs sont partis c’est sousla pression de l’Agence juive....

Qui serait concerné par le “retour” des Juifs auMaghreb et au Machrek ?

Accordons-lui que l’Agence juive a effectivementécumé les pays arabes pour faire “monter” les Juifs en Israël. Mais ce ne sontpas les quelques milliers d’olim qu’elle a réussi à y envoyer qui ont déjudaïsél’Afrique du Nord. Dans leur immense majorité, les Juifs nord-africains ontémigré en France, pas en Israël. Mme Ashrawi se trompe lourdement sur ce pointd’histoire, mais aussi sur la mentalité collective des Juifs de ces contrées.Jusqu’à l’arrivée des Français au milieu du XIXe siècle, les Juifs d’Afrique duNord étaient des dhimmis. C’est-à-dire des citoyens de seconde catégorie,inférieurs en droit au citoyen musulman. La France leur a apporté l’égalité, laliberté, la dignité, et ils se sont reconnus dans ces valeurs-là.

Quand la France a abandonné son empire colonial,les Juifs, ne voulant pas retrouver leur ancienne condition de dhimmi, propre àtout non musulman en pays arabe, sont partis. Ni l’Agence juive ni aucune autreraison n’aurait pu les faire partir, sinon la peur de la régression sociale,politique et civique, la peur de perdre sa liberté. Accessoirement,l’interdiction d’exprimer son amour pour l’Etat d’Israël. Mais Mme Ashrawi,faisant fi de toute cette complexité, préconise tout simplement le retour desJuifs israéliens dans leur pays d’origine....

On voit là aussi à quelle sorte de calculillusoire elle se livre, pour faire avancer l’idée d’un droit au retour des“réfugiés palestiniens” en Eretz Israël. Comme s’il s’agissait de transvaserdeux quantités de matière, et non des êtres humains. Mais on s’interroge quandmême sur le sérieux de cette proposition. Qui serait concerné par le “retour”des Juifs au Maghreb et au Machrek ? Les enfants des Juifs originaires de cespays-là, nés en Israël ? Parlant hébreu et non arabe ? Ou seulement leursparents et grands-parents, pour la plupart décédés ? Il faudrait que MmeAshrawi et les dirigeants de l’Autorité palestinienne en finissent avec cegenre de songe-creux et qu’ils regardent enfin l’histoire du nationalisme arabesous son angle xénophobe. La paix passe par la reconnaissance mutuelle destorts que les parties se sont causées. Tant que les Arabes voudront répartirles rôles en s’attribuant celui de victime, la paix ne sera pas à l’ordre dujour, tant qu’ils attribueront à on ne sait quel complot sioniste ledépeuplement juif de leurs pays, ils vivront dans l’illusion. Si l’Agence juiveavait joué le rôle qu’Hannane Ashrawi lui attribue dans la déjudaïsation dumonde arabe, on se demande pourquoi ce monde-là s’est égalementdéchristianisé...

L'auteur est un écrivain français, installé àTel-Aviv. Son dernier roman, Mon coeur de père, est sorti en janvier 2012 auxéditions Fayard.