Retour à la terre

Sur les toits de Tel-Aviv, une nouvelle forme de solidarité voit le jour grâce aux jardins communautaires. Le kibboutz urbain 2.0

Jardin expérimental à Tel Aviv (photo credit: LEIGH CUEN)
Jardin expérimental à Tel Aviv
(photo credit: LEIGH CUEN)

Un paradis de semis, de plantes en pot et un entrelacs de plants de tomates ont poussé il y a deux ans, sur le toit d’un bâtiment délabré situé 11 rue Zvulun à Tel-Aviv. Les chats du voisinage y sommeillent à l’ombre, lovés sur des coussins moelleux jetés sur une chaise bleue éventrée. En gravissant les barreaux d’une vieille échelle, on peut encore accéder à un niveau supérieur du toit. Là, herbes aromatiques et salades vertes généreuses s’épanouissent. Ce jardin potager communautaire a été fondé par Ofir Brom et Iyar Semel, des résidents de l’immeuble. Ils l’ont appelé avec malice le « Zvulun Balagan », un jeu de mots en hébreu pour dire « chaos » et « venir au jardin. » « Notre communauté s’appelle la Tribu », confie Semel. « Nous en avons fait une sorte de kibboutz urbain à ciel ouvert. Un havre de paix et de liberté. »

Ça pousse comme des champignons
Ces potagers urbains poussent comme des champignons dans tout Tel-Aviv, et les citadins agriculteurs prolifèrent aussi sur la toile pour communiquer entre eux grâce aux réseaux sociaux. Lorsque le temps le permet, le Zvulun Balagan propose gratuitement des soirées cinéma et des cours de yoga entre ciel et terre. Un réseau de 16 à 20 voisins, répartis dans six appartements, s’investit activement dans l’exploitation de ce potager communautaire.
Pour Brom, dont le père est originaire d’un kibboutz du sud du pays, les valeurs sionistes qui sous-tendent ce projet sont l’élément clé de cette entreprise. « Je suis un sioniste dans l’âme, un nostalgique de la terre. Je suis en quête de racines », dit-il. « Mais c’est hors de prix de posséder une maison en Israël. J’applique donc ma mentalité de pionnier et ses valeurs de créativité et d’adaptabilité à cette vie communautaire, ici et maintenant. »
La production de cette exploitation agricole qui chapeaute leur immeuble couvre 20 % de leurs besoins alimentaires en légumes, ce qui allège considérablement leur budget. En novembre 2013, le Dr Yishai Ashlaga, économiste, écrit dans les colonnes du magazine Globes que 16 % à 22 % des revenus de l’Israélien moyen passent dans la nourriture, les populations les plus pauvres y consacrant le budget le plus élevé. Il a également fait le constat que les denrées alimentaires sont 30 à 40 % plus chères en Israël que dans la plupart des pays européens.
Non seulement ce potager urbain satisfait en grande partie leurs besoins, mais le Zvulun Balagan vend une partie de sa production à une communauté de plus en plus large d’aficionados, ce qui leur assure un revenu suffisant pour couvrir la majeure partie des coûts d’entretien du jardin. En seulement deux ans, ils ont écoulé près de deux récoltes annuelles. « C’est compliqué de gérer ce type de collectivité, hors des sentiers battus », dit Brom. « Mon appartement ne peut pas non plus devenir un lieu public ouvert aux quatre vents ».« Nous favorisons donc au maximum les initiatives communautaires et leurs interactions. L’idée est de créer des ponts entre ces différentes communautés, que ce soit entre les familles, les quartiers, les villes ou les régions, et de les faire communiquer et interagir entre elles.
Dans le même temps, Boaz Shiloh, Yael Stav et Omri Ziv, membres d’un réseautage local, ont travaillé d’arrache-pied pendant deux ans pour obtenir officiellement les droits d’exploitation du premier potager urbain de ce type cultivé sur un toit telavivien. Ouvert au public, il propose également des cours de jardinage adapté aux contraintes de ce type d’exploitation. C’est ainsi que le « Tel-Aviv, Agriculture Urbaine », a ouvert ses sillons au public, 9 rue Mazeh, en novembre 2013. « Plus de 100 telaviviens l’ont déjà visité. Ça attire un monde fou », se réjouit Ziv.
Ziv a travaillé dans le secteur industriel des hautes technologies, mais il a décidé de se remettre au vert pour renouer avec ses racines qui puisent dans la tradition agricole israélienne. « Mon père est un kibboutznik, » dit-il. « J’en ai hérité la mentalité et le goût d’en perpétuer l’héritage. Nous voulons que notre jardin soit un lieu d’épanouissement pour l’entrepreneuriat social ».
Saluée comme un succès, ce premier cycle de cours, d’une durée de sept semaines, prodigué par la « TLV Agriculture Urbaine », a fait des émules. « Les étudiants qui l’ont suivie sont restés connectés entre eux et cultivent leurs rebords de fenêtres et leurs balcons », explique Ziv. Une nouvelle série de cours a débuté en mars.
Ces cours de jardinage urbain sont parrainés par la « Garden City ». La plupart sont nés sous la houlette d’entreprises fondées ces trois dernières années, comme « Comestibles Tel-Aviv », dirigée par l’ancien chef Danny Lifshitz, et « Bar Kayma », un restaurant végétalien collectif du quartier de Florentine, qui compte 400 actionnaires.
Des jardins à la verticale
Il y a trois ans, Stav, cofondatrice de « TLV Urban Garden » a élaboré une technique de jardinage à la verticale sur les façades d’immeubles, dans le cadre de son doctorat en design de l’environnement, qu’il a mené à l’université de Technologie du Queensland. Aujourd’hui, l’arrière-cour de son immeuble couvre 20 % des besoins alimentaires de la maisonnée, et produit toute leur consommation de thés et d’herbes aromatiques. « Le jardinage à la verticale sur façades a également l’avantage de réduire de 30 % les coûts énergétiques nécessaires au refroidissement des habitations », explique Stav. « J’ai testé cela par simulation informatique lors de mes études de doctorat, et constaté que l’économie obtenue peut encore se révéler très supérieure ».
Depuis 2011, Stav a cofondé « Invivo conception », qui produit du matériel destiné aux jardins à la verticale sur façades et « Hadar Yosef », un jardin communautaire, géré par 16 amateurs en jardinage fervents adeptes du sionisme vert qui s’épanouit en jardin urbain dans toute la Ville blanche et explorant les ressources du jardinage à la verticale.
Invivio Design a d’ores et déjà favorisé l’exploitation des jardins à la verticale en façade de quatre écoles urbaines et quatre crèches locales. Il a enseigné à des résidents âgés du quartier yéménite comment optimiser l’espace vertical pour la culture vivrière. « Hadar Yosef » organise désormais régulièrement des événements publics, comme des soirées où l’on échange son savoir-faire et des ateliers de coaching entre voisins. Tous y sont les bienvenus pour partager leurs compétences.
« Il y a cinq ans, il n’y avait que quelques potagers et initiatives communautaires en centre-ville », explique Stav. Aujourd’hui, la municipalité de Tel-Aviv en comptabilise huit. Pourtant, elle semble en décalage avec des organisations comme la Société pour la protection de la nature en Israël, qui affirment que la ville en compterait plus de 25. Vu l’enthousiasme que rencontre ce jardinage local, Stav estime qu’il doit y en avoir deux à cinq fois plus qu’officiellement répertoriés. « C’est difficile à dire parce que personne ne compte », dit-elle.
Beny Shlevich, chef de file de la communauté City Tree, (Ville Arbre), qui vit et travaille rue Bialik et contribue à son développement durable, reconnaît que ces chiffres officiels sous-estiment le phénomène qui est d’une ampleur plus grande. « Il y a une explosion de potagers urbains sous l’impulsion de communautés telaviviennes. Mais elles ne sont pas toutes enregistrées par la municipalité et n’envoient pas de faire-part à la presse », affirme Shlevich.
Le militant Tami Zoriqui a fondé City Tree il y a sept ans, et a maintenant un personnel à temps plein composé de quatre résidents et un réseau de 200 à 300 habitants qui participent régulièrement aux événements qu’il organise. Shlevich estime que cette croissance est à mettre sur le compte des difficultés économiques et du marasme politique. « Aujourd’hui, il y a un important et solide réseau de jardiniers urbains dans le centre-ville », affirme-t-il.
L’afflux soudain de ces agriculteurs d’un genre nouveau n’a pas complètement échappé à l’attention des pouvoirs publics. En 2012, le ministère de la Protection de l’environnement a publié un rapport intitulé : « Les indicateurs de croissance, développement durable et bien-être ». Il affirme qu’un nombre croissant d’Israéliens participent à la vie de ces communautés pionnières, compensant les « lacunes des services publics » en matière d’environnement et de développement durable. Car quand ces services existent, ils se révèlent souvent inefficaces.
Un kibboutz urbain
A l’occasion des fêtes de Shavouot et de Tou Bishvat, des milliers de familles israéliennes visitent Ha-Chava, une ferme urbaine de Tel-Aviv gérée par la municipalité. Ses champs verdoyants s’étendent sur sept hectares, jouxtent le parc Hayarkon et longent Ramat Gan. Ha-Chava a ouvert ses premiers programmes au public il y a quatre ans. La ferme emploie aujourd’hui une équipe de huit employés à plein-temps et abrite un « jardin citoyen » qui peut accueillir jusqu’à 100 membres. Cependant, la ferme doit encore se développer pour satisfaire la demande du public. Jusqu’à présent, c’est une initiative louable mais qui n’a pas encore développé de stratégie de partenariat avec les communautés environnantes.
Zvulun Balagan cherche maintenant à ouvrir une boutique dans le quartier de Florentin, une plaque tournante de l’agriculture urbaine largement soutenue par la communauté, dont l’objectif serait de soutenir ce nouveau marché. « A la faveur des mouvements de protestation qui ont soulevé le pays, les Israéliens ont compris qu’ils ne sont pas seuls », dit Brom. « A Tel-Aviv, nous sommes tous mécontents et en galère. Le gouvernement ne changera pas. Donc c’est à nous de changer ». Alors qu’ils n’en sont encore qu’à la phase administrative qui consiste à remplir des formulaires et fournir tous les documents nécessaires, Brom prend les lenteurs bureaucratiques avec philosophie. « Peut-être que la boutique ouvrira cette semaine ou dans un mois ou jamais », dit-il. « Mais nous allons continuer à vivre de cette manière-là de toute façon ».
Selon Rebecca Shahaf, du parti Meretz, qui a été en fonction de 2008 à 2013 en tant qu’élue municipale de la localité de Givatayim, la bureaucratie est le plus grand obstacle à surmonter. « Il faut une autorisation pour tout » se lamente-t-elle. « Le public n’est pas encore assez sensibilisé à cette forme d’agriculture. Il faut d’abord investir pour motiver la population ».
Shahaf est arrivée en Israël en 1972, avec un mouvement de jeunesse sioniste et a vécu dans un kibboutz avant d’élever sa famille à Givatayim. C’est pendant qu’elle y travaillait, qu’elle a cofondé le premier programme de compostage citoyen initié par les résidents de Givatayim, ainsi que son deuxième jardin communautaire, appelé « Le Jardin Pirate ». En à peine un an, il s’est doté d’une trentaine de membres actifs et 250 voisins le visitent régulièrement. « Nous avons dû attendre des années et j’ai dû être très persévérante », dit Shahaf. « Je suis déçue par Israël aujourd’hui. J’ai moins confiance dans le gouvernement et les organisations israéliennes », avoue-t-elle. Elle est convaincue que ce mouvement vert qui éclôt dans les centres urbains israéliens est une façon de renouer avec les valeurs fondatrices d’Israël. « Le sionisme, pour moi, est un vecteur de justice sociale. Sa mission est de faire de cette terre un lieu de vie sain et équilibré pour tout le monde », dit-elle. « Nous revenons à nos racines ». 
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