Concilier ses contradictions

Etre juif orthodoxe et homosexuel ? Un défi quotidien

gays orthodoxes (photo credit: Reuters)
gays orthodoxes
(photo credit: Reuters)

Tel-Aviv élue “meilleure ville gay au monde”. Avec 43 % des voix, la Ville blanche se place loin devant sa première rivale (14 %). Une reconnaissance officielle pour une réputation qui n’est plus à faire. Les efforts menés par la métropole méditerranéenne pour se montrer la plus ouverte possible et attirer des touristes du monde entier par sa vie nocturne, au milieu d’une Terre sainte au tourisme culturel particulièrement prononcé, ne datent pas d’hier. La différence d’acceptation entre Tel-Aviv et Jérusalem est aussi devenue un poncif : “Si pour beaucoup Tel- Aviv est très “gay friendly”, ça ne veut pas dire que dans d’autres parties d’Israël ce soit la même histoire”, avance Hagaï El- Ad, directeur de l’Association pour les droits civils en Israël.

Certes, la différence d’ambiance est indéniable à moins d’une heure de voiture, mais une communauté homosexuelle d’un tout autre genre existe à Jérusalem, et au sein d’une fange de la société israélienne où l’on s’y attend le moins. En effet, le défi demeure : peut-on être gay et Juif orthodoxe ? “Ne cohabite point avec un mâle, d’une cohabitation sexuelle : c’est une abomination.” (Lévitique, 18:22) La Torah semble laisser peu ou pas d’espace à une identité homosexuelle, en interdisant la relation sexuelle à proprement parler et en enjoignant l’individu à procréer.
Si les communautés réformées ont ouvert leurs portes au cours du 20e siècle à leurs membres homosexuels, allant jusqu’à les marier, la position des rabbins orthodoxes n’a jamais transigé.
En 2001, le documentaire Trembling before G-d de Sandi Simkha DuBowski, réalisateur américain lui-même gay et massorti, explore la vie de ces Juifs orthodoxes qui refusent de faire un choix entre conviction religieuse et orientation sexuelle. La majorité d’entre eux souffrent d’une rupture familiale, d’isolement plus ou moins complet avec leur communauté d’origine, d’autant plus difficile à supporter qu’ils souhaitaient conserver une certaine religiosité.
D’autres, dont des rabbins, font tout pour refouler des pulsions découvertes après avoir fondé une famille.
“Nous sommes des êtres humains avant tout”

 

Une décennie plus tard, “le décalage entre valeurs religieuses et réalité homosexuelle condamne ces personnes à rester dans l’impasse”, avance de façon pessimiste le docteur Yaakov Meir Weil, psychiatre à l’hôpital Hadassah de Jérusalem.

Pourtant, en Israël comme aux Etats-Unis, cette communauté homosexuelle d’un genre particulier s’organise afin de pourvoir à ses membres un espace d’écoute. Il ne s’agit généralement pas de “normaliser” la situation mais d’éviter tant la diabolisation de l’extérieur, que le sentiment d’isolement.
Plusieurs organisations sont donc apparues ces dernières années, notamment depuis 2007. Israël Havrouta pour les gays et Bat Kol pour les lesbiennes sont les plus connues ; elles viennent de se voir décerner le Prix des droits de l’Homme 2011, par la République française.
“Nous avons deux niveaux d’actions”, explique Daniel Jonas, étudiant en histoire juive à Jérusalem et président de Havrouta. “Nous nous tournons d’un côté vers la communauté homosexuelle, en la constituant en tant que telle par des activités thématiques, des excursions, des Shabbat organisés. Il ne s’agit pas de faire du conseil mais de permettre à chacun de savoir qu’il n’est pas seul dans son cas. Puis avec Shoval [Shehakol Bara Likhvodo - parce que tout a été créé en Son honneur], et en partenariat avec Bat Kol, nous venons de mettre en place un programme de rencontre avec des rabbins, des éducateurs et leurs élèves. Nous souhaitons leur faire passer un seul message : nous sommes des être humains avant tout, soyez-en conscients avant qu’il ne soit trop tard, parce que vous aurez sûrement un jour un homosexuel dans votre entourage.”
Faire un “coming out” orthodoxe Si la toute première forme d’institutionnalisation remonte à 25 ans avec un groupe d’étude hebdomadaire de hassidim semi-déclarés à New York, la vague actuelle de “coming out” de Juifs qui souhaitent rester dans l’orthodoxie ne peut plus être ignorée. Et on observe de grands progrès dans l’acceptation par les communautés orthodoxes modernes aux Etats-Unis et sionistes-religieuses en Israël. “Même si beaucoup limitent leur ‘coming out’ à leurs amis ou leur famille pour éviter le jugement de leurs communautés, j’ai personnellement entendu très peu de cas de rejet depuis que nous avons ouvert Havrouta : la grande majorité n’a aucun problème à continuer à participer à la vie religieuse à part entière”, continue Jonas.
Certes, l’homosexualité ne sera jamais perçue comme normale dans ces communautés, mais le sujet n’est plus tabou. La célèbre série télévisée Srougim, où Roï, un jeune religieux, se révèle homosexuel dans la saison 2 (même s’il finit par changer d’orientation et se marier), a notamment contribué à faire entrer le sujet de plain-pied dans les foyers.
De leur côté, les autorités rabbiniques prennent conscience d’une nécessaire distinction entre prescription morale et relations humaines. “La chance des Juifs gays c’est que, face à l’ampleur des exigences de la loi juive pour l’individu, les rabbins ont toujours dû faire preuve de pragmatisme”, pense Jonas.
Mais ce pragmatisme ne va pas toujours de soi et la signature d’une Déclaration de principes en 2010 en est d’autant plus remarquable. Le document est le fruit d’un colloque sur le sujet, organisé par la prestigieuse de , qui a réuni plus de 800 personnes parmi les plus éminents représentants du judaïsme “orthodoxe moderne”.
En Israël, Havrouta, alors en place depuis seulement six mois, organisait une conférence semblable. Le rav Benny Lau y a sûrement porté le message le plus représentatif, qui consiste en un appel à la patience en attendant un changement de mentalité qui est nécessairement progressif.
Les homosexuels orthodoxes sont aussi en décalage par rapport au courant principal du monde gay. Premier point de divergence : la participation à la Gay Pride annuelle de Tel-Aviv. L’exubérance visuelle qui y règne choque certains, de même que le discours virulemment antireligieux généralement tenu. Le mouvement évite d’ailleurs de façon générale les prises de position politique.
D’autres membres tiennent par contre à participer aux parades pour justement faire tomber les clichés sur la question. “Chaque année, dans les jours qui suivent, nous recevons des messages de ceux qui nous remercient de leur avoir montré qu’on peut maintenir sa foi malgré tout”, s’enthousiasme Jonas.
L’inefficacité des “ traitements”

 

L’étiquette orthodoxe peut cependant s’avérer trompeuse. Ainsi, un récent documentaire de deux étudiantes en journalisme de l’université de Columbia, DevOUT, a pour protagonistes des individus ayant en commun d’être issus du monde orthodoxe. Mais qui répondent difficilement aux critères en vigueur, que ceux-ci soient vestimentaires, culinaires ou éducatifs.

Au final l’identification se fait par les individus euxmêmes : “Nous sommes ouverts à tous, nous n’allons pas commencer à vérifier qui porte les tsitsit, mange strictement casher ou a des relations sexuelles avec son partenaire”, explique Jonas, ancien étudiant dans une yeshiva hesder, plus religieux que la moyenne. Le spectre d’affiliations des membres est relativement large puisqu’aux côtés des sionistes-religieux figurent un nombre important de personnes moins pratiquantes mais se sentant liées à une certaine appartenance religieuse.
Quelles ambitions affichent les gays orthodoxes ? Changer la halakha n’est dans le pouvoir de personne, et ils le savent. “Nous ne nous en prenons pas à l’autorité”, explique un membre anonyme de Bat Kol. “Nous voulons surtout éviter d’être jugés par nos proches. Le monde juif doit comprendre - j’espère qu’il est en train de comprendre - qu’être homosexuel ne se résume pas à la sexualité. D’ailleurs, la Torah ne condamne que la relation sexuelle à proprement parler, et ne se mêle pas des sentiments que deux êtres humains peuvent nourrir l’un pour l’autre.”
Pourtant, l’affiliation orthodoxe et gay reste un dilemme permanent au niveau de la direction de ces mouvements. L’acceptation est une chose, elle n’empêche pas pour autant la pression à changer d’orientation sexuelle. La majorité des membres sont passés par des phases de “traitement” auprès de psychothérapeutes.
Sans succès dans beaucoup de cas. Pire, les cas de “ conditionnement” (se pincer, se frapper ou s’infliger une forme de souffrance) n’étaient pas rares jusqu’à ce que rabbins et psychologues interviennent pour mettre fin au phénomène, nuisible à la santé psychique de l’individu et donc interdit par la loi juive.
Gay cherche lesbienne !

 

Les couples d’homosexuelles sont désormais en bataille pour la légalisation des mères porteuses à leur bénéfice. Début janvier, leurs représentants rencontraient le ministre de la Santé (haredi) à la Knesset. L’objet est de contourner l’autre obstacle religieux que constitue l’obligation de procréer.

C’est ce même obstacle, mais aussi la question de l’homosexualité en général, qu’Areleh Harel tente d’intégrer. Rabbin à Shilo, l’homme s’est fait connaître début 2011 dans un reportage d’Haaretz sur son initiative originale : permettre à des gays et des lesbiennes de se rencontrer et de fonder un foyer juif dans lequel ils pourront avoir des enfants (par relation sexuelle ou par insémination artificielle). Un partenaire d’autant plus compréhensif qu’il est dans le même cas et maintient les apparences à l’extérieur.
“La situation n’est pas idéale”, répond Rav Harel à ses détracteurs, dont Daniel Jonas, qui lui reprochent d’essayer de balayer sous le tapis le phénomène homosexuel.
“Mais c’est une option qui doit être offerte à ceux des homosexuels religieux qui ne souhaitent pas faire leur ‘coming out’ parce qu’ils considèrent euxmêmes qu’il vaut mieux fonder une famille traditionnelle.
Tous ne sont pas dans ce cas-là, je le , d’autres préfèrent vivre dans un couple homosexuel, mais les résultats sont là.”
En quelques années, il a marié une douzaine de couples.
Même si deux ont depuis divorcé et que plusieurs maris ont admis au rabbin avoir trompé leur épouse, Harel reste optimiste : “Je ne suis pas sûr que cela aurait été très différent dans un couple ‘normal’.”
Longtemps très discrets, les services d’entremetteur, regroupés en projet “Anakhnou” (nous) sont désormais publics avec l’ouverture d’une page de contacts et d’informations sur le site gay religieux Kamokha (comme toi).