Du Rififi entre Liberman et Abbas

Le ministre des Affaires étrangères a tenu des propos violents à l’encontre du chef palestinien. A qui profite la polémique ?

liberman (photo credit: Ronen Zvulun/Reuters)
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(photo credit: Ronen Zvulun/Reuters)

C’est ce qui s’appelle jeter de l’huile sur le feu. Dimanche 19 août, leministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman faisait parvenir une lettreau Quartet. Sa demande ? De nouvelles élections au sein de l’Autoritépalestinienne et le renvoi de Mahmoud Abbas pour le remplacer par un “nouveauleadership palestinien légitime et, je l’espère, réaliste”. Une requête rejetéeà la fois par les Etats-Unis et l’Union européenne, et qualifiée “d’incitation”à l’encontre du locataire de la Mouqata.

Jeudi 23 août, Liberman continuait ses attaques au micro de la radiomilitaire en traitant l’action d’Abbas de “terrorisme diplomatique”. Pour leministre, avant toute négociation, il faut se poser deux questions : quellessont les intentions de l’interlocuteur ? Et ce dernier peut-il réellementassumer les conséquences de ses décisions ? En ce qui concerne Abbas, Libermanle déclare incapable d’assumer ses décisions, attendu qu’il ne contrôle pas labande de Gaza et peine à maintenir son autorité en Judée et Samarie. Et sesintentions ne sont pas pacifiques, continue le ministre. “Il n’a aucunelégitimité. Même si nous signons un accord avec Abou Mazen (nom de guerred’Abbas), il est évident qu’il sera déclaré nul et non avenu par ses successeurs”,a affirmé Liberman.

Et d’ajouter qu’il existe “un partage des tâches entre Abbas d’un côté, etIsmail Haniyeh et Khaled Mashaal de l’autre, qui conduisent le terrorisme armécontre Israël tandis qu’Abbas fait du “terrorisme diplomatique”. Ce dernier estplus dangereux pour l’Etat hébreu, affirme encore l’élu.

“Abbas est occupé à délégitimer Israël”. Pour preuve, le ministre cite lesaccusations du leader palestinien qui qualifient le pays d’Etat d’apartheid,les plaintes pour crimes de guerre déposées au Tribunal pénal international deLa Haye, la sollicitation d’une commission d’enquête auprès du Conseil desdroits de l’Homme de l’ONU, les boycotts d’Israël, les démarches unilatéralesdevant l’ONU et l’Unesco et enfin, l’accusation de vol de ressourcesnaturelles, formulée à l’encontre de Jérusalem.

Liberman a conclu en regrettant qu’Israël ne profite pas davantage de cettepériode de calme avec les Palestiniens pour faire avancer les négociations. Etde prédire que cette absence de troubles ne durerait qu’un temps.

Sans surprise, ces propos n’ont pas manqué de susciter un tollé à Ramallah.De nombreux politiques et commentateurs ont accusé Liberman de se mêler desaffaires internes palestiniennes et de mener une campagne d’incitation contreAbbas.

La veille, Binyamin Netanyahou s’était distancié des propos de son chef de ladiplomatie. Selon une source du Bureau du Premier ministre, “certes, leprésident Abbas fait des difficultés pour reprendre les pourparlers, mais nousrestons entièrement investis dans la poursuite du dialogue avec lesPalestiniens”. Et d’ajouter : “Il n’est pas dans les habitudes diplomatiquesisraéliennes d’interférer dans les procédés électoraux ailleurs”.

Bibi, Abbas, sortis grandis ?

Alors qu’une avalanche de réactions a suivi les propos jugés provocateursde Liberman, d’aucuns se demandent s’ils ne sont pas plus subtiles qu’il n’yparaît. L’ex-ambassadrice israélienne à l’ONU, Gabriela Shalev, pense ainsiqu’il n’y a pas de “réel conflit” entre Netanyahou et le chef de file d’IsraëlBeiteinou. L’ancienne diplomate estime au contraire qu’il est dans l’intérêt duPremier ministre de se montrer à la communauté internationale comme un leaderdu centre, qui tente d’étouffer dans l’oeuf les voix trop extrêmes de son gouvernement. Bibi apparaît ainsi comme modéré, un gain non négligeable alorsque sa ligne est généralement perçue à l’étranger comme étant très marquée àdroite.

Shalev s’est néanmoins prononcée contre l’habitude de certains élus ethauts fonctionnaires israéliens de s’opposer publiquement au leadership. Elle aainsi accusé Liberman d’exprimer davantage les opinions de son parti que cellesde l’Etat d’Israël sur la scène internationale.

Plus surprenant, les attaques semblent également bénéficier à MahmoudAbbas. Le président, peu populaire après les échecs de réconciliation répétésavec le Hamas, les atteintes aux libertés de la presse et la crise économiquesans précédent qui frappe l’AP, a tout à gagner à être critiqué par un éluisraélien aux yeux de la rue palestinienne. Une occasion rêvée pour sespartisans de crier “à la conspiration” juive et de regagner des voix auprèsd’une opinion lassée d’un président sans légitimité électorale depuis 2009.