Et la terre tremblera !

Jérusalem est mal preparee au seisme malgre sa location sur une faille sensible. Mais la municipalité compte sur la version locale du plan national Tama 38 pour accélérer le processus de renforcement des habitations

Et la terre tremblera (photo credit: Marc Israel Sellem)
Et la terre tremblera
(photo credit: Marc Israel Sellem)

Le11 juillet 1927, un tremblement de terre d’amplitude 6,2 sur l’échelle deRichter ébranlait Jérusalem. Son épicentre se trouvait près du pont Damiya(Adam), sur le Jourdain. Les dégâts matériels étaient considérables et lesvictimes se comptaient par centaines. 90 ans plus tôt, en janvier 1837, unséisme d’intensité similaire frappait Safed, détruisant presque toute la ville.

Situé sur l’une des plus importantes lignes de fracture du monde (le rift de lavallée du Jourdain), Israël a une longue histoire de tremblements de terremeurtriers, survenant à peu près une fois par siècle. Et s’il existe un axiomeincontestable en sismologie, c’est que, là où la terre a tremblé, elletremblera encore. Et les dommages structurels entraînent alors des pertes humaineset matérielles.
Depuis 1965, l’Etat d’Israël astreint donc les constructeurs à respecter uneréglementation antisismique, qui s’inspirait, à l’origine, des normesfrançaises. Avant d’être révisée en 1980, à la lumière des progrès del’industrie du bâtiment et de la construction antisismique. Elle se conformedésormais aux normes californiennes, qui comptent parmi les plus strictes dumonde.
En Israël néanmoins, des milliers de constructions antérieures à 1980 menacentde s’effondrer ou de se détériorer au prochain “gros” séisme. Et cela estd’autant plus vrai dans les villes les plus anciennes, comme Jérusalem.
Prendre en charge le renforcement des vieux bâtiments de tout le paysreprésenterait pour le gouvernement un coût prohibitif. Aussi a-t-on imaginé cequi semble être une solution gagnantgagnant.
Les pouvoirs publics se cantonnent à la consolidation des bâtiments publics,tout en incitant le secteur privé à s’occuper des immeubles résidentiels.
Jusqu’à deux étages et demi

C’estainsi qu’en avril 2005, le plan Tama 38 (acronyme hébreu de Master Plannational 38) est lancé. Les bâtiments résidentiels qui ne répondent pas auxnormes actuelles de résistance aux tremblements de terre, c’est-à-direconstruits avant le 1er janvier 1980 (rapport d’ingénieur à l’appui) se voientaccorder un permis de construire supplémentaire. Leurs copropriétaires confientdonc à un promoteur le soin d’ajouter un étage sur le toit et de le diviser enappartements, qu’il pourra vendre. En échange, il renforcera l’immeuble contreles séismes, rénovera les infrastructures (eau, canalisations, électricité,etc.) et les parties communes, agrandira (dans la mesure du possible) lesappartements existants en y ajoutant une pièce renforcée, ou mamad, installeraun ascenseur et prévoira un parking. Les habitants bénéficieront de tous cesavantages sans rien débourser, le coût des travaux étant couvert par la ventedes appartements de l’étage supplémentaire.

Mais approuvé il y a six ans, le plan n’a guère généré l’enthousiasme escompté.
Seuls quelques dizaines d’immeubles en ont bénéficié, principalement à Tel-Avivet ses environs, où l’immobilier coûte cher. Ailleurs, y compris à Jérusalem,l’intérêt pour le projet a été quasiment nul.
Dans la capitale, 24 demandes de Tama 38 ont été déposées. La moitié d’entreelles ont été traitées à la municipalité et huit ont reçu l’approbation. Pourl’heure, deux immeubles seulement ont entamé les travaux : le premier, rue EinGedi, l’autre, rue Kovshei Katamon.
Face à ce résultat décevant, le gouvernement a décidé, en janvier 2011,d’accroître les avantages offerts par le Tama 38. Ce ne sera plus un étage quel’on pourra ajouter aux bâtiments existants, mais un et demi dans les quartierssocio-économiques forts - comme les environs de Tel-Aviv - et jusqu’à deux etdemi dans les zones moins aisées, dont Jérusalem. Le nouveau plan autorise leslocalités à adapter le Tama selon leurs besoins.
Dans la capitale, la municipalité a donc mis au point le Tama 10038, approuvémi- 2010 et envoyé au comité régional et au comité de construction du ministèrede l’Intérieur pour approbation. Le 11 décembre dernier, le comité régional atenu sa première réunion publique à son sujet, et une autre était prévue cemois-ci.
S’il est approuvé par le comité régional, le Tama 10038 deviendra opérationnelpeu après. “La ville de Jérusalem a vraiment besoin de ce Tama 10038”, plaidel’adjointe au maire Naomi Tsour. “Beaucoup de constructions, notamment dans lesquartiers historiques, ne répondent pas aux normes. Nous avons le devoir publicet moral de faire consolider nos bâtiments, car nous subirons tôt ou tard unfort tremblement de terre, il n’y a aucun doute làdessus.
Avec un peu de chance, le Tama 10038 pourra entrer en application d’ici troismois. Beaucoup de gens l’attendent, vous savez.”
Redéfinir la cité historique

Le Tama 10038 divise la ville en 23quartiers, dont 18 “historiques”. Dans ces derniers, il sera possible d’ajouterun étage et demi aux bâtiments (sous réserve de faisabilité) et deux et demidans les autres, à condition que l’immeuble compte au moins 16 appartements àl’origine. Les ajouts pourront aller jusqu’à 25 m2, ou deux pièces parappartement, dont un mamad obligatoire. Si l’on n’ajoute qu’une seule pièce, cedevra être un mamad et sa superficie ne pourra être inférieure à 9 m2.

Dans le cadre du Tama 10038, les habitants de Jérusalemseront en outre dispensés du “hetel hashbaha” (taxe municipale surl’amélioration de l’habitat, qui peut représenter jusqu’à 50 % de la valeurajoutée par l’agrandissement). Par ailleurs, il ne sera plus obligatoire delaisser un espace minimal entre l’immeuble et la limite de la copropriété, cequi permettra d’agrandir les appartements (sous forme de pièces renforcées)presque jusqu’à la limite de la copropriété.
Le plan stipule également que, pour chaque appartementajouté, le promoteur devra fournir une place de parking, voire deux si lasuperficie est supérieure à 90 m2.
Connaissant le caractère des Israéliens, les concepteursdu plan ont estimé qu’il pouvait être difficile d’obtenir l’accord de 100 % descopropriétaires. Aussi ont-ils réduit à 66 % le pourcentage nécessaire pourlancer le Tama. Les contestataires pourront déposer leur réclamation àl’inspecteur du ministère de la Justice. Celuici, un juge, décidera sil’objection est justifiée et, dans le cas contraire, le plan entrera envigueur.
“Le Tama 10038 définit clairement la cité historique, quiinclut les bâtiments datant de la période turque et de du mandat britannique”,explique Naomi Tsour. “Chacun d’entre eux fera l’objet d’un traitementparticulier, dans lequel interviendra le conseil de quartier. L’état de nosquartiers historiques ne permet pas l’ajout de deux étages et demi. Il fautleur appliquer une version plus modeste du Tama, afin de ne pas gâcher notrehéritage.”
“Jérusalem, ce n’est pas ”, souligne Shmouel Mahalla,directeur adjoint du service municipal de la construction publique etsuperviseur du projet Tama pour la ville. “Chaque quartier est différent, il ades besoins particuliers.
Le nouveau plan tient compte du fait que Jérusalem est uneville historique.
D’un côté, il est difficile d’accorder des droits deconstruction, mais de l’autre, le prix des appartements étant plus élevé dansles quartiers préservés, les promoteurs y trouveront malgré tout leur compte.”
Quid des bâtiments classés ?

Mêmeavec ces nouvelles dispositions, il reste des d’achoppement, comme le problèmedes parkings. “Pendant quatre ans, j’ai clamé haut et le Tama 38 n’était pasviable si l’on ne pouvait ajouter qu’un seul étage”, explique Shmouel Levi,président du syndicat des entrepreneurs du bâtiment de Jérusalem et desenvirons.

“Maintenant, nous allons pouvoir construire davantage et le Tama va êtreéconomiquement intéressant, mais le sujet des parkings représente encore unobstacle.”
“Dans la majorité des immeubles, le constructeur a exploité au maximum lasuperficie dont il disposait”, explique Danny Shalom, de Baït Mehouzak, uneentreprise spécialisée dans la consolidation des bâtiments. Avec son associéDavid Ishaï, il mène les travaux de l’immeuble de la rue Ein Gedi, à Talpiot.“Aujourd’hui, beaucoup de bâtiments qui auraient besoin du Tama ne peuvent pasen profiter, faute de place pour faire des parkings.”
“Il n’est pas logique de devoir fournir deux places de parking pour lesnouveaux appartements, alors que bien souvent, les anciens n’en ont même pasune”, renchérit Shmouel Levi. “Nous avons demandé à la municipalité de passer àun seul parking par nouvel appartement. La ville doit voir les choses de façonglobale.
Au lieu de regarder chaque immeuble individuellement, peut-être devrait-elleconsidérer les quartiers dans leur ensemble : on pourrait alors trouver unesolution avec des parkings publics, par exemple. Au bout du compte, il vautmieux sauver des vies et ne pas avoir de place de parking réservée, plutôt quel’inverse, non ?” Limités à un étage et demi supplémentaires, certainshabitants des quartiers historiques se plaignent de ne pouvoir profiter duTama. À l’assemblée du comité régional de décembre dernier, le rabbin YaakovFertig, président de la communauté Boukharan/Guéoula, a ainsi plaidé avecpassion pour l’autorisation de deux étages et demi supplémentaires dans sonquartier.
“Nous sommes 50 000 personnes à vivre là”, a-t-il expliqué, “et je crains quenous ne nous retrouvions tous obligés de payer de notre poche la protectioncontre les séismes. Le danger est grand. Je comprends qu’il faille préserver lepatrimoine historique, mais il faut aussi agir. Cela ne changera pasgrand-chose d’ajouter deux étages et demi au lieu d’un et demi aux bâtimentsclassés. On ne va tout de même pas risquer des milliers de morts pour unproblème de préservation du patrimoine !” Autre problème apparemment insoluble: les bâtiments historiques protégés à 100 %. À ceux-ci, on ne peut pastoucher.
“En cas de tremblement de terre, ce seront sans doute les premiers endommagés”,a fait remarquer Amatzia Aharonson, ingénieur, à l’assemblée du comité deplanification urbaine du 7 décembre dernier. “Il faut trouver une façonéconomiquement viable de les renforcer. Ou faire appel aux fonds publics.”
La “bureaucratie imbécile”

Toutefois,même les immeubles qui répondent aux critères pour le Tama rencontrent desobstacles financiers. “Il y a encore peu de temps, les banques refusaient deprêter aux promoteurs pour ce type de projet, car n’étant pas propriétaires duterrain, ceux-ci ne pouvaient fournir de nantissement”, déplore Shmouel Levi.“Aujourd’hui, quelques rares banques commencent à accepter.

Mais sans crédit, comment voulez-vous que le promoteur entreprenne les travaux?” Quant aux démarches administratives, elles se sont révélées dissuasives pourbeaucoup de candidats au Tama 38. La municipalité promet cependant d’accélérerle processus une fois que le Tama 10038 aura reçu l’approbation finale et queles règles sont bien définies.
“Depuis le mois d’avril, je cherche à faire bénéficier mon immeuble du Tama 38.Mais je n’ai toujours pas réussi à obtenir de renseignements sur mes droits, etle promoteur refuse d’établir des plans tant que la municipalité n’a passpécifié tous nos droits noir sur blanc”, affirme un habitant de Rehavia. “J’ail’impression que la municipalité n’est pas pressée de nous aider, dans lamesure où il n’y aura pas de taxe à la clé pour elle, contrairement à ce qui sepasserait si nous demandions un permis de construire simple.”
Pour Benny Kosman, qui habite rue Shahal, à Guivat Mordechaï, c’est l’inverse :la municipalité lui refuse les droits de construction pour un ajout desuperficie s’il n’a pas recours au plan Tama.
“Cela fait dix ans que nous essayons d’agrandir nos appartements”, expliquet-il. “En mars dernier, on nous a donné l’autorisation de déposer des plans.
Aujourd’hui, on nous oblige à réaliser notre projet dans le cadre du Tama 38.
Notre immeuble date du milieu des années 1970. Il a quatre étages et 32appartements de 60 m2. J’ai moi-même trois enfants en bas âge et il y abeaucoup de jeunes familles dans l’immeuble. Nous avons besoin de plusd’espace, mais la municipalité met un temps fou à donner son accord. Elle faittraîner les choses. Et nous ne savons toujours pas si nous pourrons profiter duTama, c’est-à-dire ne rien payer, ou si cela va nous coûter de l’argent.”
Yossi Réguev, président du syndic de copropriétaires de l’immeuble de la rueEin Guedi, raconte ses pérégrinations à travers ce qu’il appelle “labureaucratie imbécile” : “Nous avons présenté le projet à une certainefonctionnaire de la municipalité. Elle l’a examiné et nous a dit d’augmenter lahauteur de la balustrade du toit. Nous avons modifié ce détail et sommesretournés la voir. Là, elle nous a demandé de rectifier autre chose.
Et ainsi de suite... Finalement, en février 2011, nous avons décidé d’en finirune bonne fois pour toutes : nous avons réclamé à cette fonctionnaire une listecomplète et définitive des modifications nécessaires. Ensuite, nous avonssoumis cette liste à Shmouel Mahalla en lui demandant de certifier qu’il n’yaurait plus rien à y ajouter. Il l’a fait, ce qui nous a enfin permisd’avancer. Shmouel Mahalla est un vrai professionnel, il connaît son sujet etles problèmes qui se posent. Quand il dit non, c’est pour une bonne raison.”
Avec le futur plan Tama 10038, l’optimisme est de mise. “Il a fallu du temps,mais je pense que les choses avancent bien. Le public a pris conscience duproblème et il est inquiet. D’ici un an, il y aura peut-être 1 000 dossiers encours à Jérusalem”, conclut Shmouel Levi.