Faire rue nette

Une loi pénalisant le recours à la prostitution est passée en première lecture à la Knesset

prostitution (photo credit: Reuters)
prostitution
(photo credit: Reuters)

Sa voix est faible, mais son message résonne clairement : on ne devient pas prostituée par choix. “Je ne connaissais pas autre chose”, raconte la jeune femme devant un comité de législateurs, de militants et d’experts réunis à la Knesset mercredi 15 février. “Je ne voyais jamais le soleil, je ne savais pas ce qu’était le matin. Jamais je me serais crue capable de faire autre chose”.

Sortie de la prostitution depuis 4 mois, qui a la parole est actuellement aidée dans le cadre d’un programme spécial, destiné aux personnes dans sa situation.
Une histoire comme des milliers d’autres. Mais cette fois-ci, elle aura peut-être un sens. Car ce témoignage intervient dans le cadre de l’avancement de la loi contre la prostitution passée en première lecture à la Knesset, la semaine dernière. Un texte qui espère enrayer une industrie du sexe florissante en Israël en condamnant les clients à 6 mois de prison ou de travaux d’intérêt public.
Selon les associations de défense des droits de l’Homme, si la loi, au terme des deuxième et troisième lectures, est ratifiée, le pays deviendra le 4e au monde à sanctionner la clientèle des prostituées. Une véritable révolution dans la lutte contre ce fléau. “Il s’agit d’une journée historique pour les victimes de la prostitution comme pour la société tout entière, qui doit cesser de voir les femmes comme des produits de consommation”, a déclaré Vered Swid, directrice de la Haute Autorité pour l’Avancement des femmes.
Le plus vieux métier du monde

 

S’il n’existe pas de chiffres officiels, le nombre des prostituées est estimé à environ 15 000, dont 5 000 de moins de 18 ans. Beaucoup sont soumises à des proxénètes et violentées par leurs clients. Quant aux consommateurs, environ 10 000 hommes ont recours à la prostitution par mois, dans la centaine d’appartements privés et de lieux de passe disséminés dans tout le pays. Entre 25 et 35 % sont issus du secteur haredi, autant appartiennent à la communauté arabe, 8 à 10 % sont des travailleurs étrangers, et le reste du tout-venant de la société. Les chiffres couvrent un large éventail ethnique et socio-économique.

Edith Harel-Shemesh, directrice de Machon Toda’a, une association de lutte contre la prostitution et l’exploitation sexuelle, explique que le combat se heurte à de nombreux clichés : la prostitution serait un choix d’étudiantes voulant gagner de l’argent, ou répondrait à un besoin masculin naturel. Penser qu’il s’agit d’un choix délibéré serait plus commode pour la société, analyse Harel-Shemesh. Car l’alternative est de comprendre qu’un groupe important de femmes est violé tous les jours. Une réalité bien plus difficile à accepter.
Cependant, il semblerait que le discours social change peu à peu. Rachel Gershuni, coordinatrice nationale de la lutte contre le trafic humain, a représenté le ministère de la Justice au sein du comité interministériel en charge de la question au cours des 3 dernières années. Selon elle, même si la loi ne passe pas en fin de compte, le message adressé au public et aux autorités est très clair : respect et égalité pour tous. Y compris pour les acteurs forcés de l’industrie du sexe. “Je ne m’attendais pas à un tel consensus, surtout de la part des ministres”, admet-elle.
“D’habitude, on rencontre beaucoup de fatalisme et des réponses du type : Que voulez-vous qu’on y fasse ? La prostitution est un phénomène millénaire !” Et d’ajouter “Les choses bougent. Ce qui montre bien que même si la rééducation prend beaucoup de temps, elle .”
Quel avenir pour les prostituées ?

 

Mardi 14 février, la Chaîne 2 diffusait un reportage controversé au sujet de femmes, ayant “choisi” la profession pour ses gains confortables, et désormais dans la crainte de perdre leur source de revenus. Si ce parti-pris peut choquer, la question mérite malgré tout d’être posée : quelles futures ressources financières pour les travailleuses du sexe ? Orit Zouaretz, présidente de la commission sur le trafic des femmes, rappelle que des programmes de soutien existent déjà. Ouverts il y a six ans, deux centres - à Tel-Aviv et à Haïfa - fournissent hébergement et soins aux femmes.

“La réhabilitation des prostituées est semblable à une cure de désintoxication. Nous les aidons à redevenir autonomes, puis éventuellement à trouver un nouveau travail”, explique Zouaretz. Si la loi passe, la demande d’aide grandira et de nouvelles ressources devront être mobilisées.
Mais alors que la classe politique semble prête à faire entériner la nouvelle réglementation, l’approbation du public semble moins certaine. “Je ne crois pas que l’ensemble de la société soit en faveur de la pénalisation. Ce qui pose question : est-il juste de faire passer une loi qui va à l’encontre de l’opinion publique ?” s’interroge Gershouni. La coordinatrice se veut néanmoins optimiste.
“La question va être débattue en commission parlementaire. Cela poussera peut-être le public à s’y intéresser davantage et, sur le long-terme, à évoluer”, dit-elle, notant que le phénomène de harcèlement sexuel est passé par le même chemin. “Je pense que notre époque considère de plus en plus la dignité humaine comme fondamentale. Le changement arrivera en fin de compte”.