Indicateurs dans le rouge

Les Arabes israéliens, victimes de discriminations récurrentes ? Pour pallier le problème, le gouvernement se mobilise

arabes israeliens (photo credit: Daniel Easterman)
arabes israeliens
(photo credit: Daniel Easterman)

Israël : 5millions de Juifs et 1,5 million de citoyens arabes. Ces derniers sontfréquemment confrontés à des difficultés économiques de grande ampleur, avecnotamment un taux record de chômage. Ils vivent souvent, à l’instar des haredimet des bédouins, sous le seuil de pauvreté. Cette réalité est complexe.

A la Knesset, les violences verbales entre les députés arabes et ceux d’IsraëlBeiteinou deviennent quasiment un sport national. Les factions ont presqueperdu espoir quant à la possibilité d’atténuer leurs rivalités. Mais tandis queles débats parlementaires se radicalisent, une petite révolution économique,inspirée par le gouvernement lui-même, est en train de prendre place.
Février 2007. Le Premier ministre Olmert annonce l’établissement d’une Autoritééconomique chargée du développement des secteurs arabe, druze et circassienafin de coordonner l’action gouvernementale en leur faveur. Objectif :“maximaliser le potentiel économique” de ces communautés. Tous les moyens sontalors bons : stimulation de l’emploi et opportunités de carrières ; mise envaleur des PME locales, amélioration des axes routiers, construction denouveaux logements et de complexes industriels pour les citoyens arabes.
Mars 2010. Le gouvernement approuve la “décision 1 539” qui consiste àdébloquer un budget de 778 millions de shekels sur cinq ans pour ledéveloppement de 13 villes et villages, majoritairement peuplés d’Arabes, àtravers tout le pays. Parmi les exemples d’utilisation de ces fonds structurels: un centre de proximité pour l’emploi à Tira, bourgade de 22 000 habitants enplein coeur de la région de Sharon, tout près de Kfar Saba.
L’établissement est un projet pilote, le premier des 22 prévus dans toutIsraël. Il propose des cours d’hébreu, d’anglais, d’informatique, et distilledes conseils pour la rédaction de CV et les entretiens d’embauche. Ces cyclesde formation s’avèrent particulièrement utiles pour les femmes arabes, commel’explique Nibras Taha, directeur de l’office. “Depuis une vingtaine d’années,la société arabe connaît d’incroyables mutations”, explique-t-il. “Le travaildes femmes n’est désormais plus tabou, même au sein des famillestraditionnelles. Les réalités économiques d’Israël sont telles que les deuxépoux doivent travailler”.
Tordre le cou aux discriminations

Malgré lestendances encourageantes, le défi reste de taille. Si les efforts pour offrirdes opportunités économiques constituent un pas en avant, certaines difficultéspersistent. Un rapport gouvernemental publié le 10 juin dernier chiffre lesinégalités des différentes minorités en Israël. Et avec un chômage de 19 %,soit 9 points de plus que celui de la majorité juive du pays, lesuniversitaires arabes israéliens ont du souci à se faire.
A y regarder de plus près, il apparaît même que l’enseignement acquis durantles études n’est que rarement mis à profit : seul 1,3 % des Arabes israéliensqui ont étudié les nouvelles technologies travaillent véritablement dans cesecteur, tandis que 50 % se recyclent dans l’enseignement. L’épais documentindique également de criantes inégalités de salaires : en moyenne 7 255 shekelsdans le secteur arabe, contre 12 120 dans le secteur juif.
Mais le plus choquant reste les discriminations à ciel ouvert.
22 % des employeurs avouent ressentir un certain a priori à l’encontre descandidats arabes. Un comportement regrettable qui nie au potentiel du secteur.D’autant plus que 94 % des employeurs de non- Juifs se disent satisfaits etprêts à poursuivre dans ce sens.
“En Israël, il n’y a pas la place pour une quelconque discrimination”, tonneBinyamin Netanyahou à la vue de ces données. Et le Premier ministre d’appelerles Juifs à montrer un exemple de tolérance.
“L’égalité est un principe qui nous est cher. Le secteur arabe a un potentielde croissance essentiel à l’économie israélienne. Nous devons créer desconditions qui facilitent l’intégration complète des universitaires du secteurarabe sur le marché du travail. Tout le monde en sortira gagnant, Juifs commeArabes israéliens.”
L’obstacle serait donc d’ordre émotionnel ? Au cours d’une conférence depresse, certains journalistes ont interrogé le maire de Tira, Mamoun Abd Alhai,quant à la création d’un “service national communautaire” de deux ans,obligatoire pour tous les jeunes Arabes israéliens, en lieu et place du servicemilitaire. La réponse du maire est vague et mitigée. S’il est conscient desbonnes intentions d’un tel projet, il préférerait que ce “service national” deremplacement soit mis en place, non pas par le ministère de la Défense, maispar le ministère de l’Education ou du Bien être et des services sociaux. PourAbd Alhai, “tant que ces programmes seront liés à Tsahal et au ministère de laDéfense, les jeunes Arabes israéliens seront toujours confrontés à un dilemme.Ils se montreront réticents à tout service tant que le processus de paixisraélo-palestinien ne sera pas résolu”.
Un shekel aujourd’hui, un autre demain

Certains estimentcependant que l’approche du Premier ministre est la bonne : des “petits pas”constants, fondés uniquement sur les progrès économiques.
Certes le problème politique resterait non résolu, mais au moins l’économie dupays en profiterait.
Ibrahim Habib est directeur régional au sein de l’Autorité économique, chargéedu développement du secteur arabe. Selon lui, ce n’est pas aux politiques des’assurer que les subsides gouvernementaux sont bien distribués, mais auxresponsables économiques. Forts de l’appui du Premier ministre, ils pourraientalors légitimement influencer les redistributions équitables.
“Pour l’heure, le secteur arabe ne reçoit pas suffisamment d’aides financièresdu gouvernement. Mais il vaut mieux recevoir un shekel maintenant, et un shekelun peu plus tard, que de tout rejeter en bloc, comme l’ont fait les membres desprincipaux partis arabes dans le passé”.
Habib est Arabe chrétien. Et il ne manque pas de témoigner de la déception dela communauté du pays quant aux partis arabes représentés à la Knesset.
“Lorsqu’une délégation de six députés s’est rendue en Libye en avril 2010 à larencontre de Mouammar Kadhafi, par exemple, les gens ont commencé à se poserdes questions”, explique Habib. “Comment ceux censés nous représenter à laKnesset peuvent-ils en même temps soutenir un tel dictateur ? Vivent-ils dansle même monde que nous ?” Et d’ajouter que même la population musulmaned’Israël commencera à approuver peu à peu les idéaux sionistes. Même si pourl’heure ils ne l’admettent pas.
Les professionnels qui travaillent dans l’administration tels qu’Habib oeuvrenten vue de projets concrets, qui permettront de réels progrès pour leurcommunauté.
Ils s’opposent à la politique politicienne et privilégient au contraired’indispensables conseils de spécialistes économiques. Au niveau local, leshommes politiques sont davantage au contact des réalités et font eux aussisouvent fi des divisions partisanes. Habib se considère lui-même commepolitiquement “atzmai” : indépendant.

- Avec JanKoscinski