Le sort des armes biochimiques syriennes

Israël craint que l’arsenal du régime d’Assad ne tombe entre de mauvaises mains. La communauté internationale est pour l’instant impuissante

syrie (photo credit: Reuters)
syrie
(photo credit: Reuters)

Le vaste arsenal syrien d’armes chimiques et biologiques, faites d’agentslétaux et invalidants, est varié en tous points de vue. Damas possède égalementdes platesformes de tirs sophistiquées, des missiles, des roquettes, uneaviation, des obus, des ogives à sous-munitions et des lanceroquettesunitaires. La plupart sont de très haute qualité. De plus, le pays détient desScuds capables de transporter des ogives chimiques partout en Israël, mêmes’ils sont tirés loin des frontières. Mais alors que le régime de Bashar Assadarrive à son terme, le sort de ces armes non conventionnelles est inquiétant.

Le problème est complexe à plus d’un titre. Le transfert d’armes chimiques - oune serait-ce que son éventualité - au Hezbollah ou à toute autre organisationterroriste pourrait forcer Israël à lancer une offensive contre la Syrie, et cemalgré le risque d’escalade. Un tel scénario est particulièrement redoutable,d’autant qu’il pourrait justement conduire les Syriens à faire usage de leurarsenal neurotoxique.

C’est pourquoi les agences de renseignements américaines se sont récemmentinquiétées d’apprendre que Damas avait fait déplacer un nombre impréciséd’armes chimiques de leur entrepôt. Les Etats-Unis ont très peur que le régimene s’en serve contre ses opposants, si les armes conventionnelles échouaient etqu’Assad, sentant la fin décidément proche, ne se lance dans une espèced’“après-moi, le déluge” apocalyptique.

Ce qui n’est pas inconcevable, car le père du dirigeant, l’ancien présidentHafez Assad, avait ordonné en son temps le massacre de près de 18 000 Sunnitesau cyanure d’hydrogène à Hama. Les autres scénarios ne sont pas moinsangoissants : ces armes pourraient avoir été déplacées pour jouer les forces dedissuasion et contrer toute intervention militaire ingérante. Ou encore pour êtretransférées à des alliés extérieurs tels que l’Iran et le Hezbollah. Autrepossibilité : qu’elles soient cachées pour un usage ultérieur.
Les armes syriennes sont de manufacture locale, mais contiennent les tracesd’une facture iranienne, voire russe. Un fait qui pousserait ces deux pays àcacher l’existence des armes ou alors à les récupérer. Enfin, dernièrecomplication : une quantité importante d’armes en provenance de l’arsenalbiochimique d’Irak a été introduite illégalement en Syrie avant la guerre duGolfe et fait désormais partie de son artillerie.

Un inventaire qui suscite l’effroi

Seule certitude : l’arsenal syrien est avant tout basé sur l’agentneurotoxique “Sarin”. Très volatile, il affiche une capacité d’infectiond’autant plus grande. Selon les estimations, Damas possède des milliers debombes aériennes et plus de 100 missiles Scuds de type B, C et D aux ogivescontenant du Sarin. Un plus petit nombre de munitions contient l’agent nerveuxVX, plus persistant, principalement sous la forme de bombe à sous-munitions. Deplus, le régime possède des roquettes emplies de gaz innervant et de gazmoutarde, cet agent qui brûle gravement les yeux, la peau et les muqueuses.

La Syrie n’a pas démenti être en possession de ces armes. Les experts estimentque ces munitions sont composées de pathogènes très virulents, tels que desgermes d’anthrax, des toxines botuliques et de ricine. Si aucune preuve n’a puêtre apportée, on estime que Damas en possède de grandes quantités. La présencedu virus de la variole est également probable. Que la Syrie ait essayé dedéveloppé des armes nucléaires prouvent, selon les experts, sa volonté d’allerau-delà de son arsenal chimique, bien ce que celui-ci soit déjà énorme. C’estpourquoi l’hypothèse biologique est également plus que probable.
L’Iran et la Corée du Nord ont activement aidé la Syrie dans le développementet la production, respectivement, des armes chimiques et nucléaires. Bien que,encore une fois, l’assistance biologique de ces deux pays n’est pas à exclure.L’Iran et la Corée du Nord ont chacun leur propre arsenal et il est égalementvraisemblable que certaines armes aient été acheminées d’Irak.

Une suite difficile à prédire

La perte de contrôle progressive du régime d’Assad sur son pays augmente lerisque de voir les armes tomber entre de mauvaises mains. Brutal et répressif,le gouvernement fait preuve d’irresponsabilité sur le plan international. Tandisque le monde déplore la sauvagerie du gouvernement envers ses propres citoyens,il n’est même plus certain que la Syrie écoute la voix de ses plus fidèlesalliés : la Russie, la Chine et les Etats arabes. Le régime pourrait doncdécider d’avoir recours à ses armes de destruction massive.

Et, bien que l’Iran possède la plus grande influence sur la gestion de crisepar le gouvernement syrien, la République des mollahs est loin d’êtreconsidérée comme un facteur de stabilité par la communauté internationale. Laneutralisation de ces armes par une force internationale serait un scénarioidéal. Mais il est, malheureusement, très improbable. Cependant, lesrévélations sur les méthodes de développement, production et entrepôt de cesarmes chimiques et biologiques, connues des agences étrangères derenseignements, pourraient précéder d’intéressantes découvertes sur lescollaborateurs de la Syrie. Ces derniers, nations ou entreprises, préféreraientrester incognito. L’Iran, notamment, a tout intérêt à rester en retrait car,contrairement à la Syrie, le pays a signé des accords internationaux interdisantles armes biochimiques. De quoi ruiner encore davantage la crédibilité deTéhéran face à la communauté internationale.

A l’inverse, le pire serait que le régime d’Assad ne transfère son arsenal àdes organisations terroristes au moment de sa chute. S’il tentait de le fairesortir du pays, ce serait d’abord vers l’Iran - bien qu’un transport aérien oumarin soit nécessaireet ensuite le Hezbollah, très facile d’accès. La passationà Téhéran semble la plus probable, à égalité avec la transmission à un nouveaurégime, de façon plus ou moins sécurisée. L’Occident (Israël compris) n’a pasbeaucoup de cordes à son arc. En mai dernier, la Jordanie et les Etats-Unis ontmené un vaste exercice militaire avec plus de 12 000 forces spécialesaméricaines et d’autres pays, dont des Etats arabes.

L’opération, qui a duré presque un mois, se concentrait sur la préparation àune situation d’urgence impliquant l’arsenal biochimique syrien. Selon uneétude qui a suivi, il faudrait déployer 75 000 combattants pour faire face à lamenace. Et le bombardement intensif des armes causerait des dommagesenvironnementaux d’importance. En résumé, dans cette situation alambiquée,prédire la suite des événements s’avère presque impossible. Collecter lemaximum d’informations chez les hauts gradés et dignitaires qui ont déserté lerégime d’Assad aide certainement les puissances occidentales à se faire uneidée plus claire. Mais tant que la situation demeure pour le moins floue, lamarge de manoeuvre de la communauté internationale est très limitée. Le sortdes armes de destruction massive syriennes reste, quoi qu’il en soit, un défimajeur.

Le lieutenant-colonel (réserviste) Dr Dany Shohamest un microbiologiste reconnu en tant qu’expert israélien sur les questionsd’armements biochimiques au Proche- Orient. C’est un ancien analyste de Tsahalet du ministère de la Défense, principal adjoint de recherche au CentreBegin-Sadate pour les Etudes stratégiques. Ses ouvrages incluent : Les armesdans les pays arabes et en Iran : une menace existentielle pour Israël ? (enhébreu) et Armes chimiques en Egypte et en Syrie : Evolution, Capacités,contrôle (en hébreu).