Les bienfaits de la “thérapie du dauphin”

Un documentaire israélien montre comment les mammifères marins ont aidé une victime de violence à réapprendre à parler et à se réconcilier avec son passé

Dans certains cas, la psychothérapie et la prise de médicaments nesuffisent pas. Il faut un animal marin doté d’un sourire permanent et d’unepersonnalité bienveillante pour vaincre le traumatisme et ramener le patient àla vie. Un tel scénario s’est déroulé sur cinq ans au Récif de dauphins d’Eilatgrâce à l’équipe et au docteur Ilan Kutz, tout nouveau retraité du Centremédical psychiatrique Meir. C’est lui qui a initié et supervisé ce traitementinhabituel comme dernier recours désespéré. Le patient s’appelle Morad.

Fin 2006, le jeune Morad, âgé de 17 ans, résident de Kalansuwa, un villagearabe du nord du pays, envoie un texto innocent à une camarade de classe. Maisle frère de la jeune fille intercepte le message. Il y voit une allusion deflirt. Lui et trois autres brutes locales vont défendre “l’honneur familial”. Auprogramme : kidnapping et passage à tabac, dans une étable toute la nuit. Morad,souffrant d’hémorragie, sera hospitalisé au Centre médical Meïr de Kfar Sabadurant 11 jours. Ses blessures vont finir par guérir, mais le jeune homme asubi un tel traumatisme lors de l’attaque injustifiée qu’il est devenu muet. Incapablede communiquer, indifférent au traitement psychiatrique préconisé par Kutz. Commesi son cerveau avait totalement effacé son passé. Kutz savait que certainspsychothérapeutes essaient d’aider leurs patients grâce au contact de chevauxet de chiens. Il avait déjà essayé la thérapie du dauphin auparavant.

Le cas de Morad était cependant bien plus grave. “L’idée était de lui apprendreà communiquer parce qu’il n’entrait en contact avec personne. Alors je voulaisessayer quelque chose de non-verbal”, explique Kutz. Ce n’est pas considérécomme un remède magique à toutes les maladies, mais ce procédé a atténuésignificativement les symptômes par le passé.

Les dauphins sont des animaux très intelligents qui possèdent un “langage decliquetis et de mouvements physiques”. Ils semblent apprécier la communicationavec les humains selon les chercheurs. Ils aiment être touchés, caressés etcâlinés.

La thérapie du dauphin a d’abord été utilisée pour traiter les enfantsautistes, souffrant de paralysie cérébrale ou de cancer, ainsi que les victimesde traumatismes, il y a 40 ans. Elle a connu un boom dans les années 1970lorsqu’un anthropologue a tenté d’aider son frère handicapé et a observél’effet positif des dauphins sur lui. Kutz était prêt à tenter l’expérience.Selon lui, la “thérapie du dauphin” était le seul espoir de guérison. Le pèrede Morad, un homme déterminé, attentionné et intelligent nommé Assad, a alorsvendu une grande partie de ses biens pour financer le séjour et la thérapie auRécif, où les dauphins ne donnent plus de spectacles. A la place, ils sontutilisés pour interagir avec les enfants et les adultes qui souffrentd’invalidités diverses.

De la réalité à la fiction

Cette histoire vraie a fait l’objet d’un documentaire frappant et émouvantréalisé par le professeur de plongée et photographe Yonatan Nir, en partenariatavec les coproducteurs Dani Menkin et Judith Manassan Ramon.

Lorsque Morad est arrivé à Eilat (dans le sud d’Israël), Nir travaillait commephotographe sous-marin et espérait luimême bénéficier de la présence desdauphins après avoir été blessé lors de la seconde guerre du Liban. Kutz ainsisté pour que le tournage et les interviews, ainsi que la projection aupublic, soient soumis à l’accord de Morad.

Le film de 73 minutes, récompensé par un prix, a récemment été projeté à laCinémathèque de Jérusalem au profit du Centre pour les traitements despsychotraumas de l’hôpital d’Herzog dirigé par le professeur Danny Brom. Kutz abeaucoup consulté ce professeur au sujet de sa spécialité.

Ce documentaire va aider de nombreux projets du centre de Jérusalem dont letraitement psychologique des victimes de guerres, de terrorisme ou de maladie.La priorité : les soldats et les immigrants d’Ethiopie.

Lors de la projection, Nir Barkat, le maire de Jérusalem, est venu saluer lesspectateurs et a révélé avoir lui-même surmonté des événements tragiques : voirmourir des compagnons d’armes à la guerre à quelques pas de lui, subir lesattaques terroristes à Jérusalem. Et d’ajouter qu’il comprend la valeur du travaildu centre de psychotrauma.

 “Le plus haut degré de don n’est pasla charité anonyme mais l’assistance à une autre personne pour qu’elle réaliseson potentiel et n’ait plus jamais besoin d’aide.

C’est ce que fait le centre psychotraumatique.” Brom a créé la surprise de lasoirée en faisant monter sur scène Kutz et Morad. Ce dernier est désormais unjeune homme en forme, souriant, plein de vie et capable de parler hébreuparfaitement. A presque 22 ans, il vit avec sa famille à Kalansuwa, étudiel’hydrothérapie dans un institut de Safed et travaille comme sauveteur.

La mystérieuse connexion qui unit l’homme et le dauphin est rapidement devenueévidente après l’arrivée de Morad au Récif, les yeux dans le vague. Lesmammifères n’interagissent pas avec tout le monde, expliquent les éducateurs.Ils n’accordent leur amour inconditionnel que s’ils ressentent une connexionavec la personne qui les approche. Et ils ont rapidement pris contact avecMorad, qui leur a montré son intérêt en plongeant les mains dans l’eau, maistoujours muet après cinq mois complets de thérapie du dauphin. Ils semblaientvouloir l’aider.

Au fil des semaines, les yeux de Morad ont repris un peu d’éclat. Il cherchaitle contact, et lorsqu’il voyait les dauphins, ses yeux s’allumaient, avant deregarder à nouveau dans le vague une fois dans sa chambre.

Faire des bulles avec les yeux

“Lorsqu’il voit les dauphins”, explique son père, Assad, “Morad est vivant.Dans le cas contraire, c’est comme s’il était mort. Comme un enfant de deuxans. Après deux mois de traitement, il ne parlait toujours pas mais je sentaisqu’il me comprenait.” Cinq mois plus tard, Assad a noté “un changementspectaculaire.”

Morad a amélioré ses capacités de nageur en imitant les dauphins. Il plongeaitde 20 mètres ou plus, sans avoir besoin de reprendre sa respiration trèssouvent. Il a même appris à faire des bulles avec ses yeux comme les dauphins àbec. Selon un entraîneur, les hommes se sentent aussi à l’aise dans l’eau avecles dauphins qu’un foetus dans le ventre de sa mère. Aujourd’hui, “Moradreconnaît tous les dauphins et les appelle par leur nom”, a indiqué Kutz. “Maisil ne se souvient pas où il est né, ni de son séjour au Centre médical Meiraprès l’attaque.

‘Tu étais dans un autre monde. Tu ne disais pas un mot’”, explique Kutz à sonpatient. Morad voulait rester à Eilat. Il parlait de nouveau, mais un autreproblème a fait son apparition. “Il avait complètement effacé son passé. Ilétait devenu un garçondauphin élevé dans la ville balnéaire du Sud.

C’est un cas vraiment exceptionnel. Un cas extrême de la littératuremédicale d’une personne qui a effacé sa mémoire de manière à ne pas revivre cequ’il a vécu. Il rejetait désormais sa mère et ne voulait pas retourner àKalansuwa.”

“Je rêvais de voir Morad rentrer à la maison”, a indiqué Assad. “De le conduirefièrement à l’entrée de Kalansuwa. Pour que tout le monde voie qu’il est enbonne santé, qu’il n’a rien fait de mal.” “Un jour, je me suis retrouvé aurécif avec les dauphins tout autour”, raconte Morad. “C’était le premier jourde ma vie.” 

La renaissance

Neuf mois plus tard, Kutz a tenté de réunir Morad et sa mère,traditionnellement vêtue, en visite à Eilat. “Elle l’a couvert d’huiles et l’amassé. Puis il l’a embrassée”, relate le narrateur. “Il m’a parlé pour lapremière fois, et le lait a jailli de ma poitrine comme s’il était un bébé”,explique la mère dans un rire gêné. “Il a de nouveau accepté sa mère, mais ilrefuse de retourner au village. Les souvenirs le terrifient”, commente lenarrateur.

Après un an à Eilat, Morad, s’exprimait sans faute, dans un hébreu israélien.Il s’est alors fait ami avec une soigneuse de dauphins, Shani, et a emménagéavec elle.

“Les dauphins m’ont appris à communiquer. Petit à petit, j’ai commencé à leurfaire confiance”, voit-on Morad raconter à Shani.

“Je me sens comme un dauphin. Eilat est chez moi. Un lieu ensoleillé, avec lamer les gens et la liberté. Je suis devenu très fort. Cet endroit m’apporte unesource d’énergie, de vie. De bonnes choses se sont produites ici, tous cesheureux événements ont réparé les mauvaises expériences du passé. Ils m’ontaidé à m’en sortir mais n’ont rien effacé. S’ils me guérissent, je pourraisdormir comme toi la nuit.”

Les quatre hommes qui l’ont attaqué ont été arrêtés. Mais ils n’iront en prisonque si Morad témoigne contre eux. “Je ne veux pas lui mettre de pression”,assure Assad. “Les mauvais souvenirs veulent toujours revenir”, raconte Morad.“Parfois je ressens une douleur pressente, et j’ai du mal à respirer. Mais leslarmes ne viennent pas. Je veux vraiment crier. J’ai des océans de larmesenfouis en moi.”

Puis le jeune garçon a été engagé au Récif des dauphins. Là il se fait de bonsamis. Mais les flashbacks sont récurrents, et même au terme de quelques années,le jeune homme ne veut toujours pas rentrer chez lui. Kutz essaye alors lestechniques d’hypnose sur Morad lors de plusieurs séances, pourtant lescauchemars continuent. En vain. Puis se lance dans une nouvelle tentative :“C’est comme un court-circuit”, explique-t-il à son patient, “il y a quelquechose que je souhaite tenter, un traitement expérimental avec des vagues électromagnétiques.”

Comme Joseph

Une tentative qui va s’avérer fructueuse. “Aujourd’hui, Morad est capablede parler de son trauma sans honte ou culpabilité”, indique Kutz. Trois ansaprès son arrivée, il connaît alors d’autres améliorations. Désormais davantageconscient de son identité, lui et sa petite amie juive décident de rompre. Etsi Morad considère alors toujours Eilat comme chez lui, il sait qu’il doitretourner à Kalansuwa, selon Kutz.

Finalement, à 21 ans, Morad a pu reconnecter son passé et son présent. Il adécidé de retourner chez lui, à 350 kilomètres au nord.

“Je n’oublierais jamais cet endroit”, a-t-il annoncé au Récif, fondant enfin enlarmes. “Mais je veux que papa soit fier de moi.” Il a pu témoigner contre sesassaillants, jugés coupables et emprisonnés. Encore maintenant, Kutz continue àtraiter (gratuitement) les flashbacks et les cauchemars résiduels de Morad. Ala fin du film, lorsque Kutz et Morad sont montés sur scène, Brom a déclaré :“C’est la touche légère d’Ilan, sa profondeur et son courage qui ont permis unefin heureuse.

Lorsqu’il s’occupe d’un patient traumatisé, il n’abandonne jamais.” Kutz, lebras autour du jeune homme, a alors fait remarquer que Morad a réussi ses testsd’entrée à l’université, en étudiant de chez lui. “Il n’est plus sousprescription qui lui a fait prendre du poids. Il a pris de la marijuanamédicale. Il est en forme maintenant.”

Un an après avoir quitté le récif, Morad est retourné à Eilat. Les dauphins serappelaient de lui, selon Kutz. “Pensez simplement à l’histoire de Joseph dansla Bible. Il y a des similarités ici. Le fils préféré de Jacob a également étékidnappé par ses frères. Mais Joseph a dû aller dans une contrée étrangère sansson père. Joseph a perdu son passé. Morad a développé une deuxième personnalitéà Eilat. Il aurait pu rester coincé. Joseph aurait pu devenir égyptien, maisquand ses frères lui sont apparus, il a été reconduit chez lui. Assad a ramenéson propre fils à la maison.”