Quand l’austérité frappe à la porte

Avec un budget plongeant dans le rouge, l’Etat impose de douloureuses mesures restrictives. Aurait-on pu les éviter ?

Austerite (photo credit: Reuters)
Austerite
(photo credit: Reuters)

Fini de rire. Les Israéliens avaientde bonnes raisons de bomber le torse en évoquant leur économie ces dernièresannées. Alors même que la crise mondiale heurtait de plein fouet les nationsles plus puissantes, l’Etat hébreu continuait d’afficher une belle croissance.Et pendant que le Royaume-Uni, l’Irlande ou l’Estonie étaient en grandesdifficultés et obligés d’adopter de draconiennes mesures d’austérité, Israël seclassait parmi les meilleures performances économiques mondiales. De quoilargement mériter le surnom d’“île de la stabilité économique”, donné par lesexperts et les médias.

Mais fin juillet, les Israéliens ont du revoir leur attitude et commencer àfaire profil bas. Voyant que le budget 2012 - dont le déficit ne doit pasexcéder les 3 %, selon les règles fixées par le gouvernement lui-même -plongeait dangereusement dans le rouge, l’Etat a dû annoncer une série dedouloureuses mesures d’austérité. Le résultat ? Une hausse d’impôts jointe àune réduction des services publics.

Les dépenses superflues sont estimées à quelque 13,5 et 15 milliards deshekels par an. Les hauts fonctionnaires ont prévenu : ce manque de rigueur budgétairepourrait finir par dégrader la cote du crédit israélien sur les marchésinternationaux et le faire chuter au niveau de l’Espagne et de la Grèce.

Les mesures d’austérité ont donc été approuvées par la Knesset le 30juillet par 20 voix. Contre 9 : celles des membres du parti ultrareligieuxsépharade de Shas, d’Haatsmaout (parti Indépendance d’Ehoud Barak, formé suiteà la scission avec les Travaillistes) et du ministre Likoud des Affairessociales, Moshé Khalon. Ces mesures devraient certes réduire de toute urgencele déficit d’1,5 point. Mais elles sont bel et bien douloureuses. Inventaire

Mesures à foison

A partir du 1er septembre, la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) doitaugmenter d’un point, pour plafonner désormais à hauteur de 17 %. Les tauxmarginaux vont également grimper. Il s’agit d’impôts progressifs calculés surdes tranches de revenus fixes, qui devraient évoluer comme suit : - Aucunchangement pour les deux tranches de revenus qui concernent les salaires lesplus faibles : elles restent imposées à hauteur de 10 et 14 % respectivement ;- Hausse de 1 % d’imposition pour la quatrième tranche des revenus les plusélevés, celle des salaires compris entre 8,881 et 14,430 shekels par mois, quipasse de 21 à 22 % ; - Hausse d’1 % également pour les deux tranchessupérieures (deuxième et troisième tranches des salaires les plus élevés), quipassent à 31 et 34 % respectivement ; - Enfin, a u c u n changement non pluspour la tanche des salaires les plus élevés qui resteront imposés à hauteur de 48%.

Les cotisations patronales destinées au Bitouah Leumi (sécurité sociale)pour les employés gagnant plus de 60 % du salaire moyen doivent égalementgrimper, sans précision de montant pour l’instant.

Seront particulièrement touchés par ces nouvelles mesures, les fumeurs etconsommateurs d’alcool : les taxes sur les cigarettes passeront de 260,6 % à278, 6 %, et le prix de la bière au litre doublera tout simplement (de 2,18shekels à 4, 19 shekels). Enfin, le ministère de l’Energie vient de prendre indépendammentla décision d’augmenter le prix de l’essence au litre (le prix final n’est pasencore dévoilé).

Parallèlement, le gouvernement a prévu une réduction de 5 % du budget detous ses ministères, suivis de 3 % supplémentaires l’année prochaine. Le ministèrede l’Education ne perdra qu’1 point cette année et 3 % en 2013, le surplusétant ôté au ministère du Logement dès à présent.

La croissance florissante a donc laissé la place à l’austérité en un riende temps. Les Israéliens, dont une part importante étaient descendus dans larue en 2011 pour demander davantage à l’Etat-providence et qui comptaient b i en r e c o m - mencer c e t t e surprise. Et de se demander, ébahis, inquiets :comment en est-on arrivés là ? “Pas de catastrophe imminente. Nous ne sommes nil’Espagne, ni la Grève”, rassure Avi-Bassat, professeur d’économie àl’Université hébraïque et membre vétéran à l’Institut pour la démocratie enIsraël. “Mais il faut agir rapidement pour redresser la situation”.

Croissance ou viabilité, il faut choisir

Parmi les causes du déficit, Ben-Bassat cite la hausse des salaires exigéerécemment par certains corps de métiers : les médecins, les travailleurssociaux et les infirmières, tous membres de la fonction publique, donc payés enfin de compte par l’Etat.

De plus, rare résultat probant du mouvement social : l’application decertaines recommandations de la commission Trajtenberg, comme l’éducationgratuite pour tous à partir de 3 ans, a un prix. Autre source de dépense :l’afflux des immigrants illégaux et la menace terroriste croissante dans lapéninsule du Sinaï, due au changement de régime égyptien, qui ont contraint legouvernement à se lancer dans la construction d’une barrière le long de lafrontière, un projet d’un coût très élevé.

Mais il faut aussi chercher en dehors des frontières d’Israël. “La criseéconomique mondiale a également atteint le pays”, pointe l’économiste. “Voilàplus de six semestres que la croissance baisse, progressivement. Ce qui,logiquement, affecte les revenus de l’Etat issus des taxes, creusant encoreplus le déficit. Or, il faut absolument contenir celui-ci ou nous entrerons enzone de turbulences”.

Ben-Bassat prévient : les mesures d’austérité, qu’il s’agisse d’augmenterles impôts ou de réduire les coûts, ne feront que ralentir encore davantage lacroissance. Et de souligner l’éternel dilemme économique entre croissance etstabilité. A l’heure actuelle, dit-il, c’est la stabilité qu’il fautprivilégier.

La situation en Israël est d’autant plus critique, poursuit- il, au regarddes développements internationaux. Ne sont pas rares les Etats qui peinent àobtenir des crédits sur les marchés mondiaux, ce qui rend l’emprunt plusexigeant en général. Les prêteurs ne veulent pas prendre de risques. “Ledéficit allant croissant en Israël ne sera pas pour les rassurer”, continueBen-Bassat. “Tout nouvel emprunt met en danger l’ensemble du système”.

De plus, en matière de crédit international, Israël doit constammentassumer le handicap de sa situation sécuritaire instable, un facteur quidifférencie l’Etat hébreu des autres nations et que les créanciers prennenttoujours en compte. Tsahal a conduit deux opérations militaires majeures aucours de la dernière décennie (“Changement de direction” au Liban en 2006 et“Plomb durci” à Gaza en 2009), chacune source de dépenses non planifiées. Etentre le printemps arabe, la guerre civile en Syrie et la menace iranienne, lerisque d’instabilité n’est pas prêt de disparaître.

Une question de fond(s)

De son côté, le Premier ministre Binyamin Netanyahou défend activement lebien-fondé de ses récentes mesures, sous couvert du principe “plus de repas auxfrais de la princesse”, en référence à ses adversaires politiques, qu’il accused’être des gaspilleurs impénitents. Pendant que lui se présente comme legardien de la prudence budgétaire

Mais selon le professeur Yossi Yonah, maître de conférences à l’Université deBen-Gourion et militant de gauche, l’état de l’économie israélienne estdirectement à attribuer à la politique libérale adoptée par Netanyahou, en2003, alors qu’il était ministre des Finances. “Il a passé son temps à réduireles taxes, persuadé que des impôts bas boosteraient le secteur privé. Et levoilà obligé d’augmenter les impôts à nouveau”, dit Yonah. “Il cherchait délibérémentà étouffer le budget gouvernemental, et ce, pour réduire le rôle de l’Etat.C’est lui qui a institué la règle qui veut que les dépenses gouvernementalessoient toujours inférieures au PIB. Le but ? Faire croître le secteur privé audétriment direct du secteur public”.

Ces directives ont causé de profondes inégalités dans la sociétéisraélienne et pavé la voie aux mesures d’austérité actuelles, explique encoreYonah. “C’était une politique irrationnelle”, martèle-t-il. “Le secteur publicisraélien est plus petit que chez la plupart des pays développés : 42 % du PIB,alors qu’il est de 50 % en moyenne dans les pays de l’OCDE (Organisation decoopération et de développement économique). Cet écart de 8 % équivaut à 10milliards de shekels par an, ce qui représente presque tout le déficit. Pendantce temps, les services publics s’effondrent et les citoyens, en majorité laclasse moyenne, doivent payer de leur poche la différence. De son côté, legouvernement gère les trous dans son budget en parant au plus urgent plutôt quede s’attaquer aux problèmes de fond”.

Si Yonah blâme sans surprise les récentes hausses d’impôts, Ben-Bassat,lui, souligne qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Mais, en dépit de samodération, l’économiste est d’accord pour critiquer certaines spécificités desmesures adoptées par le gouvernement. Il redoute, en particulier, que la haussedes prélèvements marginaux ne heurte de plein fouet la classe moyenne. Ets’oppose également à l’augmentation de la TVA, arguant qu’elle pèsera sur lesrevenus les plus bas, ceux qui n’ont d’autres choix que de dépenser une largepart de leur budget dans de produits de consommation immédiate (produits debase)

Tenir tête au lobbying

Comme alternative, il propose d’entreprendre une profonde réforme desexemptions d’impôts. “Les exemptions de taxes représentent aujourd’hui près de33 milliards de shekels par an”, pointe Ben-Bassat. “Certaines sont justifiéesmais d’autres ne le sont pas”. Une analyse partagée par Yonah, qui appelle àdavantage d’impôts sur les sociétés.

Sur la liste des exemptions d’impôts injustifiées, Ben- Bassat place enpremier lieu les fonds de formation (kranot hishtalmout). Financés parl’employeur, ces fonds étaient à l’origine destinés à la formation continue desemployés, et donc exemptés d’impôts. Mais cela fait belle lurette qu’ils ontperdu leur vocation première. Aujourd’hui, ils représentent des comptes-épargneà moyen-terme pour les salariés, un complément de revenu dont ils peuventbénéficier sans payer d’impôts. Problème : seuls 37 % des employés bénéficientde telles dispositions, ce qui rend la pratique discriminante pour le reste dela population.

Selon Ben-Bassat, le retrait de cette exemption rapporterait 2,5 milliardsà l’Etat, l’équivalent du bénéfice que générerait la hausse des taux marginaux.Mais la Histadrout a d’ores et déjà prévenu qu’elle s’opposerait fermement àtoute initiative en ce sens.

D’autres exemptions à reconsidérer, celles appliquées à l’industrie del’export, qui avait fait l’objet d’un statut privilégié à une époque oùl’économie israélienne était plus réduite et moins développée. Maisaujourd’hui, les sociétés exportatrices sont devenues des entreprises à succèsqui engrangent les profits sur les marchés internationaux. Et ne méritent aucunementde bénéficier de subventions étatiques.

Quant à la détaxe pratiquée dans la ville d’Eilat, affublée à l’origine dustatut de ville franche pour être éloignée des autres métropoles, il s’agitd’un pur anachronisme de nos jours, clame Ben-Bassat. Idem pour l’exonérationde TVA dont bénéficie toujours le secteur des fruits et légumes.

Et le professeur de reprocher alors le pouvoir de certains groupes depressions. “Tout économiste vous dira qu’un gouvernement cédant à la pressiondes lobbys est une source d’inefficacité économique. Plus le groupe estpuissant, plus ses intérêts sont protégés. Et il est plus facile pour ungouvernement de céder à ses exigences que de les combattre. Mais les élusdevraient être plus forts que cela”, ajoute Ben-Bassat avant de conclure : “Monconseil ? Choisir la bonne voie et non la plus facile”.