Qui a peur du Messie ?

Youval Diskin a-t-il oublié que c’est une vision messianique qui est à l’origine de la naissance même de ce pays ?

Messie (photo credit: © DR)
Messie
(photo credit: © DR)

Même s’il tarde encore à venir, le Messie tant attendu parIsraël fait ces jours-ci les manchettes des journaux. Du Sydney Morning Heraldau VancouverSun, les gros titres des médias internationaux ne parlent que de l’ancien chefdu Shin Bet (Agence israélienne de sécurité), Youval Diskin, qui accuse leleadership “messianique” de duper le public sur l’Iran.

S’exprimant lors d’un forum public à Kfar Saba, Diskin a scandé qu’une frappeisraélienne contre les installations nucléaires des ayatollahs n’empêcheraitpas l’Iran de se doter de l’arme atomique. Et de fustiger le Premier ministreBinyamin Netanyahou et ministre de la Défense Ehoud Barak, les attaquantpersonnellement et déclarant en termes non équivoques : “Je n’ai pas foi dansle Premier ministre ou le ministre de la Défense. Je n’ai pas foi en unleadership qui prend des décisions, mû par des sentiments messianiques.”
Les affublant dédaigneusement du sobriquet “nos deux messies”, Diskin arenchéri : “Je vous l’affirme, je les ai vus de près et ils ne ressemblent pasà des messies.”
La presse, bien sûr, en a fait des gorges chaudes, se délectant du fait quel’une des plus grandes pointures de l’establishment de la sécurité israéliennebalance ainsi ses anciens patrons sur une question aussi sensible. Mais tandisqu’une grande partie de l’attention s’est focalisée sur l’angle iranien etpolitique des remarques de Diskin, une question a été totalement négligée :depuis quand avoir une impulsion messianique est-il une mauvaise chose ? Ou, enbref : qui a peur du Messie ? Dans le contexte politique moderne, nombred’Israéliens sont malaisés à l’idée que nos dirigeants puissent être influencéspar des croyances religieuses ou théologiques. Nous aimons à penser que nosleaders agissent selon des calculs froids basés sur une évaluation de lasituation globale et ne recherchent rien d’autre que l’intérêt national.
Certes, quelle naïve croyance. Un dirigeant reste un être humain dont lesdécisions sont façonnées et influencées par les valeurs, les principes et lescroyances qui sont les siens.
En outre, Diskin en est-il conscient, c’est bien une vision messianique dumonde qui a jeté les fondations de l’Etat juif. En effet, comme Barak l’asouligné dans sa réaction aux attaques de Diskin, David Ben Gourion, le premierPremier ministre d’Israël, n’a-t-il pas affirmé que le sionisme est unmouvement messianique ? Et Théodore Herzl, bien que résolument laïc, a luiaussi été inspiré des attentes messianiques.
Comme le Pr de l’Université hébraïque Robert S. Wistrich l’a noté dans unarticle intitulé “Théodore Herzl : Entre le messianisme et politique”, lefondateur du sionisme politique moderne “était captivé par les légendesmessianiques juives dès sa jeune adolescence.”
Le rêve d’Herzl

Un an avant sa mort, Herzl confiait à l’écrivain hébreu ReouvenBrainin un rêve fait à l’âge de douze ans : il jouera un rôle primordial dansla Rédemption d’Israël. Herzl décrit le songe comme suit : “Le Roi Messie estarrivé, un vieil homme glorieux et majestueux m’a pris dans ses bras et m’aemporté sur les ailes du vent. Sur l’un des nuages scintillants, nous avonsrencontré le personnage de Moïse... le Messie s’est adressé à Moïse : ‘C’estpour cet enfant que j’ai prié !?’ Et il m’a dit à moi : ‘Va déclarer aux Juifsque je viendrai bientôt et que je réaliserai de grands prodiges et de grandesactions pour mon peuple et pour le monde entier !?’” À la lumière de cesrévélations, Diskin ferait-il aujourd’hui preuve d’un manque de confianceenvers Herzl, Ben Gourion et leurs réalisations ?

Le fait est que depuis lanuit des temps, les Juifs croient en la venue du Messie, l’attendent avecimpatience et se languissent du monde meilleur qu’il amènera. Comme le savantmystique juif Gershom Scholem l’a écrit dans son oeuvre avantgardiste, L’idéemessianique dans le judaïsme, “le judaïsme, dans toutes ses formes etmanifestations, a toujours perçu le concept de rédemption comme un événementqui se manifeste en public, sur la scène historique et au sein la communauté.”

Trois fois par jour, les Juifs implorent le Créateur d’envoyer le Messie. Dansla prière de la Amida, ne disons-nous pas : “Que le descendant de ton serviteurDavid jaillisse bientôt... car nous attendons Ton salut chaque jour.”
Et chaque Shabbat, dans la prière spéciale pour l’Etat d’Israël approuvée parle Grand Rabbinat : “Notre Père Qui est aux cieux, Rocher et Sauveur d’Israël,bénis l’Etat d’Israël, premier germe de notre délivrance.”
L’aspiration messianique, et l’espoir qu’elle renferme, est en partie ce qui apermis au peuple juif de perdurer à travers les âges.
Devant les horreurs de l’exil, c’est le rêve d’un avenir meilleur qui a porténos ancêtres dans les heures les plus sombres et leur a donné une raison decontinuer à vivre.
En tant que Juifs, nous devons croire d’une foi totale que, même s’il tarde, leMessie finira par venir.
Que Diskin tourne en dérision ce credo est troublant. Il devrait avoir honte delui-même de se moquer de l’une des doctrines fondamentales du judaïsme.
Mais qu’il dise ce qu’il veut.
Moi-même, ainsi que d’innombrables autres Juifs, continuerons à attendre lejour où, comme le prophète Isaïe (51, 11) l’a dit : “Les rachetés du Seigneurreviendront, ils rentreront à Sion avec les chants de triomphe, une joieperpétuelle couronnant leur tête. Joie et allégresse seront leur partage, adieudouleur et soupirs !” Puisse ce jour venir bientôt.