Une goutte de lait dans un océan de béton

Le nouveau centre pédiatrique de Silwan suffira-t-il à enclencher une dynamique de développement dans les secteurs arabes de Jérusalem ?

une goutte de lait (photo credit: photo illustrative/Reuters)
une goutte de lait
(photo credit: photo illustrative/Reuters)
A un jet de pierres du du , lequartier de Silwan est réputé pour son urbanisme chaotique et un sérieux manqued’infrastructures.
Même les estimations qui concernent le nombre d’habitants varient : selonl’annuaire statistique de la municipalité, en 2006 le quartier comptait un peuplus de 31 000 habitants. Contre environ 55 000, d’après le Centre Madaa[horizon en arabe] de Silwan, une ONG qui tente de dynamiser le quartier.
Si les différents maires de Jérusalem ont fait preuve d’un intérêt variablepour leurs administrés arabes depuis la réunification de la ville en 1967, lapolitique de la municipalité se veut plus volontariste depuis l’élection de NirBarkat en 2008. L’homme d’affaires s’était alors engagé à mettre ses talents demanager au service “de tous les résidents de la ville” et donc à résoudrel’écart de développement avec les quartiers juifs de la capitale.
Les choses évoluent lentement, mais chaque réalisation fait l’objet d’unegrande publicité de la part des autorités.
Le 4 janvier, l’ouverture d’un nouveau centre de tri postal à Issawiya attiraitles regards. Silwan reste toutefois le symbole de référence. Le 25 septembredernier, Nir Barkat inaugurait en compagnie du vice-ministre de la Santé,Yaakov Litzman, une Tipat Halav [littéralement “goutte de lait”, centrepédiatrique gratuit] dans la partie sud du quartier. La trentième du genre àtravers la capitale.
Trois mois plus tard, le nouveau centre fonctionne à plein régime. Il faut direque, si le quartier ne manque pas de caisses d’assurance-maladie et centresmédicaux, les mères devaient auparavant se déplacer jusqu’à Sheikh Jarrah ouWadi al-Joz pour consulter un pédiatre gratuitement dans une Tipat Halav. Voiredans la Vieille Ville, où l’UNRWA gère un centre privé similaire. Maisdésormais, près de 25 enfants, de zéro à cinq ans, sont traités chaque jourdans la partie Al-Abasiya du quartier.
Une population à risque
Un nouveau centre pédiatrique est d’autant plus lebienvenu pour les habitants que la situation sanitaire a certainesparticularités à Silwan. Comme dans la majorité des quartiers arabes, en susdes problèmes de santé fréquents lors des naissances, les dangers liés à untaux de consanguinité sont plus élevés que dans les autres populations et nepeuvent être ignorés. Même si cette tendance est en baisse du fait de la prisede conscience des risques causés par les mariages entre cousins (les anomaliescongénitales ont perdu leur place de première cause de mortalité infantile), lesuivi des taux d’hémoglobine constitue toujours une part importante du travailde la Tipat Halav.
“Nous avons également un gros travail de prévention à effectuer, en plus destâches classiques en pédiatrie de vaccinations et contrôles”, expliqueBoutaiyna Dvach, directrice du centre.
La première cause de mortalité infantile se situe désormais du côté desaccidents ménagers. La jeunesse des parents (les grossesses adolescentes nesont pas rares), cumulée au nombre d’enfants par ménage (le taux de féconditéest supérieur à la moyenne dans les villages arabes de Judée-Samarie [3,12enfants par femme en 2010]) accroissent le besoin de prévention. Dernièreinitiative du centre : la publication d’un calendrier 2012, illustré deconseils de base pour les jeunes mères. Tous les sujets sont abordés, depuis lavérification de la température de l’eau du bain jusqu’à la prudence dans lesrues aux virages particulièrement serrés.
L’amélioration des conditions de vie à Silwan a certes fait chuter la natalité,comme dans l’ensemble de la population arabe en Israël et dans les territoirespalestiniens depuis une décennie. Mais la densité élevée de population, même àservices médicaux égaux, rend les foyers plus vulnérables.
“Nous ne désemplissons pas, de huit heures du matin à six heures du soir : il ya toujours un enfant à prendre en charge, notamment le matin”, confie Dvach.
En moins d’une heure passée dans les locaux, un enfant de quatre ans souffrantd’un manque de fer suite à des problèmes de nutrition a succédé à un bébéprématuré et à deux autres patients. L’établissement, et ses seules troisinfirmières, ne reçoit cependant la visite d’un médecin qu’une fois parsemaine.
Gheda Awad, jeune mère d’une fillette de 3 ans atteinte de problèmes dedéveloppement, se dit satisfaite du service : “J’habite à Abou Tor et jeperdais beaucoup de temps auparavant à aller jusqu’à Sheikh Jarrah. Presquetoutes les mères du quartier que je connais amènent désormais leur enfant ici.Et Dieu sait qu’il y en a.”
Un quartier en pleine réhabilitation
“Quand on en vient aux questions de santé,il n’y a plus de guerre. Les gens oublient la politique”, commente Hala Alaoui.A 53 ans, dont 35 passés à la municipalité de Jérusalem, Alaoui déteintcomplètement à Silwan. Et pour cause : elle conduit un Hummer et fait partie dela minorité de femmes à ne pas porter le hijab.
Actuellement chargée d’affaires pour les Tipot Halav de Jérusalem-Est, elle estbien placée pour savoir que d’autres initiatives de la mairie dans la zone ontsoulevé des polémiques : l’ouverture en 2009 d’une ligne de bus à Ras al- Amoud,à deux kilomètres au Nord-Est, avait provoqué des manifestations d’oppositionsà “la normalisation de la présence juive”. Et Silwan même est un des “pointschauds” de la capitale, notamment autour des activités d’Elad, l’organisme quigère le parc archéologique de la Cité de David, et de Beit Yehonatan, quidevrait être détruit depuis plus de trois ans par les autorités.
Ici, aucun incident n’a pourtant été déploré à l’encontre de l’infrastructurequi, comme les autres, est financée par le ministère de la Santé, via lamunicipalité de Jérusalem.
Pas même un tag pour masquer le panneau bilingue apposé à l’entrée par lemaire, le jour de l’inauguration.
Les graffitis muraux destinés à “marquer le territoire” sont pourtant nombreuxdans le quartier, comme dans la rue voisine qui mène à une école primaire defilles, fermée pour cause de vacances scolaires des écoles arabes.
Selon le “plan d’action détaillé pour Silwan”, l’ouverture du centrepédiatrique est une étape dans un projet plus large de réhabilitation duquartier. La participation de la mairie au budget du conseil local a été accrueen vue de la construction du Centre de la communauté de Silwan, gigantesquecomplexe dont les travaux devraient commencer en 2012. A l’intérieur : unebibliothèque, sept classes de programmes parascolaires, un espace sportif etune aile entière dédiée aux seniors. “Ce serait le premier lieu de rencontre dece type pour le troisième âge, et il serait également chargé des servicessociaux”, explique Allaoui, impliqué dans le projet. Coût estimé ? La bagatellede 40 millions de shekels.
Pour l’heure, Hala Alaoui, née sous la domination jordanienne et qui n’a apprisl’hébreu qu’à l’âge adulte, continue ses efforts de développement du secteur dela santé à travers la capitale : elle vient d’inaugurer en janvier une nouvelletipat halav dans son quartier de Beit Hanina.