Une tendance de fond ?

Recrudescence de violence chez les jeunes Israéliens. Une étude fait le lien avec l’actualité politique

Il aura fallu trois jours seulement. Lycée Hovel, Herzliya : l’annéescolaire vient à peine de commencer et déjà deux élèves de Secondes’empoignent. L’un finira par poignarder l’autre avec une paire de ciseaux, cequi le mènera à l’hôpital Meïr de Kfar Saba, dans un état jugé moyen.

Le même jour, plusieurs élèves de Seconde du lycée de Touba-Zanghariya, unvillage bédouin de Galilée, se lancent dans une bagarre. Bilan : un élèvefrappé à la gorge avec un stylo à plusieurs reprises, puis admis à l’hôpital deSafed dans un état moyen. “On ne connaît pas la cause de la rixe, parce quec’est toujours comme cela avec les ados du coin”, note Yehouda Mamane,porte-parole de la police pour la région Nord. “N’importe quel désaccord peutrapidement dégénérer en heurts violents”.

Dans les deux cas, les forces de l’ordre ont arrêté des suspects. Mais dès lelendemain, les incidents avaient déjà disparu des titres médiatiques.Cependant, l’heure est à l’interrogation : s’agit-il de simples accrochages derentrée qui sont allés trop loin ou d’une tendance de fond ? Entre la récenteattaque d’un jeune Arabe à Jérusalem par une bande de jeunes Juifs et le lancerd’un cocktail Molotov sur un taxi palestinien attribué à des adolescents pré-pubèresà la mi-août, les jeunes Israéliens semblent bel et bien devenir de plus enplus violents.

Une étude le confirme. Publiée la semaine dernière par un journal bimensuelaméricain Child Developpment, elle a réuni des chercheurs israéliens,palestiniens et américains sur plusieurs années. Le projet, financé par lesInstituts américains nationaux de la Santé, a examiné les comportementsviolents de plus de 1 000 enfants âgés de 8, 11 et 14 ans, en Israël et dansles Territoires palestiniens.

Premier du genre selon les scientifiques, il pourrait aider parents etéducateurs dans les zones de conflit du monde entier. Ses conclusions : l’exposition à une violence politique a un lien direct avecdes comportements agressifs à l’école et à la maison. La fin de l’enfance : un âge crucial “Nous savions qu’il existe beaucoup dezones de conflit politiques dans le monde, où les enfants sont exposés à laviolence. Mais c’est la première fois qu’une étude comme la nôtre le souligne àce point”, explique fièrement le professeur Simcha Landau, criminologue del’Université hébraïque de Jérusalem, du Collège académique d’Emek Yizraël etchef de file israélien dans cette discipline. “Ce qui est inhabituel, c’est quenous avons mené l’étude simultanément des deux côtés”, continue-t-il.“D’habitude, les observations portent seulement sur l’un des deux camps, etl’autre se considère victime”.

Landau et son collègue israélien, Shira Dvir Gvirsman au Collège académique deNetanya, ont fait équipe avec le professeur Khalil Shikaki, à la tête du Centrepalestinien de sondages (Palestinian Center for Policy and Survey Research) àRamallah, ainsi que des chercheurs des Universités du Michigan et de Rutgers.Landau, qui étudie la question depuis la fin des années 1960, commence àdiscerner une corrélation entre la violence politique - guerres, émeutes,terrorisme - et les comportements violents en général. “Plus on est impliquédans une violence à l’encontre de l’exogroupe (une catégorie d’individusétrangers, à laquelle on ne s’identifie pas), plus cela se généralise etatteint la société de l’intérieur”, explique le chercheur.

D’autres études, auxquelles il a parfois participé, montrent que les individusqui vivent dans une société en guerre, ou qui vient d’en sortir, ont davantagede chances de commettre un homicide. “L’hypothèse, c’est qu’on s’habitue à laviolence, et en conséquence, la vie humaine a alors moins de valeur”.

L’équipe a examiné 451 enfants juifs, 450 Arabes israéliens et 600 Palestiniens- dont 64 % de Judée et Samarie et 36 % de la bande de Gaza - à 3 reprisesentre 2007 et 2010. Au début de l’enquête, les jeunes étaient divisés en troistranches : un tiers de 8 ans, un autre de 11 ans et un dernier de 14 ans.

L’écart d’âge a son importance : il a notamment révélé que les plus jeunesétaient plus impressionnables, en termes d’impact de la violence. “Nous avonsdécouvert que la fin de l’enfance est une période critique”, écrit L. RowellHuesmann, psychologue à l’Université du Michigan, dans l’introduction del’étude dont il est le coauteur. “Les enfants qui avaient 8 ans au début de larecherche étaient plus sensibles à la violence dont ils avaient été témoins”.

Le danger des images

Parmi tous les bambins, 51,8 % ont rapporté des incidents violents dansleurs familles lors de la première phase de l’enquête en 2007. Trois ans plustard, le chiffre était passé à 58,7 %. Durant la même période, les violences àl’école dont ils ont été témoins ont également augmenté de 6,4 % à 11,7 %.

Sans surprise, les enfants palestiniens y sont davantage exposés, que ce soitun ami ou un membre de la famille décédé ou de violentes images auxinformations ou sur Internet. Des images, pointe Shira Dvir Gvirsman, quijouent un rôle sous-estimé.

Il est sans doute légèrement moins nuisible de voir des images violentes qued’être témoins d’un incident, mais les images touchent plus d’enfants,explique-t-elle. Près de 95 % des petits Israéliens et 100 % des Palestiniensdisent avoir vu des images du conflit. 40 % des premiers et 90 % des secondsont également assisté à un incident violent en personne, entre une et deux foispar an.

La géographie joue un rôle : les enfants habitant “en première ligne” -communautés près de Gaza ou villes du nord attaquées aux missiles - sont plussusceptibles de développer des comportements agressifs ou anxieux que lesautres Israéliens. “On voit qu’il y a plus d’agressivité ou de syndrome destress post-traumatique chez les enfants exposés à la violence politique”,confirme Dvir Gvirsman.

Le conflit n’est évidemment pas le seul coupable, ajoute néanmoins Landau. Denombreux facteurs participent à un comportement violent : la culture familialeet communautaire est tout aussi importante.

Plus encore, la façon dont les parents réagissent aux comportementsagressifs et leur recours - ou non - à la violence comme forme de punition àl’égard de leurs enfants sont particulièrement cruciaux.

Quand la violence devient la norme

L’une des découvertes les plus importantes de l’étude concerne le rapportentre la norme - ce qui est considéré comme un comportement normal par lesenfants, leurs pairs et leurs aînés - et la hausse de violence au sein de lasociété israélienne. “Les croyances communes jouent un rôle de médiateur entrel’exposition à la violence d’une part et les comportements agressifs d’autrepart”, analyse Landau.

Par exemple, on a demandé aux enfants de réagir à la phrase suivante : “Il estnormal de frapper quelqu’un s’il me frappe, ou si je suis en colère oufrustré”. “Plus il est admis pour certains que c’est normal, plus les niveauxd’agressivité sont hauts”, continue Landau.

“Nous avons également mesuré les croyances communes concernant les exogroupes.Ceux qui crient “Mort aux Arabes” ont plus de chances d’en agresser unlorsqu’ils en ont l’occasion”. Cette incitation à la violence a souvent lieudans les matchs de football et passe pour du hooliganisme sans conséquence.Mais lorsqu’elle est reprise en coeur par une foule en train de frapper unjeune Arabe, elle souligne à quel point certains comportements normatifs enIsraël posent aujourd’hui problème.

A ce jour, le phénomène est considéré plutôt du ressort des éducateurs, etparfois de la police. Sans que les plus hauts échelons du gouvernement ne s’enmêlent.

“La violence a atteint de dangereux sommets. L’idée que des enfants de 12, 13ans puissent commettre de telles atrocités constitue vraiment un avertissement.Nous devons rencontrer divers agents sociaux et décisionnels, y compris leBureau du Premier ministre, et former un plan pour éviter ce type d’actes àl’avenir. Dire que c’est compliqué et ne rien faire ne marche pas. Il fauts’attaquer à ce phénomène qui a été négligé”, affirme Landau.

Le professeur Paul Boxer, spécialiste reconnu des comportements violents etantisociaux à l’Université de Rutgers, pense que cette étude servira égalementdans d’autres zones de conflit.

“Ce qui est unique ici, c’est la durée et l’enracinement du conflit dans la viequotidienne de la région. De notre point de vue, cette réalité prouve que lesdonnées que nous examinons émergent de profondes croyances culturelles,religieuses et idéologiques”, avance Boxer. “Nos résultats démontrent qu’uneintervention au niveau de la famille, de l’école et de la communauté pourraitêtre utile. Par exemple : des groupes de soutien pour des familles exposées àune violence ethnico-politique, ou à des jeunes élèves dans les quartiers àrisques”.

Et de conclure : “Vu ce que nous savons sur l’apprentissage de l’agressivité,il est vital que les adultes parviennent ensemble à donner un modèle appropriéet prosocial pour réagir aux conflits interpersonnels. C’est la seule façon decontrer la légitimisation et l’habituation à la violence qui a lieu au niveaupolitique”.