Youli Edelstein, libre et indépendant

Cet ancien Refuznik devenu aujourd’hui ministre de l’Information et de la Diaspora fête cette année les 25 ans de sa libération

Edelstein (photo credit: © Marc Israël Sellem)
Edelstein
(photo credit: © Marc Israël Sellem)

4mai 1987. Youli Edelstein est libéré. L’ardent sionisterusse est enfin autorisé à faire son aliya. 25 ans plus tard, l’anciendissident est le ministre israélien de l’Information et de la Diaspora. Assis àson bureau de Guivat Shaoul à Jérusalem, il se rappelle de chaque événement :depuis son arrestation, faussement accusé de détention de drogue, en passantpar les prisons et camps soviétiques, jusqu’aux efforts qui l’ont finalementramené chez lui.

On lui répète souvent qu’il devrait en faire un livre, mais Edelstein secontente, pour l’heure, de raconter son histoire au Jerusalem Post.
Enfant, il passait ses étés avec son grand-père, dans ce qui est aujourd’huiune région d’Ukraine. Son aïeul, athée convaincu, étudiait pourtant l’hébreuavec une assiduité toute religieuse. A sa mort, Youli a 21 ans et poursuit uncursus de langues. En hommage à ce grandpère aimé, il se met à étudier l’hébreuà partir du manuel dont il a hérité. Le hasard met sur sa route un vieuxprofesseur hébraïsant dont il rejoint le groupe d’étude.
1979 : Edelstein se met lui aussi à enseigner secrètement la langue de sesancêtres, tout en faisant une demande de visa pour Israël. Les autoritéssoviétiques refusent et l’inscrivent sur la liste noire de ceux qu’on appelaitalors les refuzniks (dissidents). Le régime n’apprécie pas d’avantage lesréseaux de Juifs étudiant l’hébreu, en particulier certaines rencontres qui setiennent le samedi soir. Le KGB se met progressivement à arrêter lesprofesseurs sur le chemin des cours. “Lorsqu’on ne peut faire cours trois foisde suite parce que conduit au poste de police, les étudiants finissent par neplus venir”, se remémore tristement Edelstein.
“Puis la police a commencé à débarquer pendant les cours, pour différentsprétextes, comme des plaintes pour nuisances sonores déposées par les voisins.Elle confisquait le matériel”.
Machination soviétique

Edelstein se marie, renoue avec ses racines juives et se rapproche de lapratique. Il commence à respecter le Shabbat. Vendredi 24 août 1984, des coupssont frappés à sa porte. Il refuse de laisser entrer la police, mais les hommesforcent l’entrée. On lui annonce un mandat de perquisition pour “casparticulier”.

Avisant une boîte d’allumettes, les policiers l’informent qu’ils pourraientdéclarer qu’il s’agit de drogues.
dix jours plus tard, Edelstein est arrêté pour détention de stupéfiants. Il estemmené au poste de police pour une enquête de trois mois et sera traité commeun criminel. Lorsqu’un gardien veut déchirer ses tefilines, Edelstein se jettesur lui. Avant même de l’avoir frappé, il est projeté au sol. On le met àl’isolement pendant dix jours ; il entame une grève de la faim.
Ses interrogatoires sont ubuesques : sans délit réel, les enquêteurs ne saventque lui demander et il ne sait que répondre. Le 19 décembre, son procèscommence. “Ce jour-là, j’ai eu le sentiment d’être important”, rapporte leministre. “J’étais censé n’être qu’un petit trafiquant de drogue, et me voilàconduit à la cour comme une célébrité. L’immense immeuble face au tribunal aété interdit d’accès ce jour-là et personne n’était autorisé à se garer dans larue. Les lieux étaient bouclés par plus de 200 policiers. Les journalistesoccidentaux, pas plus que certains dissidents venus me soutenir, n’ont eu ledroit d’assister à l’audience”.
Le procès durera 5 heures. L’avocat d’Edelstein tente de démontrer que lestémoignages à charge sont faux, mais le magistrat ne veut rien entendre et n’ade cesse d’attaquer l’accusé. Lorsque le juge lui annonce qu’il est condamné àtrois ans de prison, la peine maximale pour son crime, Edelstein répond avecdéfi : “Mon Dieu et mon peuple m’aideront à aller en Israël”.

“Sans ma femme, je serais mort”

Il est ballotté de prisons en camps de travail.Les déplacements se font dans les trains de prisonniers, restés tristementcélèbres. Trois jours de voyage avec 18 détenus, voire 24, dans une celluleprévue pour 4.

Dans le meilleur des cas, on leur permet de rejeter leurs déchets deux fois parjour.
Finalement, Edelstein est emmené dans un camp sibériencrasseux et enneigé, près du Lac Baïkal. Il travaille dans la forêt, coupant dubois et manoeuvrant de vieilles et dangereuses machines pour en faire des railsde chemins de fer.
“On manquait de nourriture, nous étions tous fatigués et gelés”, rapporte leministre. “Les meilleures nouvelles, c’était quand il neigeait trop, ou qu’il yavait trop de brouillard : nous ne pouvions pas travailler parce que les gardesavaient peur que l’on en profite pour s’enfuir. De temps en temps, ilsvérifiaient que je n’étais pas en train de propager des idées sionistes. Maismes codétenus étaient tous goys, de toute façon.”
Gravement blessé, Edelstein est emmené à l’hôpital du camp. Mais les officiersdéclarent que les lieux ne sont pas suffisamment sûrs et le transportent versun autre camp très éloigné. C’est à sa femme, dit-ilaujourd’hui, qu’il doit sa survie. “Ils espéraient que je meure”,explique-t-il. “Mais lorsque mon épouse a appris que j’étais blessé, elle alancé une campagne pour me sauver.
C’est à ce moment seulement que j’ai eu droit à de vrais médecins pourm’opérer. Lorsqu’ils ont voulu me renvoyer au camp, ma femme a menacé leprocureur d’entamer une nouvelle grève de la faim. Je pense que je serais mortsinon”.
A la place, Edelstein est transféré dans un camp moinspénible, à Novossibirsk. Là, il entend progressivement parler des ventsnouveaux qui agitent l’Union soviétique.
“Un jour, Gorbatchev était déjà au pouvoir, je suis passé devant une télévisionà l’hôpital et j’ai entendu que 30 dissidents avaient été autorisés à partir enIsraël”, se rappelle-t-il. “J’étais sous le choc”.
Son épouse n’avait le droit de lui rendre visite que deux fois par an pour uneheure et en présence d’un policier. Ils n’avaient pas le droit de se toucher,de parler une langue étrangère ou de se donner quelque chose.
Mais elle réussit quand même à lui parler de plusieurs amis qui ont pu quitterle pays.
Au début de son incarcération, à chaque demande de libération conditionnelle,les autorités pénitentiaires clament qu’il n’a montré aucun signe de repentiret qualifient son comportement d’“irrespectueux”. Mais à la fin de sa secondeannée, le ton change complètement.
Il aurait pu être relâché, mais refuse d’admettre un crime qu’il n’a pascommis. Tous les autres prisonniers sionistes sont libérés. Huit mois plustard, un tribunal de Moscou tient une audience sur son cas sans le lui fairesavoir. Sa peine est réduite à 2 ans et 8 mois et Edelstein est alors relâché.

Les joies de la bureaucratie israélienne

Les Edelstein ne perdent pas uneseconde et renouvellent immédiatement leur demande de départ vers Israël. Ilsreçoivent le précieux visa un mois plus tard et s’envolent au bout de troissemaines pour la Terre promise, via Vienne.

Dès leur arrivée, ils sont accueillis par les joies de la politique et de labureaucratie israéliennes. Les politiciens veulent saluer leur arrivée àl’aéroport, mais c’est un vendredi et le jour ne leur convient pas. Puis une grèvegénérale se déclare en Israël, qui les empêche d’atterrir.
Finalement, c’est grâce au syndicat des professeurs d’école qu’Edelstein estadmis dans le pays, l’organisation jugeant qu’il était inadmissible de ne paspermettre à un professeur de faire son aliya.
Enfin, Aroutz 1, seule chaîne à l’époque, ne couvre pas son arrivée pour causede personnel en grève.
“Lorsque l’avion a atterri, mon épouse et moi avons pleuré. Les autrespassagers nous ont regardés bizarrement”, explique le ministre. “Longtempsaprès, à chaque fois que j’arrivais en Israël, j’avais mal au ventre”,confesse-t-il.
Les Edelstein seront finalement accueillis à l’aéroport par des politiques, desrabbins et d’anciens prisonniers sionistes. Des milliers de personnes sontprésentes lors de leur première visite au Kotel. “C’est à ce moment-là que j’aivraiment compris que j’étais en Israël”.
Le couple est aujourd’hui marié depuis 30 ans. Leur fille, née en Russie,habite dans un mochav de la région du Sharon. Leur fils, un Sabra, a récemmentfini son service militaire dans la brigade Golani. Une façon de boucler laboucle pour Youli qui, en faisant sa demande de visa pour Israël, avait déclarévouloir être parachutiste pour Tsahal.
Un vrai conte de fées

C’est en 1989 qu’Edelstein retourne en Russie pour lapremière fois. Il fait partie de la délégation israélienne pour le Congrès juifmondial, à l’occasion de l’ouverture du premier centre culturel juif à Moscou,depuis l’interdiction de pratiquer le judaïsme par l’Union soviétique. Lorsquele groupe rencontre les représentants du ministère des Affaires étrangèresrusse, les plaisanteries vont bon train sur la facilité surprenante aveclaquelle Edelstein est entré en ex-URSS, comparée aux difficultés qu’il asubies pour en sortir.

En 1997, nouveau voyage en Russie, cette fois en tant que ministre del’Intégration. Il rend visite à un couple d’amis proches. “Autrefois quand jevenais les voir, je les mettais en garde car je pensais avoir été suivi”,raconte-t-il. “Cette fois-ci en tant que ministre escorté par les forces del’ordre, j’ai pu dire la même chose”, sourit-il.
Son histoire d’ex-détenu devenu ministre en quelques années est un vrai contede fées, dit-il. Chaque année, à cette époque qui entoure les festivités de l’Indépendance, ily repense sans cesse. “A mes yeux, cette journée est très réelle”,explique-t-il.
“Ce n’est pas un sentiment d’indépendance général, c’est une libertépersonnelle envers et contre tout. Il y avait des officiers dans les camps quime disaient qu’ils veilleraient personnellement à ce que je n’aille jamais enIsraël. Pour les Israéliens nés dans le pays, l’indépendance va de soi, ils nepeuvent pas comprendre. Moi, je considère cela comme quelque chose qui auraitpu ne jamais exister, mais qui est arrivé, grâce à Dieu”.