Dans les coulisses de la victoire

Les stratèges de Benjamin Netanyahou passent à table et révèlent comment le Likoud est parvenu à transformer une défaite annoncée en une victoire incontestée

Les supporters en liesse du Likoud  (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Les supporters en liesse du Likoud
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Ari Harow et Aron Shaviv ne ressemblent pas vraiment à l’image que l’on se fait des supporters du Likoud. Ashkénazes, immigrants originaires de pays anglophones, ils vivent à Modiin. Aron Shaviv, stratège de campagne, est spécialiste des partis de centre droit en Europe. Ari Harow est originaire de Los Angeles. Fidèle chef de cabinet du Premier ministre Benjamin Netanyahou, il a quitté son poste pour se lancer dans la campagne.
En dépit de leurs origines, ce sont eux qui ont aidé Netanyahou à plonger dans la psyché des électeurs de droite pour transformer une élection qui s’annonçait perdue quatre jours avant le scrutin, en une victoire de grande envergure. « Nous sommes tous deux d’anciens olim, nous avons servi dans des unités combattantes de Tsahal et avons une très bonne perception de ce que souhaitent les Israéliens », affirme Harow, qui participe aux campagnes du Likoud depuis 15 ans. « Le Likoud représente un microcosme d’Israël, il n’est pas juste un prototype. Tous les secteurs de la société y sont représentés. Il appelle à un Israël fort, avec un Premier ministre qui proclame ce en quoi le pays croit. »
Ainsi se compose l’équipe de choc de la campagne du Likoud : Shaviv et Harow, deux stratèges israéliens, Nif Hefetz et Shlomo Filber, ainsi que l’américain John McLaughlin. A eux cinq, ils ont su éliminer un à un tous les obstacles dressés sur le chemin de la victoire : l’idée, très présente au début de la campagne, que le Premier ministre ne pouvait être battu ; la présence d’une multitude de partis satellites à droite qui représentaient un réel danger pour le Likoud ; ou encore la volonté de nombreux électeurs de voir Netanyahou continuer de diriger le gouvernement, sans l’envie de voter pour le parti au pouvoir.
Ils sont également parvenus à surmonter deux rapports accusateurs du contrôleur de l’Etat, une interminable succession de « scandales », une large campagne médiatique anti-Netanyahou, sans parler des sommes d’argents envoyées de l’étranger pour porter la gauche au pouvoir.
Comment s’y sont-ils pris ? « L’idée principale était d’amener l’électorat à ne faire son choix qu’entre les deux grands partis », explique Harow. « Nous avons estimé que si nous parvenions à créer une situation dans laquelle on demanderait aux électeurs de choisir l’homme qu’ils voudraient avoir comme Premier ministre, les Israéliens préféreraient Netanyahou à [son adversaire du Camp sioniste Itzhak] Herzog. »
Perdre, pour mieux gagner
Le premier slogan du Likoud a donc été « Ce sera nous ou eux », le « eux » englobant Herzog et sa partenaire Tzipi Livni, extrêmement impopulaire, selon les sondages internes du parti. Dès le début de la campagne, Shaviv a ainsi conseillé à Netanyahou de pousser le public à « inverser la logique ».
La guerre était déclarée. Il s’agissait de convaincre les électeurs de droite qu’au lieu de voter pour les autres partis avec l’idée que Netanyahou se retrouverait aux commandes, ils devaient voter Netanyahou, s’ils voulaient voir les plus petites formations rejoindre la prochaine coalition. « On vote pour le Premier ministre et on obtient les pièces détachées en prime », explique Shaviv. « On n’achète pas une radio pour avoir la voiture : on achète la voiture et on obtient la radio qui va avec. C’est la même chose ici : on vote Netanyahou et on obtient [le chef de HaBayit HaYehoudi Naftali] Bennett et [le chef de Koulanou Moshé] Kahlon. »
Toutefois, précise Shaviv, il convenait d’attendre le moment propice. Plus Netanyahou chuterait dans les sondages, plus les électeurs de droite sentiraient la nécessité de voter pour lui. Un risque calculé.
Une étude d’opinion menée dans la nuit du dimanche annonçait que, pour la première fois, moins de la moitié des électeurs pensaient que Netanyahou serait à même de former le prochain gouvernement. De quoi faire pencher la balance pour des dizaines de milliers d’indécis, que de multiples interviews de Netanyahou ont achevé de convaincre. Des interventions au cours desquelles le Premier ministre n’a cessé de marteler que, pour avoir la sécurité, les Israéliens devaient voter Likoud.
« C’est l’une de ces délicieuses ironies des campagnes électorales », commente Shaviv. « Plus les gens pensent que vous allez perdre, plus vous êtes susceptible de gagner. Cette stratégie a été mise au point dès le premier jour et appliquée exactement au moment propice. Juste au moment où on a eu l’impression que Netanyahou allait perdre, il a été judicieux de dire aux gens que, pour avoir Kahlon et Bennett, ils devaient voter Likoud. »
Eliminer la menace Kahlon
Au cours des 96 dernières heures de campagne, les stratèges ont ainsi touché les 7 à 8 % d’indécis de droite qui hésitaient pour la plupart entre le Likoud et HaBayit HaYehoudi ou entre le Likoud et Koulanou.
Voilà pourquoi, dans ses interviews du dimanche matin à la radio, Netanyahou a annoncé qu’en cas de victoire, il choisirait Kahlon comme ministre des Finances. Il mettait ainsi un terme aux tergiversations des partisans du Likoud prêts à voter Koulanou. Des électeurs qui mettaient les problèmes socio-économiques au premier rang de leurs préoccupations se voyaient ainsi pris en considération et pouvaient en toute tranquillité glisser dans l’urne le bulletin qui garantirait la sécurité d’Israël.
Pourtant, révèle Shalev, Netanyahou avait déjà décidé de cette nomination dès le mois de décembre. Il en avait déjà parlé à deux reprises dans ses discours. Puis nous lui avons conseillé de cesser de le faire et de ressortir cette annonce de son chapeau au moment opportun.
« Vous vous souciez des prix du logement ? Sachez bien que nous prenons cela en considération ! », poursuit Shaviv. « Dès lors, il ne vous reste plus qu’à vous demander de quelle coalition vous souhaitez que Kahlon fasse partie ! Or la plupart des partisans de Kahlon sont de droite. »
Selon Shaviv, Kahlon aurait pu gagner deux ou trois sièges à la Knesset au détriment du Likoud, s’il avait déclaré son intention de se joindre exclusivement à un gouvernement dirigé par Netanyahou. Mais le n° 2 de sa liste, le général à la retraite Yoav Galant, a fait le jeu de Netanyahou en clamant haut et fort qu’il avait conclu un accord avec Herzog.
Piquer des voix à Naftali Bennett
Pour apprivoiser les candidats de HaBayit HaYehoudi, Shaviv a lancé un mot d’ordre au tout début de la campagne : interdiction d’attaquer Naftali Bennett.
Pourtant, les membres de la formation de droite ont eu l’impression que le parti au pouvoir n’avait cessé de les attaquer tout au long de la campagne. En particulier lors des déplacements de Netanyahou à Eli et dans le Goush Etzion. Shaviv dément. Pour lui, il s’agit là d’une mauvaise interprétation des propos du Premier ministre.
Le seul moment où le principe de non-agression a été enfreint de façon intentionnelle, indique Shaviv, c’est lorsque le ministre de la Défense Moshé Yaalon s’est défendu contre les critiques de Bennett sur sa gestion de l’opération Bordure protectrice à Gaza l’été dernier.
Outre son escapade dans les territoires, Netanyahou a montré patte blanche à la droite en utilisant une rhétorique davantage prise au sérieux à l’étranger qu’en Israël. S’il s’est prononcé contre le retrait de territoires, une option qu’il a estimée trop risquée, c’est seulement à la lumière de la désintégration du Moyen-Orient. Il n’en reste pas moins fidèle à sa volonté de parvenir à une solution à deux Etats telle qu’il l’a défendue dans son discours de Bar-Ilan, en 2009.
Diaboliser le Camp sioniste
Netanyahou a également martelé tout au long de la campagne qu’il ne formerait en aucun cas un gouvernement avec le Camp Sioniste, alors que ses adversaires de droite soutenaient qu’il était prêt à le faire. Il l’a annoncé expressément pour la première fois après les primaires travaillistes, au terme desquelles ont été élus certains candidats qui avaient, par le passé, fait des déclarations jugées antisionistes.
Aux derniers jours de la campagne, les stratèges du Premier ministre ont aiguisé encore le message à l’encontre de leur principal adversaire. En mettant l’accent sur le fait que, le moment venu, la Liste arabe unie allait recommander au président Rivlin de confier la formation du gouvernement à Herzog et Livni – une décision qui jouait bien sûr en faveur de Netanyahou.
Le soutien à la gauche offert par la communauté internationale, via des organisations comme le V15, n’a par ailleurs pas beaucoup plu aux ex-électeurs du Likoud. Il les a incités à rentrer au bercail en votant pour le parti au pouvoir, ou à se rendre aux urnes s’ils avaient eu jusque-là l’intention de s’abstenir.
Le joker : l’humour
Les vidéos humoristiques qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont été un autre ingrédient appréciable de la victoire. Les stratèges du Likoud ont compris que les clips de campagne de 30 secondes autorisés pour la promotion des partis étaient devenus un anachronisme. Si, à l’époque, les électeurs constituaient un public captif, contraints de suivre l’un après l’autre les messages des partis, aujourd’hui, ils n’hésitent plus à zapper.
« Les gens ne laissent plus les partis leur marteler des slogans dans la tête », explique Shaviv. « Pour passer efficacement des messages, il faut faire rire ou sourire. Le clip Bibi-sitter, par exemple, n’était pas seulement drôle, il délivrait un message : à qui faites-vous confiance pour que vos enfants soient en sécurité ? »
Pour Shaviv et Harow, tout le mérite de la victoire revient à Netanyahou lui-même. « Il était concentré sur sa ligne directrice, précis à l’extrême », se félicite Shaviv. « Il a porté cette campagne à bout de bras et l’a menée jusqu’à la victoire. »