L'intégration au point mort

Conscription des harédim, réforme de l’establishment religieux, Israël vient de faire un grand pas en arrière

Manifestation d'orthodoxes contre la conscription (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Manifestation d'orthodoxes contre la conscription
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Lors du grand rassemblement ultraorthodoxe qui s’est tenu à Bnei Brak en mars dernier, l’un des participants se déclarait moins inquiet par ce qu’il qualifiait de « lois anti-Torah » votées ou proposées par le dernier gouvernement que par l’importante réduction des allocations familiales que celui-ci avait entreprise. Le souci de cet homme pour la sécurité financière de sa famille reflète bien ce qu’était la priorité absolue du public harédi, et par là même de ses dirigeants politiques, pendant la dernière campagne électorale et au cours des négociations de coalition entre le Likoud et le Judaïsme unifié de la Torah (JUT).
A cet égard, l’accord finalisé jeudi 30 avril entre les deux partis va tranquilliser la communauté orthodoxe. Tant que durera le prochain gouvernement, on peut s’attendre à un complet statu quo en ce qui concerne les deux objectifs chers à la coalition précédente : contraindre les jeunes harédim à effectuer leur service militaire et les insérer dans la vie active. Deux projets que l’on estimait pourtant être des avancées cruciales à long terme pour l’économie israélienne, étant donné l’expansion rapide de la communauté ultraorthodoxe.
En 2014, 25 % des élèves de primaire étaient scolarisés dans le système harédi et la moitié de la population ultraorthodoxe avait moins de 14 ans. C’est la prise de conscience de cette croissance démographique qui avait incité le gouvernement à réduire les allocations et le soutien financier accordés aux harédim, décisions qualifiées de « mauvais décrets » dans le secteur ultraorthodoxe, qui commençait à tirer la langue.
En exerçant cette pression financière, le gouvernement espérait pousser les élèves de yeshivot à plein temps à quitter leurs salles d’étude pour aller travailler ; or, l’accord conclu dans le cadre de la nouvelle coalition va restaurer tous les financements accordés à la communauté ultraorthodoxe avant que le président de Yesh Atid entreprenne de revoir à la baisse les largesses gouvernementales vis-à-vis de ce secteur.
En outre, l’accord s’attache à vider de sa substance la loi sur la conscription des harédim votée l’an dernier : les étudiants des yeshivot n’y seront plus astreints et aucune sanction économique ou autre ne viendra les défavoriser en contrepartie. Si aucune pression juridique ou financière n’oblige plus les ultraorthodoxes à effectuer leur service militaire et à intégrer le monde du travail, on ne voit pas comment le moindre progrès pourra être réalisé face aux difficultés économiques posées par une démographie galopante dont les conséquences se feront lourdement sentir dans 20 ou 30 ans à peine.
La mainmise sur la religion
L’accord entre le Likoud et Yahadout Hatorah ne présage pas seulement de difficultés économiques pour la société israélienne : il risque aussi de susciter des problèmes religieux et sociaux, puisqu’il rend au parti orthodoxe son droit de veto sur toutes les questions liées au culte et à l’Etat, droit dont il jouissait dans les précédents gouvernements auxquels il a appartenu.
Au sein de la précédente coalition, le parti national religieux HaBayit HaYehoudi bénéficiait de ce même droit de veto et en a fréquemment fait usage, mais non sans initier et soutenir également des réformes relatives aux différents types de services religieux et en faisant preuve d’une certaine souplesse sur des problèmes tels que la réforme des conversions, les organismes d’inspection de la cacherout et autres.
A présent, tous les progrès réalisés sur des questions graves, comme le refus du guet (pour le divorce), la rigidité extrême face aux candidats à la conversion, la réforme des services religieux, les transports publics le shabbat, le droit de prier au Kotel – sans parler des problèmes de fond, comme le mariage civil et la mainmise des orthodoxes sur la religion – se retrouveront gelés pendant la durée du prochain gouvernement.
Après l’optimisme et les espoirs que beaucoup ont nourris quand le 33e gouvernement d’Israël a été mis en place, ce gel imposé par le nouveau pouvoir pourrait bien conduire à une crise de légitimité de l’establishment religieux juif et de ses institutions.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a ainsi cédé du terrain aux partis ultraorthodoxes sur deux plans : les inquiétudes économiques que suscite la place occupée par la communauté ultraorthodoxe au sein de l’Etat, et le contrôle de cette tranche de la population sur la religion et sur les liens de celle-ci avec le pouvoir.
Reste à savoir dans quelle mesure HaBayit HaYehoudi et Israël Beiteinou combattront ce transfert d’autorité au JUT et au parti Shas. Avigdor Liberman a toujours plaidé pour une plus grande intégration des ultraorthodoxes dans l’armée et sur le marché du travail, tandis que Naftali Bennett craint de perdre sa propre légitimité vis-à-vis de son électorat national religieux en abandonnant le ministère des Services religieux au Shas.
Cependant, sachant que HaBayit HaYehoudi ne dispose d’aucune alternative politique à une coalition conduite par le Likoud avec des partenaires ultraorthodoxes, et qu’Israël Beiteinou se retrouvera très affaibli au sein de la prochaine Knesset, il est peu probable que l’un ou l’autre de ces partis parvienne à empêcher le JUT de faire adopter les concessions significatives qu’il vient de décrocher dans les négociations de coalition.
 
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