Berlin Tel-Aviv

Ils sont nés dans la capitale allemande, mais ont choisi de vivre à Tel-Aviv. Part de l’inconscient, devoir de mémoire ? Pourquoi la Ville blanche attire-t-elle les Berlinois ?

Lisa sur la promenade de Tel-Aviv (photo credit: DR)
Lisa sur la promenade de Tel-Aviv
(photo credit: DR)
Lisa, une jeune danseuse berlinoise de 25 ans, remarque sa boisson préférée sur une étagère du Salon Berlin, un pub de la rue Allenby à Tel-Aviv. Elle s’étonne : « On n’en trouve que dans les bars très branchés de Berlin ». Et confie : « Les Allemands, soit ils aiment, soit ils détestent cette boisson ».
Eva, 32 ans, est elle aussi berlinoise. Elle s’est installée en Israël il y a deux ans, après être tombée amoureuse du pays, lors d’un voyage en 2007. C’est la première fois qu’elle vient au Salon Berlin. « Je vis en Israël, donc je veux me mélanger avec les Israéliens », dit-elle. « Mon mari est israélien. Je ne suis pas fan de ce qui me ramène chez moi. »
Le bar, à la fois design et vintage, est complètement dans l’esprit berlinois. C’est ce qu’avait en tête son créateur, Nissim Malach, un Israélien né de parents grecs et hongrois, qui n’a pourtant jamais mis les pieds dans la capitale allemande. Mais il y a huit ans, il avait déjà prédit l’engouement que susciterait la métropole européenne.
Car ce n’est un secret pour personne : les Israéliens, et les Telaviviens en particulier, sont attirés par Berlin, une des villes les plus à la mode de l’Europe. Et surtout une des moins chères. Cela a fait les gros titres des journaux il y a quelques mois, avec la polémique du Milky.
Mais cette attraction est-elle réciproque ? Les berlinois sont-ils eux aussi attirés par Tel-Aviv ? Et quel rôle joue la mémoire de la Shoah dans cette connexion ?
Premier indice : la page Facebook « Allemands en Israël » ne compte pas moins de 1 200 membres. Il faut dire que les deux villes ont beaucoup en commun : des nuits animées, une scène culturelle d’avant-garde, un paysage cosmopolite… Sans compter que Tel-Aviv possède ce qui manque à Berlin : la mer et le soleil.
Il est pourtant difficile de faire un décompte précis du nombre de Berlinois présents dans la Ville blanche, car il n’existe pas de communauté organisée. Les chiffres sont donc approximatifs : il y aurait environ 10 000 résidents bénéficiant de la double nationalité, et 2 000 ou 3 000 expatriés.
Inconsciemment, réparer le passé
Eva, Lisa et Julia, 30 ans, sont toutes les trois arrivées en Israël pour la première fois à l’invitation d’un Israélien rencontré à l’étranger. L’histoire racontée par les expatriés est à chaque fois la même. C’est celle d’un coup de foudre. « Je suis venu et je suis tombé amoureux du pays », disent-ils tous. Rarement ils évoquent le passé qui lie l’Allemagne au peuple juif.
A l’exception de Schroder. Venu dans le cadre d’un programme d’échange pour journalistes, le jeune homme a vite fait le choix de quitter son travail dans un quotidien berlinois pour s’installer en Israël. « C’est ce qui rend les relations intéressantes, peut être de façon inconsciente. Je ne peux pas dire que je suis venu pour réparer les erreurs commises par mes pères », dit-il, « mais c’est un sujet que j’ai abordé avec une femme d’origine allemande qui vit ici depuis des décennies ; elle m’a dit qu’il y avait aussi sûrement de ça, en partie, et je le pense aussi. »
Dans les écoles allemandes, l’étude de la Shoah représente une grande partie des cours d’histoire, mais l’accent n’est pas forcément mis sur le mouvement sioniste et la création de l’Etat d’Israël. « J’essaie de voir Israël d’un œil nouveau, même si le passé est toujours présent dans un coin de mon esprit. Je suis allée à Yad Vashem bien évidemment, mais la Shoah n’est pas la raison principale de ma présence », confie Eva.
Pour elle, la grande majorité des jeunes allemands reconnaissent et regrettent profondément les atrocités commises par les nazis, mais refusent de se sentir coupables de choses qui se sont produites bien leur naissance. Pourtant, avoue-t-elle, il arrive qu’en compagnie d’Israéliens, elle ressente le passé noir de l’Allemagne comme un gros problème dont on n’ose pas parler.
« Parfois, cette part de l’histoire est comme une énorme valise et je ressens cette responsabilité comme un fardeau », confie Julia. « C’est là, on ne peut pas le nier, et pour notre génération aussi, mais je pense que la question est de savoir comment gérer cette responsabilité. Il ne s’agit pas de s’excuser à longueur de journée, mais plutôt de se souvenir que cela ne doit plus jamais se produire. »
Kristina Frick, 35 ans, est photographe et vit à Berlin. Il y a trois ans, elle est venue pour la première fois à Tel-Aviv, elle aussi invitée par un Israélien rencontré dans la capitale allemande. « J’aime Tel-Aviv », avoue-t-elle. Et elle énumère les raisons de ce béguin : la vie nocturne, la culture, la mer, le soleil, l’ouverture d’esprit… Mais pour elle, la mémoire ne joue aucun rôle dans son attraction pour la Ville blanche. Elle se souvient cependant d’une fois, où elle a entendu des gens parler en yiddish à la terrasse d’un café à Tel-Aviv. Cela avait éveillé chez elle le souvenir d’une vie juive intense qui existait en Allemagne, mais qu’elle n’a jamais connu. « J’avais sous les yeux ce qui aurait pu être une scène en Allemagne avant la guerre, ce qui manque aujourd’hui, ce que les nazis ont tué. »
Une mémoire commune
Si la Shoah n’a pas joué le rôle de déclencheur dans leur décision de s’installer en Israël – du moins pas de façon consciente — elle aurait en revanche pu freiner les ardeurs de ces expatriés.
Eva et Schroder craignaient d’être stigmatisés en tant qu’Allemands. « Quand je suis venu en Israël pour la première fois, j’ai pensé qu’il valait mieux ne pas dire que j’étais Allemand. Je craignais que les gens réagissent de façon négative », se souvient Eva. « Au début, j’ai donc essayé de le cacher, mais je me suis vite rendue à l’évidence que, de nos jours, c’était quelque chose de tout à fait normal. La première pensée de mes interlocuteurs n’est pas allée vers la Shoah, mais a plutôt été : “Oh Berlin, le pays du Milky”. »
Les inquiétudes de Schroder étaient elles aussi infondées. « Quand on vient pour la première fois en Israël, en tant qu’Allemand, à cause du passé, on est très inquiet de la façon dont on va être accueilli. Mais en fait, cela ne joue aucun rôle, nous sommes accueillis de façon très chaleureuse. »
Julia se souvient d’un épisode inconfortable. Lors d’un spectacle, le comique sur scène interpelle le public et lui demande d’où elle vient. Quand elle répond qu’elle est d’origine allemande, il improvise une blague sur les juifs et Hitler. « Les spectateurs ont éclaté de rire. Et moi, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Nous ne sommes pas autorisés à rire de la Shoah. Nous ne pouvons pas. Mais ici, la façon de se souvenir est totalement différente et même étrange à mes yeux. »
En quelques décennies, Tel-Aviv est devenue une destination attractive pour les jeunes du monde entier, au même titre que New York ou Londres. Mais pour les Berlinois, l’histoire de l’Allemagne et la relation unique qu’elle entretient avec l’Etat hébreu, à la lumière du passé, en fait une destination plus fascinante que les autres. « Je pense que cela a un rapport avec l’histoire que nous avons avec les juifs. Ce n’est pas de la culpabilité, mais Israël est dans le radar des Allemands », explique Lisa.
Et si on demande à Eva ce qu’elle pense de la vie chère en Israël, elle répond : « Je me sens plus chez moi ici qu’à Berlin, et cela n’a pas de prix. »
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