Des fouilles archéologiques auraient permis d'exhumer le site de Chaarayim

Le site de Khirbet Qeiyafa est-il la ville biblique perdue de Chaarayim ? Abritait-il un sanctuaire conçu sur le modèle du Temple de Salomon à Jérusalem ?

Khirbet Qeiyafa dans la vallée d’Elah (photo credit: SKYVIEW LTD)
Khirbet Qeiyafa dans la vallée d’Elah
(photo credit: SKYVIEW LTD)
Perché sur une colline surplombant la vallée d’Elah, à quelques kilomètres au sud-ouest de Beit Shemesh, se trouve un site archéologique datant de l’âge du fer appelé Khirbet Qeiyafa. Ceci est la seule certitude au sujet de ces ruines. Le flou subsiste en effet sur l’identité des habitants de cette cité et l’éventuelle présence du palais du roi David, la grande question étant de savoir si ces vestiges peuvent être identifiés comme la ville biblique de Chaarayim – terme hébreu signifiant « deux portes ». Cette hypothèse, en tout cas, est étayée par un premier argument de poids : celui de la découverte de deux portes anciennes lors de fouilles récentes. Cependant, les détracteurs de cette théorie soulignent que Chaarayim n’est pas la seule ville mentionnée dans le Tanakh qui comportait deux portes (c’est aussi le cas de Meguido). Le débat entre spécialistes peut ainsi commencer.
Le Premier Livre de Samuel fournit une description détaillée de la bataille des Israélites contre les Philistins : « Or, les Philistins réunirent leurs armées pour une expédition, se donnèrent rendez-vous à Socoh, ville de Juda, et se postèrent entre Socoh et Azekah, à Efès-Dammim. De son côté, Saül réunit les Israélites, qui se postèrent dans la vallée d’Elah… » (I Sam. XVII, 1-2). Puis, dans ce même chapitre, au verset 52, la route de Chaarayim est décrite comme le lieu où les Philistins ont été tués après la victoire de David sur Goliath : « Les hommes d’Israël et de Juda se levèrent en poussant le cri de guerre et poursuivirent les Philistins jusqu’aux abords de Gaï et jusqu’aux portes d’Ekron ; les cadavres des Philistins jonchèrent la route de Chaarayim, jusqu’à Gath et jusqu’à Ekron. » Une autre référence des Ecritures, dans le Premier Livre des Chroniques, indique que Chaarayim est une des villes administrées par le roi David.
Monarchie historique ?
Khirbet Qeiyafa, documenté dès le XIXe siècle, se trouve dans la vallée d’Elah entre les lieux identifiés comme le Socoh biblique et Azekah. Tandis que le site a été excavé entre 2007 et 2013, ses artefacts sont présentés pour la première fois, au musée des Pays de la Bible à Jérusalem à l’occasion d’une exposition intitulée Dans la vallée de David et Goliath. Yehouda Kaplan, commissaire de l’exposition, a sélectionné armes, ustensiles de cuisine, outils, inscriptions et bien d’autres témoins du passé découverts lors des fouilles menées par le Pr Yossef Garfinkel de l’Université hébraïque de Jérusalem, Saar Ganor de l’Autorité des antiquités israéliennes et le Pr Michael Hasel de l’université Southern Adventist du Tennessee.
Pour arriver à l’exposition, il faut descendre dans un couloir étroit dont l’une des parois est ornée sur toute sa longueur d’une immense photo montrant une vue panoramique de la vallée d’Elah avec reconstitution des structures grâce au logiciel Photoshop : vous voilà à contempler la région exactement comme les habitants de Khirbet Qeiyafa auraient pu le faire. Le design du lieu vous donne en plus l’impression d’être à l’intérieur du site, avec de grandes roches appliquées sur le mur, et des portes sud et ouest – comme celles du chantier archéologique – pour entrer et sortir de l’exposition. « Nous voulions “amener” le public sur le site », déclare Amanda Weiss, directrice du musée, qui ne décolère pas face à la récente résolution de l’UNESCO niant les liens entre le judaïsme et Jérusalem. « Cette exposition montre notre lien profond avec le pays », poursuit-elle. Mais le site confirme-t-il vraiment une ancienne connexion juive à la terre ? Et a-t-il quelque chose à voir avec le monarque le plus célèbre de la Bible, le roi David ? « Je ne me vois pas dans le rôle de celui qui doit convaincre de la justesse ou de l’inexactitude d’un propos, mais nous essayons ici d’en apporter la preuve. C’est ce que nous faisons avec l’archéologie », affirme Yehouda Kaplan. « Les responsables des fouilles estiment qu’il s’agit d’une ville judéenne à la frontière avec la Philistie, et David représente le candidat le plus probable à l’origine de cette construction. »
Comme l’explique le commissaire de l’exposition, Khirbet Qeiyafa a ravivé un débat qui agite le monde archéologique depuis une quarantaine d’années. La controverse porte sur la représentation biblique de la monarchie unie sous les règnes de David et Salomon : est-elle historique ou fictionnelle ? « Dans les années soixante, lorsque je travaillais avec William Albright (archéologue et bibliste américain qui a authentifié les Manuscrits de la mer Morte en 1948), nous avions l’habitude de tenir la Bible dans une main et la pelle dans l’autre, le but étant de prouver les Ecritures par l’archéologie », relate Yehouda Kaplan. « Par la suite », continue-t-il, « les chercheurs sont devenus plus critiques. Dans les années soixante-dix, de nombreux archéologues ont ainsi adopté une approche opposée, considérant la Bible comme un mythe et envisageant le roi David comme un personnage non historique mais plutôt comme le modèle de référence idéal pour l’aspirant au trône, un peu comme le roi britannique Arthur. »
Preuves archéologiques
Kaplan souligne la planification urbaine élaborée du site contesté ; ceci signifie que Khirbet Qeiyafa était une ville, et non un village : la muraille d’enceinte est constituée de casemates, la fortification comprend deux murs parallèles, et des cloisons plus petites et perpendiculaires créent des pièces ou des cellules. « De l’avis des archéologues, on a retrouvé cette forme d’urbanisme en Judée, un ou deux siècles plus tard, dans des sites comme Tel Sheva et Beit Shemesh », dit Kaplan.
Les découvertes ont apporté, entre autres, un éclairage sur l’alimentation des habitants de la cité avec l’identification d’os de bovins, de moutons et de chèvres, mais aucun os porcin. Un indice qui laisse penser que cette société était fidèle aux lois de la cacherout. Dans une vitrine, le commissaire de l’exposition montre ceux qu’il nomme « les véritables héros de Khirbet Qeiyafa » : environ 25 noyaux d’olives carbonisés. Trouvés à l’intérieur des maisons, ils ont été envoyés à l’université d’Oxford pour datation au carbone 14 : les résultats d’analyses ont confirmé que les archéologues travaillaient sur un site datant de la fin du XIe siècle au début du Xe siècle avant l’ère chrétienne, « une période fondamentale, très débattue dans l’histoire biblique, parce que c’est l’ère de transition entre l’époque des Juges et le début de la monarchie ».
Une des découvertes les plus intéressantes du site est un objet de culte particulier, un « modèle de sanctuaire », selon Kaplan. Constitué de pierre calcaire et mesurant environ 30 cm de haut, il comporte des cadres inversés autour de la porte ainsi que des triglyphes (éléments ornementaux saillants). Initialement, les archéologues pensaient que cet artefact provenait de Grèce et qu’il avait été introduit au cours du IIIe siècle avant l’ère chrétienne, mais en réalité, il est antérieur d’environ 700 ans. Plus intéressant encore, certains chercheurs ont avancé une théorie selon laquelle ce sanctuaire serait la maquette du Temple de Salomon à Jérusalem. Pour eux, la disposition des cadres de la porte et les ornementations correspondent aux descriptions du Beit Hamikdach dans la Bible.
Tout le monde n’est pas d’accord
Le Dr Israël Finkestein, archéologue de l’université de Tel-Aviv, ne croit pas aux thèses avancées par les responsables des fouilles. Tout d’abord, il rejette leur méthodologie, déclarant dans son rapport à propos du site (Khirbet Qeiyafa : An Unsensational Archaeological and Historical Interpretation – une interprétation archéologique et historique dénuée de sensationnel) qu’elle a été élaborée précipitamment. Il pense ainsi qu’il est inexact d’étiqueter le site comme celui de Chaarayim pour la simple raison « qu’il apparaît dans la Bible, dans des textes datant de la fin du VIIe siècle avant l’ère chrétienne », explique-t-il, « et qu’à Khirbet Qeiyafa on n’a pas encore trouvé de vestiges de cette période. » Et d’asséner que l’identification est donc impossible. Malgré cela, il déclare que « l’on ne peut pas exclure l’éventualité que la localité ait été associée à Juda ». Cependant, ce n’est pas l’absence d’os porcins qui l’amène à cette conclusion. « Les données recueillies ces dernières années indiquent que cette absence n’est pas seulement caractéristique des sites qui se trouvent dans les hauteurs. Par exemple, dans une zone rurale de Philistie (Nahal Besor), à proximité de Gaza, on n’a pas non plus déterré d’os de porcs. En d’autres termes, la présence d’un grand nombre d’os porcins est principalement caractéristique des sites philistins urbains », argumente-t-il.
Dans sa réponse à certains des arguments avancés par le directeur de l’institut d’archéologie de l’université de Tel-Aviv, Garfinkel passe à l’offensive. « Les nouvelles données dont nous disposons font que la thèse de Finkelstein s’effondre. Sa réaction face aux points de vue opposés est déplorable et s’apparente à de la médisance. Cela ne mérite aucun commentaire. » Il soulève néanmoins deux points en réponse à la critique de Finkelstein. Concernant l’accusation selon laquelle les fouilles ont été effectuées « précipitamment », Garfinkel déclare : « Lors de l’excavation, nous avons examiné tous les sédiments, ce qui représente des centaines d’heures de travail chaque jour. C’est ainsi que nous avons découvert de nombreux artefacts de petite taille (billes, sceaux, scarabées…). Par contre, à Meguido [site exploré par Finkelstein], on n’en a pas trouvé tellement. » Hasel, l’un des partenaires de Garfinkel dans les fouilles de Khirbet Qeiyafa, ajoute : « Nous avons effectué sept campagnes de fouilles ; le site a été exploré chaque année par une équipe constituée de 50 à 90 personnes (professionnels et bénévoles) pendant six semaines, permettant la mise au jour d’une grande partie de la cité. Personne d’autre dans la communauté archéologique n’a mis en cause notre méthodologie. »
Tandis que Garfinkel présente les deux portes de Khirbet Qeiyafa comme le meilleur argument pour convaincre le public que le site est bien Chaarayim, Hasel déclare que la sélection d’un seul élément de preuve comme méthode de démonstration représente une simplification excessive. « Nous avons publié 12 raisons qui permettent de considérer le site comme judéen », dit-il. « Entre autres, le fait qu’il date du temps de Saül et David. Il est situé à l’endroit précis où, selon le récit du Premier Livre de Samuel, s’est déroulée l’histoire de David et Goliath. Et la cité a la particularité de comporter deux portes. »
Edifice administratif ou palais royal
Les vestiges d’une grande maison située au centre de la ville font également l’objet de controverses. Pour Kaplan, ce n’est qu’un bâtiment administratif, mais Hasel et Garfinkel suggèrent qu’il s’agit d’un palais construit par le roi Saül ou David : « Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur celui qui a construit la cité et utilisé le bâtiment. Certains proposent Saül ; nous suggérons qu’il s’agit de David. [Chaarayim est répertorié comme l’un des sites administrés par le roi David, selon le Premier Livre des Chroniques IV, 31.] En tout état de cause, il reflète la période décrite dans la Bible comme le début de la monarchie en Israël. Et même si Saül a construit la cité, comme le suggère Finkelstein, David n’aurait-il pas pu continuer à s’en servir pendant sa monarchie comme ville de garnison située à la frontière entre la Philistie et Juda ? Le fait que David ait pu utiliser cette bâtisse monumentale contemporaine de son règne représente donc pour nous une hypothèse logique. »
Finkelstein répond que la phrase que lui attribue Hasel (« Saül a construit le site ») est un peu excessive, et il admet que les archéologues « n’en savent pas beaucoup sur les débuts du Royaume israélite du nord [se référant à Qeiyafa], ses dirigeants et les dates précises de leurs règnes. »
Comme dans de nombreux sites, seule une petite partie des vestiges a été mise au jour. Mais même ainsi, Hasel est confiant : « Nous avons fait plus de recherches à Khirbet Qeiyafa que dans tous les autres sites importants de fouilles en Israël. Nous en avons exploré 25 %, tandis qu’un soubassement à découvert qui constitue 30 % de la zone n’a pas à être creusé. Le résultat est que nous connaissons 55 % du site. Dans la plupart des fouilles effectuées sur des ruines de l’âge du fer, moins de 5 % ont été mis au jour et il n’y a pas de vestiges à découvert. Ces éléments nous permettent d’être plus certains de nos conclusions à Qeiyafa que dans la plupart des autres chantiers archéologiques du pays », souligne-t-il.
Le Khirbet Qeiyafa de l’âge du fer n’aurait été habité que pendant 30 à 40 ans ; selon Kaplan, il existe des preuves que la ville a non seulement été abandonnée, mais aussi détruite. Avec ses murailles impressionnantes, ses deux portes, son édifice administratif ou son palais (selon le spécialiste interrogé), le mystère enveloppe toujours ce site, qui 3 000 ans plus tard, n’a pas fini de passionner archéologues, chercheurs et visiteurs de musées.
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