Les universités mises au pas

Le code éthique proposé par Naftali Bennett divise l’enseignement supérieur

Le professeur Asa Kasher, auteur du code éthique (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Le professeur Asa Kasher, auteur du code éthique
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Dans quelques semaines, le Conseil israélien de l’enseignement supérieur doit se pencher sur l’adoption d’un code éthique, qui vise à encadrer l’expression politique dans les universités et les collèges. Rédigé par le professeur émérite Asa Kasher, à la demande du ministre de l’Education Naftali Bennett, il a principalement pour but de dissuader les chargés de cours d’exprimer leurs opinions politiques dans le cadre de leur enseignement. Le code éthique leur interdit également de soutenir le boycott de l’enseignement israélien. De nombreux professeurs, largement opposés à ce code, ont d’ores et déjà promis d’ignorer cette réglementation si elle était adoptée. Quant aux étudiants, ils menacent de faire grève.
Comme dans la plupart des pays occidentaux, les établissements de l’enseignement supérieur israélien sont assez marqués politiquement. La droite les considère ainsi comme les bastions d’une élite issue des rangs de la gauche, à l’instar des médias, du pouvoir judiciaire ou des organismes culturels.
Bennett a répondu à la vague de critiques émanant du milieu universitaire, en soulignant que ce code de déontologie s’appliquerait aussi bien aux tenants de la gauche qu’à ceux de la droite. « Nous agissons aujourd’hui pour que cesse la mise au pas des opinions contradictoires dans les universités. Notre objectif est d’empêcher que des étudiants puissent être pénalisés d’une quelconque façon en raison de leurs idées politiques, et d’éviter que des chargés de cours rémunérés par le contribuable israélien se permettent d’appeler au boycott du milieu universitaire qui les emploie. »
« Ce code ne tient pas des Dix Commandements, a souligné le ministre de l’Education, « il constitue au contraire une invitation au dialogue. Quiconque se donne la peine de le lire peut s’en rendre compte. La culture du débat et de la makhloket (polémique ou controverse), qui est à la base du Talmud, est profondément enracinée dans le judaïsme. Ce code marque le début d’un cheminement et d’une concertation qui doit aboutir à un consensus dans sa mise en œuvre. »
Asa Kasher, le rédacteur de ces propositions controversées, est professeur de philosophie et d’éthique à l’université de Tel-Aviv. Lauréat du prix Israël, il a également coécrit le code éthique de Tsahal, qui dispose d’un large consensus. Il s’insurge contre ces critiques exprimées par le corps enseignant. « Le problème de ces personnes avec le code de déontologie se nomme Bennett. A partir du moment où c’est lui qui en a eu l’initiative, la gauche sera systématiquement contre », assure-t-il.
Il critique particulièrement l’Association des présidents d’université qui orchestre cette campagne contre le texte : « Les membres de cette organisation fonctionnent comme les rabbins ultraorthodoxes, c’est-à-dire comme un clan motivé par son instinct de conservation, et qui agit dans le but de protéger ses propres intérêts. »
L’Association des présidents d’université décrit le texte proposé comme un « ensemble de règles dictées par le régime ». Le gouvernement est accusé de vouloir priver les institutions d’enseignement supérieur de leur liberté d’expression en dictant les règles de conduite du corps enseignant. Ce faisant, proclament les présidents, il viole de manière flagrante les fondements de la liberté académique. « Vous ne nous arrêterez pas. Nous continuerons à discuter politique pendant les cours », a ainsi lancé le Pr Niv Gordon de l’université Ben-Gourion du Neguev.
Le célèbre historien Yuval Noah Harari de l’Université hébraïque de Jérusalem, dont les livres sont devenus des best-sellers internationaux, compare la situation qui règne en Israël aujourd’hui avec le maccarthysme des années 1950, aux Etats-Unis. Il a ainsi affirmé que si le code éthique venait à être adopté, il ferait en sorte de le violer à chacun de ses cours. Il a mis ses élèves en garde contre cette « atmosphère de censure, de police de la pensée et de peur » qui règne dans le sillage de la mise en œuvre de ce code. Selon ses propos, « on ne se débarrasse pas d’un régime autoritaire en un jour. La solution est donc de désobéir dès le début. »
Des universités trop orientées
Mais tous les professeurs ne verraient pas la mise en place du code d’un mauvais œil. Le lauréat du prix Nobel d’économie, le Pr Israël Aumann, constate que le monde de l’enseignement supérieur fonctionne comme un club fermé, composé principalement de gauchistes. « Il existe un problème récurrent qui frappe tout le système d’enseignement supérieur en Israël. C’est celui de son extrême orientation : il n’y en a que pour les gens de gauche. Ils se serrent les coudes et ne tolèrent que ceux qui pensent comme eux ».
Le Pr Avraham Diskin du Centre académique du droit et de la science salue lui aussi favorablement ces propositions. « Il s’agit d’instaurer des lignes directrices comportementales raisonnables et modérées, qui ne sont pas assorties de mesures punitives. Les universitaires qui se répandent volontiers en invectives contre le « régime d’apartheid » d’Israël, et qui qualifient Tsahal de « force de défense néonazie », sont aussi ceux qui soutiennent le plus souvent les boycotts contre l’Etat. Ils se prononcent farouchement contre le code, tout simplement parce qu’ils pensent que la liberté d’expression universitaire ne doit s’appliquer que si elle sert à vilipender Israël. Mais loin d’être dogmatique, le code dont il est question ne pourrait, au contraire, être plus tolérant. »
Selon l’ONG de droite Im Tirzu, le diktat du politiquement correct et de la pensée unique qui sévit dans les universités israéliennes depuis des années, fait que les étudiants ont peur d’exprimer leurs opinions. Eitan Meir, directrice des relations extérieures d’Im Tirzu, appelle depuis longtemps à l’adoption d’un code de déontologie. « Ce serait une vraie bouffée d’oxygène. Au cours des dernières années, des centaines d’étudiants se sont plaint que leurs professeurs distillaient des contenus antisionistes radicaux dans leurs cours. Résultat, ils craignent d’exprimer leurs opinions par peur d’être sanctionnés par de mauvaises notes. »
Eitan Meir critique également l’accointance des universités et des ONG de gauche qui coopèrent sur le terrain. « Les étudiants peuvent décrocher des bourses et des crédits universitaires s’ils font du bénévolat pour des organisations telles que B’Tselem et Hamoked, qui défendent les terroristes devant les tribunaux. Le département des études du Moyen-Orient à l’université Ben-Gourion a par ailleurs voté en faveur de l’attribution d’un prix de 20 000 shekels à l’ONG Chovrim Chtika, une organisation des plus controversées en Israël. C’est absurde. »
Meir n’est pas de l’avis de certains qui s’inquiètent de ce que le code de déontologie pourrait amener les élèves à espionner leurs professeurs et à les dénoncer. « Je pense simplement qu’il permettrait aux élèves d’exprimer leurs opinions en classe. Les étudiants ont le droit d’avoir des avis contradictoires, et le milieu universitaire est justement le lieu par excellence où la pluralité d’opinions doit s’exprimer. »
Autonomie menacée ?
L’Institut démocratique d’Israël soutient de son côté que le code invalide l’autonomie des institutions universitaires, ce qui constitue une violation de la loi sur l’enseignement supérieur. Selon Yohanan Plesner, président de l’IDI et ancien député Kadima, le texte élargit la définition de l’activisme politique au-delà du raisonnable. Ce qui, à l’en croire, menace de nuire à l’esprit universitaire. « Le système académique israélien est l’une des merveilles que nous a laissées le sionisme en héritage. Il est aussi l’un des atouts majeurs de notre nation. Ces propositions de mesures mettent cet acquis en danger. Ce code va à l’encontre de l’éthique de base du milieu universitaire. La question clé est de s’entendre sur une définition de l’activisme politique. Le code de déontologie le définit de manière tellement large que si l’on devait s’y conformer, on n’aurait plus qu’à supprimer l’économie et la sociologie des disciplines enseignées. »
Selon Plesner, le document n’a été élaboré que pour satisfaire à quelques voix radicales marginales. « Un code d’éthique devrait être proposé par les institutions elles-mêmes, suite à un dialogue au niveau national, et non pas être concocté par un quelconque gouvernement. Sinon, on en revient à imposer d’en haut un code qui est tout sauf éthique, dans la mesure où il distille la peur et fait régner une situation délétère, où les chargés de cours finissent par devoir constamment surveiller leurs propos et se disculper. C’est dangereux et contre-productif. »
Le Syndicat national des étudiants israéliens a menacé de faire grève si le code venait à être mis en application. Il affirme que le gouvernement se fourvoie en pensant qu’avec ces restrictions, il parviendra à canaliser la liberté d’expression dans le milieu universitaire. « Les discussions qui ont lieu aujourd’hui permettent de lancer le dialogue et il faut continuer dans cette voie. Nous voulons un code qui veille à ce que les élèves puissent débattre de ce qu’ils veulent. Pas d’un code qui leur serait imposé d’en haut et qui ne leur permettrait plus de parler politique », a déclaré Nava Edelstein, directrice des relations internationales du Syndicat national des étudiants israéliens.
Le code de déontologie est également critiqué à l’étranger. L’Association américaine des professeurs d’université et la Fédération américaine des enseignants se sont inquiétés de ces propositions qui, selon eux, représenteraient une menace non seulement pour la liberté académique en Israël, mais aussi pour Israël en tant que démocratie. « Aucun enseignant, où qu’il se trouve et quel que soit son niveau académique, ne devrait se voir formaté par des forces extérieures qui viendraient lui dicter quoi dire ou comment penser. Une telle proposition constitue l’antithèse de la pensée critique et des principes démocratiques », ont affirmé ces organisations dans une déclaration conjointe. « Nous appelons le gouvernement israélien à rejeter cette proposition du ministre de l’Education Naftali Bennett dans des termes clairs. Les universités israéliennes doivent rester des paradis pour la curiosité intellectuelle et la rigueur dans l’étude, sans ingérence de l’Etat pour surveiller ou restreindre les positions politiques des membres de la faculté et du corps enseignant. Cela infirmerait la qualité de leur enseignement dans leurs domaines d’expertise respectifs, qui doit jouir d’une totale liberté », selon le communiqué.
Opinion divisée
Le président Reouven Rivlin exprime lui aussi des réserves. « La liberté de pensée, d’opinion et de créativité est la pierre angulaire dans le domaine des arts et des sciences, ainsi que celle de la démocratie israélienne. Les arts, la culture et les sciences n’appartiennent à personne », a déclaré le chef de l’Etat. « La vitalité dans la recherche et le développement scientifique ne peut être florissante, ni les créations artistiques inspirées et inspirantes, si nous ne cultivons pas de systèmes encourageant l’existence d’idées différentes favorisant l’entrepreunariat. »
Des politiciens ont également fait entendre leurs voix pour critiquer cette initiative. Tzipi Livni, députée du Camp sioniste, a déclaré que le code était « un document non éthique et non cacher [en allusion au nom de son auteur] qui ne sied qu’à des gouvernements ignares ». Le député Erel Margalit (Camp sioniste) a décrit la proposition comme une nouvelle étape dans la compétition entre les politiciens de droite, pour savoir qui arriverait le mieux à endormir le peuple : « Bennett veut montrer à son parti [HaBayit HaYehoudi] que la [Ministre de la Culture et du Sport du Likoud] Miri Reguev n’est pas la seule à monter au créneau », a affirmé le parlementaire. « Bennett possède cette mentalité de droite qui a pour objectif de faire taire les voix dissonantes, et qui a la liberté d’expression dans le collimateur », a-t-il ajouté.
A droite, nombreux sont ceux qui se félicitent de ce nouveau code de déontologie. Telle la députée HaBayit HaYehoudi Shouli Moalem-Refaeli : « Chaque étudiant peut attester du fait que les universités israéliennes penchent à gauche et distillent des propos militants. Nous ne parlons pas seulement des universitaires qui militent contre l’Etat d’Israël. Il s’agit en tout premier lieu de lutter contre ceux qui cherchent à promouvoir leurs idées politiques. Leur propagande se manifeste dans leurs cours, leurs conférences ainsi que dans leurs recherches. Si les milieux universitaires étaient plus réservés et essayaient au moins de rester politiquement neutres, il n’y aurait pas lieu d’intervenir. » 
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