Près de ses sous et loin de ses peurs

Une fois de plus, la campagne a délaissé les thèmes sociaux. Mais un jour viendra peut-être où la cherté de la vie reprendra ses droits. Et où l’électeur aura droit à de vrais débats

Protestation contre la pénurie de logements (photo credit: REUTERS)
Protestation contre la pénurie de logements
(photo credit: REUTERS)
Malgré le coût de la vie », plaisantait un jour un humoriste, « vivre reste toujours très populaire. » Cette boutade contient un fond de sagesse politique.
Quelle que soit l’ampleur des protestations sociales, ce n’est jamais la vie chère qui domine la scène des élections israéliennes. Mais plutôt les menaces existentielles inhérentes à l’instabilité du Moyen-Orient et le désir d’élire ceux qui vont nous protéger et garder nos familles en vie et en toute sécurité.
Et les menaces existentielles ne manquent pas. Faites confiance à l’Iran, au Hamas, au Hezbollah, à la Syrie, à l’Etat islamique, à Jabhat al-Nosra, al-Qaïda, et au Fatah pour concocter une recette de leur cru durant les campagnes électorales et nous rappeler l’instabilité et l’hostilité de la région, tout comme le nombre et la violence des ennemis d’Israël.
Le slogan « C’est l’économie, imbécile ! », inventé par James Carville, le stratège de Bill Clinton en 1992, a permis à celui-ci de remporter l’élection présidentielle américaine en plein cœur d’une récession. Mais, en Israël, l’économie et le coût de la vie ne parviennent pas à occuper le devant de la scène ou à rencontrer un écho de quelque manière que ce soit. Au contraire, ils se fondent en un « vous sentiriez-vous en sécurité avec un autre chef de gouvernement qui n’a pas encore fait ses preuves ? » ou « Qui est selon vous le plus à même de diriger le pays en temps de guerre ? ».
Trop vite oublié…
Pour un temps, après la décision de Netanyahou d’organiser de nouvelles élections que peu de gens souhaitaient, il a pu sembler que la cherté de la vie serait le thème dominant de la campagne. Tout semblait pointer dans cette direction.
En 2011, on avait assisté à de féroces protestations sociales et autres manifestations de masse, en particulier sur le coût élevé du logement. La radio Kol Israël indiquait, pas plus tard qu’en janvier dernier, que 53 % des électeurs israéliens considéraient le coût de la vie comme la question cruciale de ces élections, bien avant la sécurité et la défense.
Et selon un sondage du gouvernement réalisé en juin, quatre Israéliens sur dix n’arrivent pas à joindre les deux bouts et près de la moitié sont mécontents de leur situation économique. Le département d’études de la Banque d’Israël, pour sa part, montrait que le panier alimentaire de base coûte 12 % plus cher en Israël que dans la moyenne des 34 pays de l’OCDE, alors que le salaire moyen est inférieur de 10 000 dollars.
L’indice des prix à la consommation a augmenté de 23 % au cours des 11 dernières années, tandis que les prix alimentaires seuls ont fait un bond de 39 %. « La cherté du coût de la vie sera à coup sûr le thème dominant des élections israéliennes du 17 mars. Cela pourrait bien ébranler la coalition de Netanyahou, devant la colère des électeurs qui semble se focaliser autour du prix excessif du fameux dessert au chocolat Milky », pouvait-on lire alors dans le journal Haaretz.
Merci aux Saoudiens
Cependant, les événements ont contribué à mettre la vie chère en veilleuse. La conjugaison de la chute des prix du pétrole, de la déflation, de la croissance économique et de la baisse des prix de détail ont incité les Israéliens à voter de nouveau avec leurs peurs plutôt qu’avec leur porte-monnaie.
Un mois avant l’élection, Naftali Bennett, le ministre de l’Economie et leader de HaBayit HaYehoudi, écrivait pourtant sur sa page Facebook : « Le coût de la vie est le problème le plus important auquel doit fait face le gouvernement ». Mais de même que le Likoud, Israël Beiteinou, Shas, le Judaïsme unifié de la Torah unifié ou la Liste arabe commune, le parti de Bennett s’est pas clairement positionné quant à son programme social.
Seuls quatre grands partis ont émis une sorte de programme économique : Koulanou de Moshé Kahlon, Meretz, le Camp sioniste et Yesh Atid de Yaïr Lapid.
En tant que leader de Yesh Atid et ministre des Finances pendant deux ans, Yaïr Lapid, fort de ses 19 sièges à la Knesset, a eu une occasion en or de mettre en œuvre un programme en faveur des classes moyennes. Mais au lieu de cela, il a perdu tout son crédit politique pour un malheureux plan d’exemption de TVA sur les nouveaux appartements, plan vivement critiqué par les experts de tous bords, y compris au sein de son propre ministère.
Bennett, lui, s’est attribué le mérite de la baisse des prix à la consommation. Le groupe de travail dirigé par son ministère a réduit la paperasserie et facilité l’importation de denrées alimentaires et autres biens de consommation en réduisant les coûts. D’où l’ire de Tsvi Oren, président de l’Association des producteurs. Celui-ci n’a pas manqué de critiquer l’utilisation faite par Bennett des importations pour réduire les coûts. Selon lui, « les décisions de Bennett sont populistes , font preuve d’une pensée à courte vue, et pénalisent l’industrie israélienne ».
En janvier, le Bureau central des statistiques faisait effectivement état d’une baisse des prix à la consommation de 0,9 %. Mais le ministère de Bennett n’y a pas été pour grand-chose. Deux tiers de cette baisse sont directement liés à la chute drastique du prix du pétrole, qui a réduit le coût de l’essence, des transports et de l’entretien des ménages (chauffage et électricité). Une part infime est imputable aux groupes de travail de Bennett qui ont stimulé les importations. Le consommateur israélien doit dire merci aux Saoudiens, qui refusent d’augmenter les prix du pétrole en réduisant la production.
Israël commence enfin à casser les prix
Le seul parti qui a vraiment présenté un programme à part entière sur le coût de la vie est Koulanou, le parti de Moshé Kahlon. « Soyez comme Kahlon », déclarait Netanyahou à propos de son ministre des Communications d’alors, en juin 2012, « et trouvez des moyens créatifs pour faire baisser les prix. »
Kahlon a ouvert l’industrie du téléphone mobile aux nouveaux entrants et permis une baisse spectaculaire des coûts du cellulaire. Son parti a fait campagne sur le renforcement de la concurrence pour faire baisser les prix.
Certes, le modèle Kahlon a fonctionné à merveille pour les coûts de téléphonie mobile. Mais le marché semble en avance sur lui. La tendance mondiale de longue date dans les chaînes de commerce de détail, axée sur le meilleur rapport qualité-prix, effleure enfin Israël. Il y a des décennies que les chaînes de supermarchés à prix réduits Aldi et Lidl ont été lancées en Allemagne : elles sont maintenant répandues dans le monde entier. En Amérique, Walmart martèle depuis des lustres son slogan « des prix bas tous les jours ».
En Israël, tout a commencé avec Rami Levy, qui a transformé son unique magasin ouvert en 1976 en la troisième chaîne de supermarchés à bas prix du pays, avec un milliard de shekels de revenus annuels. Est ensuite arrivé le Cofix d’Avi Katz, avec ses cafés à cinq shekels, moins de la moitié du prix des chaînes bien établies. Ces cinq shekels ont valu à Cofix une tonne de publicité gratuite.
Débarque maintenant Ehad (« Un »), une chaîne de supermarchés ouverte par l’entrepreneur Iri Shahar. Celui-ci propose une seule variété générique de chaque produit à faible coût, plutôt qu’une dizaine ou douzaine de grandes marques à prix élevé. Et Shahar rapporte qu’il parvient encore à payer de bons salaires : 25 % de plus que le salaire minimum pour les caissiers, 40 % au-dessus du salaire minimum pour les étalagistes.
Katz a réagi par l’annonce de l’ouverture de Super Cofix, une chaîne de supermarchés offrant 600 produits alimentaires et ménagers de première nécessité dans chaque magasin à cinq shekels la pièce.
2,50 shekels la canette
Selon le b.a.-ba de l’économie, lorsque la prise de conscience du coût de la vie augmente, surtout en périodes difficiles, même les personnes aisées prêtent attention aux prix et la demande des consommateurs devient plus sensible en la matière. Les magasins aux marges bénéficiaires importantes deviennent alors vulnérables.
Selon le journal d’affaires The Marker, les revenus des supermarchés et des mini-marchés étaient en baisse de 5 % en janvier par rapport à l’an dernier à la même époque.
Une partie de cette diminution reflète certainement la baisse des prix entraînée par la résistance des consommateurs et les magasins à bas prix. Conséquence directe, la deuxième chaîne de supermarchés d’Israël, Mega, avec plus de 200 succursales, a annoncé son intention de fermer cinq d’entre elles, afin de « tenter de s’adapter à la structure des coûts d’un marché de détail en évolution et au coût de la vie élevé ».
Mon exemple préféré du commerce de détail offrant le meilleur rapport qualité-prix est celui de Simon Amit, un contestataire de 32 ans, qui a ouvert une petite épicerie à Kiryat Haïm, une banlieue de Haïfa, pour familles à bas et moyens revenus. Il vend cigarettes, boissons fraîches, friandises et autres amuse-bouche à prix quasi coûtant : la canette de soda s’achète à 2,50 shekels, contre jusqu’à 10 shekels dans la plupart des endroits. « Je réalise encore un bénéfice », affirme Amit avec le sourire. Un de ses clients a déclaré au journal de la première chaîne de télévision avoir économisé 20 shekels au magasin d’Amit sur un achat relativement restreint. Pour beaucoup dans ce quartier, cela représente une économie importante.
Israël peut se targuer d’une bonne déflation
Les électeurs nagent parfois en pleine confusion quant aux avantages et inconvénients de la baisse des prix.
En Europe les prix sont en baisse, mais personne ne s’en réjouit. Au contraire, on se plaint et on redoute la déflation. La Banque centrale européenne promet maintenant de lutter contre cette tendance grâce à un soi-disant « assouplissement quantitatif » : l’expansion de la masse monétaire par des achats massifs d’obligations. Le but : mettre fin à la déflation et restaurer l’inflation.
Israël, aussi, connaît une baisse des prix. Devrions-nous être inquiets ? La réponse est « non ». La déflation, c’est comme le cholestérol : il en existe une bonne et une mauvaise. Israël peut se targuer d’une bonne déflation. Elle est causée par la baisse des coûts, en l’occurrence celui de l’énergie, et conduit généralement à une plus forte demande (car les consommateurs disposent de moyens supplémentaires qui leur permettent d’acheter plus), à la progression de l’emploi et du PIB.
La mauvaise déflation est causée par la faiblesse et la baisse de la demande, provoquée à son tour par le chômage, les coupes budgétaires et les programmes d’austérité. C’est celle qui frappe l’Europe. L’Allemagne en tête, les Européens ont appauvri les Grecs en leur imposant un programme d’austérité désastreux, qui a entraîné la chute du PIB grec à 25 % dans une sévère déflation. Ce qui met en péril tout le système de l’euro.
En Israël, on peut faire confiance aux consommateurs et au budget de la défense pour garder la demande forte et déjouer la mauvaise déflation.
L’année dernière, l’opération Bordure protectrice a duré 50 jours, à partir du 7 juillet, et bloqué toute croissance économique au troisième trimestre. Mais l’économie a rebondi étonnamment au quatrième trimestre : le produit intérieur brut (PIB) a augmenté d’un solide 7,8 %, un taux de croissance encore plus élevé que celui de la Chine.
Le PIB du secteur des entreprises a augmenté encore plus rapidement, de 8,8 %. La croissance est stimulée par une forte augmentation des dépenses publiques, principalement du budget de la défense, par la formation de capital fixe plus élevé et par la hausse des dépenses de consommation. Ce mini-boom a également permis d’atténuer la sensation que peuvent avoir les Israéliens d’avoir du mal à gagner leur vie. Cela prouve la résilience de l’économie israélienne.
Beaucoup de bruit pour rien
La dernière campagne s’est révélée superficielle, souvent ennuyeuse et agaçante. Dans un petit pays qui compte pourtant de nombreux défis sociaux, économiques, politiques et militaires, à la fois internes et externes. Elle a surtout été pour le moins négative, basée sur le principe que si l’on jette assez de boue sur ses ennemis, il en restera toujours quelque chose.
Et le pire, c’est que tout ce remue-ménage n’aura peut-être servi à rien. Interrogé par Alouf Benn, rédacteur en chef de Haaretz, lors de la Conférence israélienne sur la démocratie, le président Reouven Rivlin a déclaré, avec une franchise désarmante, qu’Israël pourrait bien être en proie à de nouvelles élections d’ici 18 mois. Il faisait probablement référence au coude-à-coude dans les sondages durant toute la campagne entre le Camp sioniste et le Likoud et à l’incapacité, alors, de véritablement définir un vainqueur.
Un jour, peut-être, aurons-nous une véritable campagne électorale avec de vrais débats sérieux entre tous les partis sur la façon de réduire le coût de la vie et celui du logement. Nous, les électeurs, aurons le choix entre l’économie de marché prônée par la droite et l’ingérence gouvernementale préconisée par la gauche. Nous assisterons à de houleux face-à-face entre dirigeants politiques sur les marchés, la politique et les lois, plutôt qu’à une pluie de calomnies sur les dépenses de la résidence du Premier ministre en crèmes glacées.
Nous, les électeurs, affirmerons alors à nos dirigeants politiques que oui, en effet, c’est l’économie et que non, nous ne sommes pas idiots. Et, oui, nous voulons connaître votre programme économique bien à l’avance. Et, oui, nous comprenons que nos porte-monnaie et nos angoisses sont étroitement mêlés, parce que si nous dépensons trop en matière de défense en raison de nos craintes, nos poches seront bientôt vides et adieu la prospérité. Mais si nous dépensons trop sur le reste et négligeons la défense, adieu la vie.
Et, oui, un jour nous voterons avec nos poches, et pas seulement nos craintes.
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