Etat des lieux à Gaza

Avi Dichter, à cœur ouvert. L’ancien directeur du Shin Bet expose sa vision pour faire obstacle au Hamas à Gaza et déraciner la terreur. Entretien.

maison à Gaza (photo credit: REUTERS)
maison à Gaza
(photo credit: REUTERS)
Quelques jours avant que le gouvernement n’autorise l’opération « Bordure Protectrice », Avi Dichter, ancien ministre de la Sécurité et directeur du Shin Bet (Sécurité Intérieure), s’est rendu à Sdérot.
« J’habite à Ashkelon. Je suis allé rendre visite à des amis à Sdérot. J’étais là-bas quand la sirène de l’“alerte rouge” a retenti. J’ai vu les habitants, j’ai vu une ville fantôme… c’est ce que cela signifie quand plus d’un demi-million d’Israéliens subissent une guerre d’usure… Le gouvernement doit prendre sa responsabilité. »
Dichter, fils de rescapés de la Shoah, est né à Ashkelon. Il vit encore dans sa ville natale, qui continue de recevoir des roquettes en provenance de Gaza. Cet homme énergique au doux sourire était membre de l’unité d’élite de reconnaissance sous les ordres d’Ehoud Barak dans les années soixante-dix. Il a approfondi ses connaissances en sécurité au Shin Bet dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, en passant le plus clair de son temps à étudier Gaza et le sud. Il devient alors très familier de la culture arabe et apprend à en parler la langue.
Entre 2000 et 2005, il dirige l’Agence de sécurité intérieure, le Shin Bet, puis devient ministre de la Sécurité Intérieure entre 2006 et 2009, sous les couleurs du parti Kadima. Aux primaires du Likoud de novembre 2012, il n’a pas été choisi parmi les 20 premières places et s’est retrouvé no 59 sur les listes électorales du parti. Depuis lors, il consacre son énergie à son rôle de directeur de la Fondation pour les victimes de la shoah en Israël, une cause qui le passionne au vu de son contexte familial. Il souhaite se représenter aux prochaines primaires du Likoud, et retourner à la politique.
Assis pour parler du Hamas au milieu d’une crise de coalition qui a provoqué la scission entre le parti d’Avigdor Liberman Israël Beiteinou et le Likoud il affirme : « Ils doivent comprendre, ceux qui cherchent le moyen radical de faire cesser la terreur, qu’il n’y a pas qu’un seul moyen pour l’arrêter ; ce n’est pas comme allumer et éteindre la lumière ; on doit travailler en même temps sur tous les interrupteurs, en Judée-Samarie et à Gaza. »
Commençons par la Judée-Samarie : où en sont les infrastructures terroristes là-bas, compte tenu du meurtre des trois jeunes israéliens ?
Elles existent. Elles ont été affaiblies quand des milliers de Palestiniens ont été emprisonnés durant l’opération Bouclier de défense en 2002, certains pour la vie, mais ils n’ont pas disparu. La réconciliation (entre l’Autorité palestinienne et le Hamas) survenue récemment sert de levier au Hamas pour se renforcer en Judée-Samarie. Les discussions ont duré quelques mois avant l’accord de réconciliation en avril. Pendant tout ce temps, le Hamas poursuivait un seul et unique but : se renforcer en Judée-Samarie.
 Ils ont utilisé leurs discussions avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas comme couverture ?
Du moment où ils ont commencé à discuter, ils ont démonté le pouvoir et la volonté de l’AP de les bloquer et de leur opposer des obstacles. Ceci a délégué le problème aux agences de sécurité israéliennes, lesquelles, par définition, sont limitées dès qu’il s’agit de se confronter avec le Hamas dans les territoires de l’AP en Judée-Samarie, dans les zones A et B. Le Hamas a saisi cette opportunité pour se renforcer.
Quand le régime égyptien, dans son propre intérêt, a commencé à bloquer les tunnels de Gaza, cela a plongé le Hamas de Gaza dans l’embarras, surtout financier. Ces tunnels permettaient d’acheminer n’importe quel matériel, armes, liquidités, nourriture. Le Mouvement islamique s’est retrouvé dans l’incapacité de payer les salaires.
Puis le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a lancé son coup militaire, détruit l’organisation des Frères musulmans, jeté en prison des milliers de ses adhérents et l’a définie comme une organisation terroriste. Le Hamas a alors compris que le problème vient du fait qu’il s’est défini comme la branche des Frères musulmans en Palestine.
Tenir l’AP pour responsable
Comment comprendre la logique du Hamas ?
Je ne crois pas que nous devons la comprendre. Depuis la semaine dernière, nous avons reçu des centaines de roquettes, c’est quelque chose d’invraisemblable et d’inacceptable. On ne va pas en plus se demander pourquoi ils n’utilisent pas toutes leurs batteries. Ils savent qu’Israël ne réagit pas à Gaza avec toute sa capacité.
Israël doit-il intensifier sa réaction ?
Israël doit avoir un plan complet et cohérent pour détruire les infrastructures dans la bande de Gaza. Préparer l’armée, les réservistes (peu après l’interview, le 7 juillet, Israël débutait l’opération Bordure protectrice), le Dôme de fer, les aspects politiques et économiques, et décider du bon moment pour se lancer dans cette grande opération de détruire les infrastructures militaires des terroristes. Il ne s’agit pas d’une semaine comme pour l’opération Pilier de défense (du 14 au 21 novembre 2012), ou de quelques semaines, comme pour l’opération Plomb durci (du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009). Cette opération requerra un effort de plus d’un an, et devra être extrêmement déterminée. Nous ne pouvons accepter pendant 13 ans qu’une entité terroriste décide quand elle va lancer un nouveau cycle d’attaques contre les civils sur le sol israélien.
Parlons-nous de ce qu’Ariel Sharon a fait en 1971, en lançant une vaste opération pour extirper la terreur de Gaza ?
A cette époque, nous étions aux commandes. Depuis 1994, c’est l’AP qui est totalement responsable de la bande de Gaza, et depuis 2005 ils ont la responsabilité de tout ce qui se passe dans et depuis la bande. Donc il ne s’agit pas de reconquérir la bande de Gaza, mais de détruire les infrastructures terroristes. Par rapport à 1971, c’est énorme.
Devrions-nous tendre à renforcer l’AP ou le Fatah ?
Pour autant que je comprenne, cette offensive n’est pas en coordination avec l’AP. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’AP perd sa responsabilité officielle. J’espère qu’elle sera à même d’exercer sa responsabilité pratique mieux qu’elle ne le fait, ou qu’elle ne l’a fait ces 7 dernières années depuis le coup du Hamas (qui a expulsé le Fatah et l’AP de la bande de Gaza).
Rien d’étonnant
Passons aux émeutes à l’est de Jérusalem et à la communauté des Arabes israéliens, qui ont embrasé Israël le 2 juillet.
On doit faire la distinction entre les Palestiniens des environs de Jérusalem et les émeutes et les agressions de Juifs perpétrées par les Arabes israéliens. Bien que le résultat soit quasiment le même…
Ce qui se passe avec les Arabes israéliens ne m’étonne pas. Beaucoup de responsables municipaux, employés et autres, ont compris qu’ils ne devaient pas répéter leur erreur d’octobre 2000 (quand 13 manifestants Arabes israéliens ont trouvé la mort pendant les grandes émeutes des débuts de la seconde intifada). Le dommage causé à leurs communautés il y a 13 ans a été désastreux. Ils ont compris que si pareille chose se reproduisait aujourd’hui, cela leur prendrait des années pour retourner en arrière.
Sauf dans les villes comme Kalansuwa, Wadi Ara ou Oum al-Fahm, où la police et la police des frontières, avec l’aide des leaders locaux, ont réussi à les contenir, à Jérusalem-est, surtout à Shouafat, ils ont détruit tout ce qui pouvait porter un signe juif. Même ce qui servait à la communauté palestinienne de Jérusalem, comme les stations du tramway. La municipalité et le ministère du Transport se demandent si cela vaudra la peine de consacrer à nouveau un budget de dizaines de millions de shekels pour restaurer ce qui a été détruit.
Comment Abbas a-t-il géré la situation ? Est-il bon pour Israël ?
Il a agi selon les intérêts de l’AP… C’est pour cela qu’il se permet d’avoir deux visages. Par exemple, il n’a rien fait pour dissoudre sa coalition avec le Hamas pendant l’enlèvement des trois jeunes, ni quand on a retrouvé les corps. Par contre, il appelle à un comité d’enquête international pour l’assassinat du jeune Muhammed Abu Khdeir. C’est hypocrite.
Je pensais qu’il se passerait quelque chose après l’enlèvement des trois jeunes. La condamnation du kidnapping par Abbas est une bonne chose, mais on attend plus de sa part. Il n’est pas le secrétaire général des Nations unies, mais il a la responsabilité de cette action terroriste.
De façon professionnelle
Ignorait-il tout ou a-t-il commandité le kidnapping et le meurtre ?
Je pense qu’il est directement responsable de l’activité terroriste du Hamas. Quand il les a fait entrer dans son gouvernement sans s’assurer qu’ils cesseraient leurs activités terroristes et leur incitation à de telles activités, il savait parfaitement que cela pouvait arriver.
Comment le savait-il ? Retournons en arrière. Il y a huit ans, à la même position, Mahmoud Abbas avait formé un gouvernement d’union nationale avec le Hamas, avec Ismail Haniyeh, le leader du Mouvement dans la bande de Gaza, comme Premier ministre. Le Quartet avait posé des conditions. Le Hamas avait catégoriquement refusé de cesser la terreur. En juin 2006, le Hamas tentait de kidnapper trois soldats du côté israélien de la bande de Gaza : ils en ont tué deux et ont kidnappé Guilad Schalit.
Et là, est-ce la même chose ?
En juin 2014, exactement le même événement. Cette fois-ci, ils n’ont pas attendu deux mois après la formation de la coalition, juste deux semaines. On doit arracher le masque d’Abbas. Il est notre partenaire, mais il doit prendre conscience qu’il ne peut pas porter un masque devant nous.
Prévoyons-nous l’après Abbas ?
Nous ne planifions pas l’avenir palestinien. La dernière fois que nous avons essayé de nous mêler de l’avenir d’un autre pays, c’était le Liban et nous avons échoué en 1982.
Les Palestiniens doivent choisir leur leadership. Et nous devons décider si nous négocions ou non. Je rejette totalement l’affirmation que « Abbasele » (surnom affectueux en yiddish, impliquant une relation amicale avec Abbas) est le dernier qui sera prêt à parler avec Israël… Nous devons servir notre intérêt de deux Etats, pas à pas, en paix. Ce qui se passe en ce moment n’est pas la paix.
 Comment selon vous les services de sécurité ont-ils géré les événements récents ?
Je pense que le Shin Bet, l’armée et la police, ont agi de façon très professionnelle pour retrouver les trois jeunes, vivants, malheureusement ils les ont trouvés morts. J’ai été étonné que cela se termine en moins de trois semaines. D’après mon expérience, dans certains cas, cela nous a pris des mois, voire des années, pour retrouver les corps de soldats enlevés : Avi Sasportas, kidnappé et assassiné en février 1989, dont le corps a été retrouvé en mai, et Ilan Saadon, kidnappé et assassiné en mai 1989, dont le corps a été retrouvé en août 1996.
 Et les six Juifs accusés du meurtre à Shouafat ?
Ce n’est rien d’autre qu’une activité terroriste. De même que le meurtrier de Shelly Dadon, à Afoula en mai. Lorsqu’un crime est perpétré au nom d’une idéologie nationaliste, on le définit comme une activité terroriste. Dieu merci, les meurtriers ont été attrapés.
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