Un vent de changement

Jérusalem n’aurait plus rien à offrir aux jeunes entrepreneurs ? « Faux », répondent les créateurs de PICO, un open space qui abrite une dizaine de start-up.

JFR P18 370 (photo credit: Brian Blum)
JFR P18 370
(photo credit: Brian Blum)
Inverser latendance. Le nouvel espace de travail PICO cherche à retenir les entrepreneursà Jérusalem. Et redonner à la capitale israélienne sa place dans le monde del’innovation. Galya Harish aurait pu installer sa nouvelle société partoutailleurs. La jeune femme a un CV impressionnant : master de droit, examen dubarreau en Israël comme aux Etats-Unis, ancienne vice-présidente del’incubateur high-tech JVP Studios et ancienne directrice de marque pourplusieurs sociétés, en Israël comme en Grande- Bretagne. Alors, quand elle est,elle aussi, atteinte par la fièvre entrepreneuriale, cette quadragénaire auraitdû, très logiquement, ouvrir sa boîte à Tel-Aviv, ou encore à Herzliya, deuxfiefs privilégiés pour les jeunes chefs d’entreprise.
Mais, née à Jérusalem, elle a choisi, au contraire, d’inverser la tendance deces 15 dernières années, qui ont vu nombre de start-up fuir la capitale pourémigrer vers le centre du pays, et décidé de se lancer dans le quartierhiérosolymitain de Talpiot.
PICO, ce sont les initiales de « People, ideas, community and opportunities »(des gens, des idées, une communauté et des opportunités). Un concept à lapointe d’un mouvement global d’entrepreneurs qui entament leurs parcoursprofessionnels dans un même espace de travail, partageant ainsi le coût deséquipements, des bureaux, des lignes téléphoniques et autres frais Internetdans un même open space. Les prix sont très attractifs : 800 shekels par mois,par entreprise. Pour un jour ou deux par semaine, le loyer descend à 300shekels par mois.
Si les espaces de travail communs existent déjà dans la région de Tel-Aviv,PICO fait office de pionnier à Jérusalem.
Son fondateur, Eli Wurtman, espère qu’il ne restera pas le seul. Pour lui, PICOest bien plus qu’un lieu agréable qui permet aux entrepreneurs de brancherleurs ordinateurs et téléphones. Il veut croire qu’en créant d’autres espaces dece type pour les étudiants et les fondateurs de startup, Jérusalem pourrait ànouveau prétendre à son titre de capitale de l’innovation du pays.
Comme à SoHo 
Wurtman sait de quoi il parle. En 1996, il cofonde DeltaThree, unedes premières sociétés à fournir des services de téléphonie Internet, à partird’un téléphone fixe. Avec ses 300 employés, la boîte devient le symbole desstart-up de Jérusalem. A l’époque, la capitale abrite des centaines de petiteset moyennes entreprises de haute technologie. Mais surgissent alors la secondeIntifada et la révolution Internet des années 2000. « L’industrie a explosépresque du jour au lendemain », se rappelle Wurtman. « Et malheureusement, laplupart de ceux qui travaillaient ici ont quitté la capitale ».
Lui aussi s’en ira à Herzliya devenant associé chez Benchmark Capital, un fondsd’investissement de premier plan. Sa carrière décolle. « Mais je savais que jevoulais revenir à Jérusalem ».
Ces dernières années, les espaces de travail ont éclos un peu partout dans lemonde. Wurtman fait alors équipe avec un autre investisseur, Isaac Hassan, etimagine « un loft au style de SoHo comme à New York » en plein Jérusalem.
En pénétrant dans PICO, une fois franchie la porte d’un immeuble industriel àl’aspect peu avenant, on s’aperçoit immédiatement que chaque détail a été penséavec soin.
« On ne voulait pas que cela ressemble à Har Hotzvim ou Malha », expliqueHassan, faisant référence aux deux grands quartiers high-tech de Jérusalem. «Il fallait que cela soit fonctionnel, en accord avec le quartier ».
Résultat : un aspect simple et modeste. Des murs en béton, du parquet en boisnaturel, beaucoup de métal et de verre, et même un large tube, au milieu de lapièce pour « laisser entrer l’air frais de Jérusalem », note Hassan. Il y aaussi, bien évidemment, l’air conditionné, les étés de Jérusalem peuvent êtretout aussi chauds qu’à Tel-Aviv. Et des fenêtres des deux côtés laissent passerun flot de lumière.
Talpiot, nouvelle zone high-tech ? 
Pour Wurtman, Talpiot considéré jusqu’àprésent encore comme « le quartier des garages », représente désormais lerenouveau du Jérusalem des start-up. « Beaucoup de salariés du high-tech, quivont souvent jusqu’à Tel-Aviv pour travailler, habitent près de Talpiot. S’ilsdécident d’installer leur structure à PICO, ils pourront se rendre au travail àpied.
Et le lieu se situe sur le tracé de la nouvelle piste cyclable qui part del’ancienne gare et continue jusqu’à la Moshava Guermanit », renchérit-il.
Hassan ajoute : « Il faut un bon café à proximité, et nous avons la fameuseboulangerie Lehem Shel Tomer juste en bas. L’odeur de pain frais arrive jusqu’àmon bureau ». Egalement à proximité : l’école de design de Bezalel, dirigée parHaïm Parnas. Les étudiants ajoutent une touche d’artistique tout à faitbienvenue dans le quartier.
18 entrepreneurs peuvent se partager l’espace commun de PICO. Une grande sallede réunion est également incluse dans le loyer, avec de grands fauteuils pourdes conversations plus informelles. Depuis son lancement, PICO affiche un tauxd’occupation qui oscille entre 40 et 60 %. Les investissements sont d’ores etdéjà amortis, se félicite Wurtman.
Il existe également 6 bureaux individuels, où sont installés Wurtman et Hassan,entre autres.
Un dispositif qui fait partie du concept : les jeunes entrepreneurs peuventainsi partager leurs dilemmes avec des professionnels expérimentés, et cesderniers peuvent également flairer des opportunités d’investissements.
Pour Galya Harish, le brainstorming avec les autres entrepreneurs et fondateursde PICO est l’atout principal des lieux. Son entreprise, « Wear My Prayer »,(Je porte ma prière) crée des bijoux sur mesure, qui comportent des prièresécrites à l’intérieur.
« Les gens tripotent inconsciemment leurs colliers toute la journée »,explique-t-elle. « Alors à chaque fois qu’ils le font avec mes bijoux, celaprend un sens tout particulier. Ils peuvent penser à ce qui est inscrit, aumessage ».
Une grande famille 
Harish a eu quelques soucis avec son site Internet. « Nousavions un taux de rebond assez élevé », se souvient-elle, en faisant référenceaux internautes qui quittent le site dès la page d’accueil, sans avoir rienacheté, « alors nous avons improvisé une réunion. Chacun est venu voir le siteet a suggéré des solutions ».
Elle admet qu’il n’est pas simple de fonder une entreprise à Jérusalem, loindes autres start-up. « Mais l’existence de PICO change la donne. En arrivant,les gens sont surpris. Ils disent tous qu’un lieu comme celui-là est imaginableà Tel- Aviv ou à New York, mais pas à Jérusalem ».
Aujourd’hui Harish emploie plusieurs personnes à temps partiel. Mais mêmelorsque sa société aura grandi et devra quitter PICO, dit-elle, elle voudratrouver des bureaux à proximité pour rendre visite à ses anciens collaborateursau moins une fois par semaine.
Sean Lewin fait également partie de la communauté PICO. Récemment diplômé del’Académie de technologie de Jérusalem, ce jeune homme de 23 ans a réussi àlever 30 000 dollars sur le site de financement participatif Kickstarter afinde créer une lampe LED pour Iphone, indiquant l’arrivée d’un message ou d’unemail. Le voyant lumineux peut s’installer sur la prise des écouteurs et changede couleur, et de fréquence, en fonction du type de message. Une fonctioncourante sur les derniers téléphones An droid qu’Apple n’a pour tant jamaisinstallé sur Iphone. Les partenaires de Lewin résident en Italie, enGrande-Bretagne et aux Etats-Unis. Le jeune homme a commencé par travailler dechez lui, mais ne se trouvait pas assez efficace.
« Je suis plus concentré ici », explique-t-il, et ce, malgré les bruitsinhérents à l’open space. « Et quand je me pose une question, je peux lapartager avec mes colocataires.
Je n’avais pas tout cela quand je travaillais chez moi. Il y a une bonneambiance ici ». Le jeune homme apprécie aussi la bière fraîche et gratuite. «Je reste souvent jusqu’à 7 ou 8 heures du soir », sourit-il.
Un nouveau souffle pour la ville 
La bière est rangée dans la partie la plusdéco de PICO : une cuisine éclairée au néon bleu, débordante de boissons. Unlieu clef dans les relations entre les jeunes entrepreneurs.
D’ailleurs, l’endroit est aussi actif de nuit que de jour. Plusieursconférences ont eu lieu en soirée : les fondateurs des célèbres Waze et Fiverront ainsi répondu à l’invitation, tout comme les managers de Bira Shapira, unepetite brasserie locale, ou encore Rachel Azaria, conseillère municipale à latête du parti Yeroushalmim qui a amené toute son équipe pour l’une de sesréunions hebdomadaires.
Hassan travaille dur pour activer le réseau. L’un de ses partenariats notoiress’est conclu avec Siftech, une initiative lancée par le syndicat étudiant del’université Hébraïque afin d’encourager les étudiants à rester à Jérusalem,diplômes en poche. Dix start-up estudiantines ont, par exemple, participé à laformation à l’entrepreneuriat technologique que proposait Siftech sur quatremois.
De son côté, PICO a offert deux mois de loyers gratuits aux deux vainqueurs dudernier concours lancé par la structure. Des liens ont également été créés avecRouah Hadasha (nouvel état d’esprit), autre association étudiante qui cherche àpromouvoir la capitale. Bien entendu, un lieu comme PICO ne va pas résoudretous les problèmes rencontrés par Jérusalem pour retenir les dizaines demilliers d’étudiants qui fréquentent l’université chaque année (dont plus de lamoitié des étudiants en arts d’Israël). Le marché de l’emploi et un logementabordable restent avant tout les préoccupations des diplômés.
Mais, insiste Wurtman, « nous avons la possibilité de créer un changement. Ilfaut changer d’énergie pour modifier le visage de l’emploi dans cette ville, ilfaut lui rendre son caractère ambitieux. S’il y avait dix lieux comme PICO àJérusalem, les entrepreneurs s’installeraient de nouveau. Et Hassan de conclure: « Les entrepreneurs sont des personnes particulières. Ils peuventrévolutionner les choses. Nous ne voulons pas juste promouvoir PICO, nousvoulons changer la ville ».