Le prochain miracle israélien

Si l’Etat opte pour le compromis plutôt que la coercition, la communauté ultraorthodoxe pourrait s’avérer être le prochain moteur de croissance du pays

Famille haredite au parc (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Famille haredite au parc
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Redéfinir la relation de l’Etat à la communauté ultraorthodoxe a été l’une des priorités du dernier gouvernement. Adoption de la loi de conscription obligatoire pour les harédim et réduction de moitié du budget des bourses allouées aux étudiants de yeshiva ; tels ont été les principaux acquis de Yesh Atid. Mais lors du dernier scrutin, les électeurs ont tranché : Yaïr Lapid n’est aujourd’hui plus en position de mener à bien les réformes entreprises durant son mandat. De leur côté, les partis orthodoxes du Judaïsme unifié de la Torah et de Shas ont conditionné leur retour au gouvernement à l’annulation de certaines de ces mesures : la loi sur la conscription ultraorthodoxe sera mise au rebut et le budget des yeshivot revu à la hausse.
Pour le professeur Yédidia Stern, chef du projet La Religion et l’Etat de l’Institut de la démocratie israélienne et professeur à la faculté de droit de l’université Bar-Ilan, une refonte des relations entre l’Etat et la communauté ultraorthodoxe s’impose. Pour lui, le prochain gouvernement va devoir réviser sa copie et changer de perspective. Il est temps d’envisager une vision à long terme, en marge des expédients politiques aptes à favoriser les accords de coalition.
Le prochain miracle économique
« Tant que les ultraorthodoxes possèdent leurs propres formations politiques, ils font partie du processus de prise de décision en Israël, pour le meilleur ou pour le pire. A nous de décider quels seront les paramètres du contrat social qui nous lie, en tant qu’Etat, avec cette importante communauté », déclare Stern.
Stern accuse Yesh Atid d’avoir engendré une forte radicalisation avec ce qu’il appelle la loi « insensible » de la conscription, ressentie par la communauté ultraorthodoxe comme une criminalisation de l’étude de la Torah. « Les harédim représentent un potentiel moteur de croissance majeur pour l’Etat d’Israël, si nous parvenons à éviter un conflit culturel. Mais Yesh Atid a empêché toute émergence de changement. Le fait que le gouvernement se soit montré si hostile à la communauté ultraorthodoxe a constitué un grave préjudice. Aucun expert sérieux de cette communauté n’a vu en cette loi une solution efficace. » Au contraire, elle a conduit à la radicalisation d’une partie importante de la communauté. Près de 15 % des Ashkénazes non hassidiques se sont ralliés au chef de file de la ligne dure, le Rav Shmouel Auerbach, qui a appelé à une insurrection civile contre la conscription.
« Nous ne pouvons pas vaincre les harédim et vice-versa. Nous avons besoin d’eux comme eux ont besoin de nous. Il nous faut donc parvenir à une forme d’accord équilibré à longue échéance, rédigé en termes acceptables pour chacune des parties. »
Sanctions et quotas
« La prise en charge par l’Etat de la sécurité financière et de la viabilité de la communauté ultraorthodoxe était possible lorsque celle-ci comptait entre 200 000 et 300 000 personnes », souligne le professeur. « Mais il est tout simplement inenvisageable de supporter le fardeau des 700 000 ou 800 000 âmes qu’elle représente à l’heure actuelle. Et a fortiori du million qu’elle atteindra dans les années à venir. »
Yédidia Stern propose la formation d’une commission professionnelle, composée de leaders harédim, politiciens, dirigeants des autorités municipales, rabbins, chefs d’entreprise, ainsi que d’experts de la société ultraorthodoxe. Objectif : élaborer un plan directeur pour faciliter les relations entre l’Etat et cette communauté, autour des trois points centraux : conscription, éducation et emploi.
En ce qui concerne la conscription, il suggère, comme il l’avait fait lors du débat sur la proposition de loi de Yesh Atid, des sanctions économiques positives, dont le but serait de susciter une vague plus importante d’enrôlement des hommes en noir dans l’armée. Des objectifs seraient alors fixés annuellement pour la conscription des étudiants des yeshivot. Les établissements recevraient des fonds supplémentaires pour chaque élève enrôlé, mais l’ensemble du budget national pour les bourses d’étude serait considérablement réduit si la communauté tout entière ne remplissait pas les quotas. Cela pourrait encourager les responsables de yeshiva à envoyer les étudiants les moins assidus ou ceux incapables d’étudier à plein-temps, dans les rangs de Tsahal.
Médecins et ingénieurs en noir
L’éducation est le second défi à relever. L’objectif est d’attirer les jeunes harédim, hommes et femmes, dans certains des principaux établissements d’enseignement supérieur, afin de former des médecins et des ingénieurs ultraorthodoxes qui inspireront le reste de la communauté. « Actuellement, la plupart occupent des emplois à faibles ou moyens revenus, qui ne font pas appel à tous leurs talents et compétences et ne leur permettent pas de réaliser tout leur potentiel », explique Yédidia Stern.
Pour augmenter la productivité économique ultraorthodoxe, il faudra certes introduire quelques-uns des sujets du programme de base, comme les mathématiques et l’anglais, dans le programme des écoles primaires et secondaires de ce secteur. Mais il faudra surtout que l’enseignement supérieur soit dispensé aux harédim « selon leurs propres termes ». C’est-à-dire dans des cours non mixtes, si telles sont leurs exigences. « S’opposer à la séparation des sexes pour les harédim découle, à mon sens, d’un malentendu sur le rôle de l’enseignement supérieur », souligne-t-il. « Au nom de sacro-saints principes d’égalité, très abstraits, on refuse à près de 11 % de la population la possibilité d’obtenir la meilleure éducation qu’Israël peut leur offrir ».
Stern espère voir des institutions comme l’Université hébraïque de Jérusalem et le Technion de Haïfa ouvrir leurs portes aux étudiants ultraorthodoxes. « L’économie israélienne perd actuellement 8 milliards de shekels par an parce que les hommes harédim ne travaillent pas en nombre suffisant. Les ultraorthodoxes sont le prochain miracle économique qui pourrait se produire en Israël. Nous n’avons besoin ni de nouveaux immigrants, ni de nouvelles start-up. Toutes les ressources humaines qu’il nous faut sont déjà là. Il suffit simplement de les laisser s’épanouir. »
Malheureusement, l’approche du nouveau gouvernement vis-à-vis de toutes ces questions sera sans doute, une fois de plus, basée sur des considérations politiques opportunistes à court terme. Mais il serait certainement utile de s’appesantir plus avant sur l’avenir de la relation entre l’Etat et le secteur ultraorthodoxe pour le bénéfice de l’ensemble du pays.
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