L'école à l'heure du numérique

Le nouveau centre Gogya d’AMIT forme les enseignants pour répondre aux besoins des élèves d’aujourd’hui

Le Centre Gogya (photo credit: DR)
Le Centre Gogya
(photo credit: DR)
La définition du mot « enseignant » dans le dictionnaire n’a pas changé depuis des lustres : elle recouvre l’idée que l’on s’est toujours faite d’un éducateur. Mais pour le Dr Amnon Eldar, directeur général du réseau des écoles AMIT en Israël, le concept traditionnel de l’enseignant est en train de subir une révolution drastique, compte tenu de l’environnement numérique et technologique dans lequel évoluent les élèves d’aujourd’hui.
« Les étudiants se tournent désormais vers Google pour trouver des réponses », constate Eldar. « Ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent être présents physiquement dans une salle de classe, et rester assis à écouter le discours d’un professeur, alors que dans notre monde contemporain, il leur suffit de chercher le matériel en ligne. Aussi, le souci principal aujourd’hui est d’améliorer les compétences de l’enseignant, afin de renouveler l’intérêt des étudiants », explique-t-il.
Eilat Deutsch, directrice adjointe du département Recherche et Développement au sein d’AMIT, abonde dans son sens. « Les enfants d’aujourd’hui n’apprennent pas de la même façon que ceux du XXe siècle », commente-t-elle. « Personne ne va plus consulter une encyclopédie ou interroger un professeur pour trouver des informations sur la Révolution française. Ils n’ont qu’à sortir leur iPhone pour accéder à d’innombrables sources d’information à portée de main. »
Pour elle, dans l’environnement actuel, les élèves doivent d’abord apprendre à réfléchir de manière critique, à passer l’information au crible, et il faut sans arrêt les remettre en question. « Le rôle de l’enseignant et de la classe est très important à cet égard. Apprendre à travers des projets, des activités de groupe, en faisant appel à d’autres sens, contribue à améliorer l’assimilation de l’information et à optimiser le processus d’apprentissage. L’écoute n’est pas la seule façon d’apprendre. »
Pour Eilat Deutsch et Amnon Eldar, il est clair qu’une approche différente, de l’enseignement comme de l’apprentissage, doit être mise en œuvre au sein du réseau AMIT en faveur de ses quelque 30 000 étudiants. « Nous voulons des élèves curieux, et non pas des auditeurs passifs », souligne Deutsch. Dans ce contexte, ils estiment tous deux qu’il faut revoir le rôle de l’enseignant : au lieu de fournir des connaissances, celui-ci doit pouvoir en faciliter l’accès.
Le prof de demain
Le Dr Eldar, qui travaille dans l’éducation depuis 30 ans, a demandé l’avis et les conseils de pédagogues et d’experts en éducation internationaux, afin de mettre en place les changements nécessaires selon une approche holistique. Avec son équipe, ils ont introduit des méthodes novatrices d’enseignement dans le réseau d’établissements AMIT, adaptées aux besoins particuliers des différentes populations étudiantes.
Avec Eilat Deutsch, il a commencé par chercher sur le Net les experts pédagogiques qui proposaient des méthodes d’apprentissages innovantes, ouvrant la voie aux classes du XXIe siècle. Il est tombé sur les articles de deux éducateurs de renom international dans le monde de l’enseignement : le Dr Richard Elmore, professeur de leadership en éducation à l’université de Harvard, et Prakash Nair, président et fondateur d’une entreprise américaine de planification et de design scolaire, Fielding Nair International, lauréat de nombreux prix.
Richard Elmore, chercheur et professeur à Harvard depuis 25 ans, est un réformateur pédagogique de premier plan, auteur de nombreux ouvrages. Prakash Nair et son équipe ont implanté des écoles dans 42 pays à travers le monde (entre autres, Inde, Belgique, Dubaï, Oman, Venezuela, Espagne, Tanzanie, Canada, Etats-Unis). Tous deux ont participé à la conférence pédagogique d’AMIT, en août dernier, au centre Gogya.
Les deux hommes ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de ce dernier, au campus de Kfar Batya à Raanana, centre d’excellence en formation des enseignants, construit pour représenter l’école AMIT du futur, le premier de ce type en Israël.
Architecture scolaire futuriste, mobilier mobile avec chaises roulantes et tables modulaires, salles de classe aux parois en verre et écrans multimédias : pour lui, l’école de l’avenir ne doit ressembler en rien à celle du passé.
Chaque mois, des équipes d’enseignants des écoles AMIT s’y rencontrent afin de se familiariser avec les nouvelles techniques d’apprentissage transmises par des spécialistes de l’éducation, et bénéficier de l’expérience des uns et des autres au sein même des classes. Ces équipes, généralement constituées de sept personnes, vont ensuite partager ces connaissances avec leurs collègues dans la salle des professeurs, qui introduiront à leur tour ces innovations pédagogiques dans leur propre classe. 30 écoles du réseau participent actuellement à cette formation.
« L’étincelle renaît dans les yeux des enseignants après les séances de Gogya – ils sont heureux de retrouver leurs élèves pour expérimenter avec eux ces nouvelles méthodes », souligne Eilat Deutsch, qui ajoute que ces stages permettent également de développer un sentiment de communauté parmi les enseignants. D’ailleurs, le nom « Gogya » dérive du mot « pédagogie ». « Aucun rapport avec Google », précise le Dr Eldar. « Selon la définition du dictionnaire, le « pédagogue » est celui qui guide ou instruit les jeunes. Nous avons voulu insister sur la notion de guide, celui qui montre la voie, dans le processus d’apprentissage. »
Lors de la conférence pédagogique d’AMIT, à laquelle participaient des éducateurs de tout Israël, Richard Elmore a parlé du rôle de l’école dans un monde où l’interaction humaine passe de plus en plus par la technologie. « Le transfert de l’information a radicalement changé », a-t-il expliqué. « La nature de l’apprentissage selon les normes en vigueur aujourd’hui sera méconnaissable d’ici 25 ans. » Le professeur de Harvard croit fermement dans l’apprentissage par la pratique, et pas seulement dans la présentation de l’information en classe. « Les êtres humains apprennent par la pratique », souligne-t-il. « Il y a une différence entre l’apprentissage et l’enseignement. »
« Notre rêve est que nos futures écoles ne ressemblent plus ou ne soient plus perçues comme des prisons », insiste Eldar. « Nous voulons que nos enfants soient heureux de venir à l’école, une école qui soit un lieu chaleureux et accueillant. »
Finies les écoles prisons
C’est là que Prakash Nair entre en scène. L’expert en design scolaire espère que le centre Gogya influencera des centaines, voire des milliers d’enseignants et d’écoles en Israël. « Gogya est la première pierre du changement fondamental dans le processus d’apprentissage. Ce bâtiment est la preuve qu’un changement peut se produire en Israël », déclare-t-il.
Le concepteur souligne que même le jeu des couleurs pour les salles de classe n’est pas le fruit du hasard : il a été sciemment choisi pour faciliter l’apprentissage. « Les salles de classe sont suffisamment colorées pour donner aux élèves un sentiment de vitalité, tout en les laissant respirer », souligne-t-il. Des tapis à motifs aux tons chauds de vert, gris et orange répondent aux murs blancs et bleus. Un espace ouvert ombragé, doté d’un plancher en bois, permet également aux étudiants d’étudier à l’extérieur.
Il insiste : « La conception des classes doit inciter les élèves à travailler ensemble, en toute liberté, par un apprentissage actif, et pas seulement suivant le mode de l’enseignement frontal traditionnel. Le décloisonnement et le réagencement du mobilier, entre autres, contribuent à créer une atmosphère conviviale plus accueillante ».
« La construction des écoles est traditionnellement déconnectée de l’apprentissage en soi », regrette Nair, qui a grandi dans le sud de l’Inde et passé la majeure partie de sa scolarité dans des classes non climatisées où s’entassaient quelque 70 enfants. « L’école était pour moi une prison », se souvient-il.
« Aujourd’hui de nombreux pays ont compris la nécessité de mettre en œuvre des méthodes pédagogiques innovantes, adaptées à la population estudiantine », se félicite-t-il. « Mais créer un environnement éducatif innovant ne signifie pas simplement fournir à chaque élève une tablette ou un ordinateur portable », explique Amnon Eldar. « Il s’agit avant tout de créer un environnement positif, pour amener les élèves à développer, par le biais de l’apprentissage, une identité fondée sur de vraies valeurs. Et un sentiment d’appartenance à la communauté, la nation et l’Etat. »
Comme dans un Beit midrash
Comment le programme d’innovation pédagogique de Gogya se traduit-il dans la réalité quotidienne de la classe ?
Pour le rabbin Avi Rokeach, qui dirige la yeshiva Amihaï d’AMIT à Rehovot, il est indispensable que l’équipe pédagogique fasse elle-même l’expérience de la vie étudiante. Les professeurs de son établissement suivent deux heures de cours par semaine avec les formateurs de Gogya.
En ce qui concerne l’environnement scolaire proprement dit, le rabbin Rokeach explique que chaque classe est dotée de chaises à roulettes pour permettre aux élèves d’étudier à deux ou en groupe plus facilement. Elles comportent également plusieurs tableaux – et non pas un seul – mis à la disposition des étudiants. « Le bureau du professeur n’est pas situé près du tableau, comme le veut la tradition », précise Rokeach.
Les devoirs se font en classe, les leçons à la maison. Les enseignants fournissent des clips vidéo que les étudiants peuvent regarder à loisir. On applique également à la yeshiva la méthode de la pédagogie par le projet, qui permet aux élèves d’acquérir connaissances et compétences en enquêtant, pendant une période prolongée, sur une question particulière. Chaque étudiant possède sa propre tablette, dans une école qui éduque 400 élèves de la cinquième à la terminale.
La yeshiva Amihaï ne donne pas de notes sur les bulletins scolaires, mais propose des évaluations alternatives au cours du second degré. Les étudiants peuvent être testés par le biais d’une conférence TED, un exposé devant leurs camarades sur un sujet qu’ils ont approfondi au cours du semestre écoulé.
« La classe ne doit pas être un lieu trop calme : elle doit être animée et vivante. Telle en est l’essence même : le secret réside avant tout dans la communication », déclare Rokeach.
Comme le note le principal, le Beit midrash traditionnel est très proche du concept de Gogya. « Les étudiants de yeshiva ont toujours étudié en groupes : c’est ainsi que l’on enseigne la Torah depuis 2 000 ans », souligne-t-il.
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