Nouveau bras de fer entre Kahlon et Netanyahou

Idéologie mais aussi stratégie politique ont poussé le ministre des Finances à annoncer des mesures sociales d’envergure

Moshe Kahlon (left) and Benjamin Netanyahu (right). (photo credit: REUTERS)
Moshe Kahlon (left) and Benjamin Netanyahu (right).
(photo credit: REUTERS)
Quelle mouche a bien pu piquer Moshé Kahlon ? Si ses partisans évoquent la concrétisation du programme de justice sociale qui a porté celui-ci au pouvoir, ce qui a surtout, semble-t-il, présidé à l’annonce des mesures présentées de façon inattendue par le ministre des Finances le 18 avril, réside dans un savant cocktail de populisme, de calcul politique et de règlement de comptes.
A première vue, les objectifs du plan Kahlon sont clairs : il s’agit de favoriser les classes moyennes en s’employant à réduire leurs dépenses et à augmenter leur pouvoir d’achat. Cohérent quand on connaît le ministre, lui-même issu d’un milieu particulièrement modeste, qui a fait de l’égalité sociale son cheval de bataille politique. Réduction d’impôts pour les parents qui travaillent, augmentation de la prime aux employés à faibles revenus, baisse des taxes sur certains articles, et augmentation du plafond de revenus des personnes handicapées qui travaillent, sans que cela ne nuise à leurs allocations, font partie du pack de mesures annoncées. Le ministère a également fourni une liste de localités où les parents pourront bénéficier d’une subvention mensuelle de 350 shekels par enfant destinée à financer les activités extrascolaires pour lesquelles les ménages consacrent entre 1 000 et 2 000 shekels par mois. Les habitants de villes comme Tel-Aviv ou Haïfa, considérées comme riches, ne pourront bénéficier que d’un tiers de la subvention. Les salariés gagnant moins de 4 800 shekels par mois profiteront par ailleurs d’une augmentation de l’impôt négatif sur le revenu allant jusqu’à 6 000 shekels de plus par an. Le dernier pan des mesures, quant à lui, profite à l’ensemble de la population : la taxe d’achat de 15 % sur les téléphones portables et les taxes d’importation sur les chaussures et les vêtements pour enfants seront supprimées. Les smartphones coûteront désormais 300 shekels de moins environ.
Des tensions à peine voilées
Ces réformes, on s’en doute, ont un coût, estimé à plus de 6 milliards de shekels. Un montant techniquement raisonnable, non seulement parce qu’il n’est pas exorbitant, mais parce que les recettes fiscales ont été plus importantes que prévu, avant même de prendre en compte la récente vente de Mobileye à Intel qui a rapporté 4 milliards de shekels au Trésor. Ce qui est moins raisonnable, en revanche, c’est le contexte dans lequel le plan a été conçu et présenté. Commençons par la présentation, qui comportait des défauts tant visibles qu’audibles.
L’aspect visible, ou plus exactement invisible, a été l’absence de Benjamin Netanyahou à la conférence de presse qui a dévoilé l’important train de mesures gouvernementales. Et pour cause : le Premier ministre n’avait pas été convié par Kahlon.
Il s’agit donc d’une nouvelle étape dans la longue guerre d’usure menée par le ministre des Finances à l’égard du chef du gouvernement, après son refus d’accompagner Netanyahou lors de sa visite en Chine, et ses récriminations selon lesquelles le Premier ministre se serait attribué le mérite des bons résultats économiques du pays, telle la baisse du taux de chômage. C’est donc cette rivalité qui aurait poussé le leader de Koulanou à convoquer une conférence de presse à la va-vite, parce qu’il avait eu vent de l’intention du chef de gouvernement d’annoncer une augmentation des allocations aux personnes handicapées. Voilà pour l’emballage.
L’aspect audible de ces frictions, quant à lui, était concentré dans la pique à peine voilée destinée à Netanyahou : « Tout le monde », a dit le ministre des Finances, « parle des classes moyennes, ainsi que du gros et du maigre. » L’allégorie du gros et du maigre est une formule utilisée par Netanyahou en référence au secteur public qui est lourd, et au secteur privé qui porte son camarade sur ses épaules. Une autre remarque de Kahlon, « Beaucoup de gens parlent, mais nous, nous agissons », visait vraisemblablement aussi le Premier ministre.
Bataille politique
Les tensions entre les deux hommes remontent à l’époque où Kahlon, ministre des Télécommunications dans le deuxième gouvernement de Netanyahou, avait conquis sa popularité auprès du public pour avoir déréglementé le marché des téléphones cellulaires, faisant ainsi chuter le prix des communications. Personne ne sait exactement ce qui s’est passé à l’époque entre eux, mais le fait est que Kahlon s’est mis soudainement en congé de la politique, est parti étudier à Harvard avant de revenir pour fonder son propre parti, Koulanou.
Le fossé entre Kahlon et Netanyahou est plus profond que ce que ce dernier semble enclin à voir. Socialement parlant, ils ont été élevés sur des planètes différentes. Le quartier pauvre dans lequel a grandi le premier n’est qu’à cinq minutes en voiture, mais à des années-lumière sur l’échelle sociale, de l’opulente Césarée où l’autre possède une villa. Mais au-delà du clivage relatif à leurs backgrounds sociaux, se cachent des approches opposées qui ont toujours existé au sein du Likoud. Le credo monétariste de Netanyahou, acquis pendant les années où il a vécu aux Etats-Unis, est dans le prolongement de la politique d’Yitzhak Modaï, le ministre des Finances qui a amorcé en 1985 la transition d’Israël du socialisme au capitalisme, ainsi que de Yohanan Bader, le conseiller économique de Menahem Begin pendant les 29 années où il dirigeait l’opposition.
Le plan de Kahlon, lui, s’inscrit dans les pas des populistes du Likoud, dont le plus célèbre fut le ministre des Finances Yoram Aridor : sa réduction des taxes sur les automobiles et les appareils électroménagers avait alimenté l’hyperinflation que les conservateurs ont dû plus tard contenir. Cela dit, l’environnement économique est aujourd’hui complètement diffèrent. Au début des années quatre-vingt, l’économie israélienne était une des plus faibles d’Occident, tandis qu’elle est actuellement l’une des plus saines, présentant une combinaison rare : le quasi plein emploi, un faible déficit budgétaire, une dette publique réduite, un excédent commercial, un excédent de rentrées fiscales, des réserves de devises sans précédent, une inflation négligeable, des champs de gaz rentables et une des plus fortes monnaies du monde.
Le pays peut donc se permettre de financer le plan de Kahlon, économiquement bienvenu, comme l’a souligné la Banque centrale, qui l’a salué favorablement parce qu’il incite les gens à travailler. Politiquement parlant, en revanche, il y a fort à parier que les mesures annoncées coûtent cher à quelqu’un, soit à leur auteur, soit à son patron.
En s’étant montré critique vis-à-vis de Netanyahou, Kahlon a en effet pris le risque que ce dernier n’entérine pas entièrement le plan. Il faut ainsi s’attendre à ce que des députés du Likoud agissent pour l’amender ou bien freinent son passage à la Knesset. Ils peuvent compter en cela sur le soutien du président de la commission des Finances, Moshé Gafni du parti Judaïsme unifié de la Torah, dont les électeurs ont quelque peu été oubliés par les mesures.
Cet éventuel blocage entraînerait de lourdes conséquences : Kahlon pourrait en effet se sentir acculé à démissionner, provoquant ainsi des élections anticipées. Ce dernier a donc mis le Premier ministre dans une position délicate : le chef du gouvernement doit choisir entre capituler face à un allié de sa coalition, ou bien jouer le rôle du créancier sans cœur, qui confisque les cadeaux que le Père Noël a généreusement distribué aux pauvres, aux handicapés et aux classes moyennes.
Cependant, Netanyahou porte une responsabilité dans le piège que lui a tendu son ministre. La situation actuelle apparaît en effet comme un retour de manivelle, après la campagne du Premier ministre pour bloquer la réforme de l’audiovisuel, si importante aux yeux de Kahlon, qui s’est ainsi retrouvé il y a un mois dans le rôle du méchant visant à voler le gagne-pain d’un millier d’employés.
Mais l’enjeu politique du duel Kahlon-Netanyahou va bien au-delà d’une querelle d’ego. S’il est clair que le chef du gouvernement ne renâclerait pas annoncer des élections anticipées, l’un de ses objectifs de longue haleine est de parvenir à discréditer un centre qui fait de l’ombre aux partis traditionnels. C’est la raison pour laquelle il fait aujourd’hui au centriste économique Kahlon ce qu’il a fait au centriste diplomatique Yaïr Lapid, et plus récemment à son ancien ministre de la Défense Moshé Yaalon, dont l’humanisme et le légalisme sont aussi perçus au Likoud actuel comme une forme de centrisme à proscrire.
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