Dépolitiser le discours au Congrès

La saga du discours continue. Comment prouver que Netanyahou n’est pas motivé par des enjeux électoraux, mais par le danger que représente le nucléaire iranien pour la sécurité d’Israël ?

Le Premier ministre Benjamin Netanyahou lors de son précédent discours devant le Congrès américain en 2011 (photo credit: REUTERS)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou lors de son précédent discours devant le Congrès américain en 2011
(photo credit: REUTERS)
Furieux contre ce qu’il estimait être de l’entêtement de la part de Jérusalem, le président américain avait averti le Premier ministre : « L’échec des négociations aura un impact considérable sur la région et l’état de nos relations ». Non, ce n’est pas ce que Barack Obama a écrit à Benjamin Netanyahou. Ces mots datent de l’époque du président Gerald Ford et du Premier ministre Itzhak Rabin. En fait, la nature des relations entre les Etats-Unis et Israël n’a pas beaucoup évolué. Le contexte n’était pas l’Iran, mais l’Egypte et le retrait israélien d’un bout de désert à l’Est du canal de Suez. Rabin pensait que le secrétaire d’Etat de l’époque Henry Kissinger lui mentait sur les intentions du Caire, et craignait de céder un point stratégique sans un pacte de non-agression. Israël provoquait déjà la frustration de la Maison-Blanche. Et ses leaders se sentaient personnellement manipulés et stratégiquement exposés.
Aujourd’hui, Netanyahou est pris au piège entre le Congrès et le président américain. Et personne n’aimerait être à sa place. La version du Premier ministre : c’est le président de la Chambre des représentants John Boehner qui a eu l’idée de l’inviter. Lui a accepté parce qu’il a un message urgent à délivrer au corps législatif américain. Le chef du gouvernement présumait que Boehner en avait informé la Maison-Blanche. Mais celle-ci a démenti. Depuis, Boehner a reconnu avoir voulu faire un calcul politique en omettant délibérément de prévenir la Maison-Blanche. De son côté, l’administration Obama estime que le lancement de cette invitation sans qu’elle en soit prévenue est à la fois intentionnel et intolérable. On se demande où était l’ambassadeur israélien à Washington Ron Dermer à ce moment-là ?
L’affaire a pris encore plus d’ampleur à cause des élections du mois prochain. Les rivaux de Netanyahou l’ont accusé de se servir du Congrès américain à des fins électorales, de déshonorer la Maison-Blanche et de mettre en danger les relations d’Israël avec son plus fidèle allié. Selon le chef de file du Camp sioniste Itzhak Herzog, Netanyahou est prêt à causer du tort à Israël « dans le seul but de gagner quelques voix ». Quant à la leader de Meretz, Zehava Gal-On, elle a exhorté le président de la Commission centrale des élections, le juge Salim Joubran, à interdire la rediffusion du discours.
Tout peut encore arriver…
Retour à Washington. En plus de creuser l’écart entre l’exécutif et le législatif, l’allocution du Premier ministre israélien est devenue un sujet de litige entre Républicains et Démocrates. La chef de file du parti démocrate à la Chambre des représentants Nancy Pelosi a appelé Netanyahou à annuler son discours. 12 sénateurs ont annoncé qu’ils n’y assisteraient pas. En plus du vice-président Joe Biden. Obama ne s’entretiendra pas avec le chef du gouvernement pendant sa visite à Washington, tout comme le secrétaire d’Etat John Kerry. Explication officielle : la Maison-Blanche ne rencontre pas de candidats à la veille des élections. Sauf que le président Bill Clinton avait reçu Shimon Peres en 1996, un mois avant le scrutin.
Et des rebondissements sont encore à prévoir. La saga du discours au Congrès risque bien de se poursuivre jusqu’au 3 mars, date prévue de l’allocution. Si ce n’est jusqu’au 17 mars, date à laquelle Netanyahou pourrait être réélu. Ou même jusqu’au 24 mars, quand le Congrès votera le durcissement des sanctions contre l’Iran. Ou encore jusqu’au 31 mars, date à laquelle le P5 + 1 et Téhéran sont censés signer un accord de principe avant l’accord final du 30 juin.
Pour l’heure, résistant aux tensions, Netanyahou reste déterminé à se rendre à Washington. Pour lui, cette allocution reste la flèche la plus aiguisée qu’il dirigera contre cet accord susceptible de légitimer et sceller un Iran nucléaire. Netanyahou veut prononcer son discours à temps, c’est-à-dire avant le 24 mars. Même si, pour l’instant son objectif est en péril : les Démocrates qui soutenaient le renforcement des sanctions se sentent aujourd’hui pris au piège d’une situation politique complexe et ne pourront se permettre d’être du mauvais côté de cette lutte partisane. S’il prononce son discours et reste Premier ministre – comme le prédisent les derniers sondages – Netanyahou devra œuvrer pour réparer le mal qui aura été fait et améliorer ses relations avec les Démocrates. Mais le 3 mars est encore loin. Et tout peut encore arriver.
Yadlin, n’est ni un ignorant, ni un démagogue
Le Premier ministre israélien craint que les puissances mondiales ne lèvent les sanctions imposées à Téhéran, sans mettre fin à sa quête du nucléaire. Ce n’est pas un caprice, ce n’est pas de la paranoïa ou de la démagogie. C’est une menace réelle, un scénario crédible. Et en Israël la question du nucléaire fait consensus.
S’il ne fallait retenir qu’une seule chose dans le brouhaha qui entoure ce discours, ce serait la déclaration du général Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires, qui s’est exprimé cette semaine à la radio israélienne, en tant que candidat du Camp sioniste au poste de ministre de la Défense. Selon Yadlin, une partie de l’administration Obama pense que les Etats-Unis devraient faire de l’Iran le pivot de la région. « C’est une idée terrible », a-t-il ajouté, affirmant qu’Israël devait par tous les moyens empêcher la réalisation des ambitions de l’Iran. Le Camp sioniste et Netanyahou sont d’accord sur le fond. Yadlin n’est ni un ignorant, ni un démagogue. Son avertissement en est d’autant plus alarmant et signifie que l’imprudence d’Obama au Moyen-Orient atteint de nouveaux sommets.
Première preuve de la naïveté du président américain : son discours au Caire en 2009, quand il a essayé de s’attirer les bonnes grâces de l’islamisme avec une rhétorique obséquieuse. La seconde : quand il a failli à mettre en application l’avertissement lancé à la Syrie au cas où Damas utiliserait des armes chimiques.
Netanyahou doit prouver que son insistance n’a rien à voir avec son penchant naturel pour les discours et les ovations, et qu’il se concentre uniquement sur la question de la sécurité d’Israël. Le meilleur moyen pour lui de convaincre qu’il n’est pas motivé par des raisons politiques est d’inviter les leaders du Camp sioniste à se joindre à lui à Washington. L’urgence de la question iranienne sera alors totalement dépolitisée.
Le message israélien concernant le complot de la Perse moderne passera alors aussi facilement que celui d’Esther aux temps bibliques. Car, de façon accidentelle ou non, le discours de Netanyahou est prévu pour la veille de Pourim. 
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