Bennett : le vent en poupe

La chance semble sourire à Naftali Bennett, l’étoile montante des récents sondages. Le leader de HaBayit HaYehoudi a réussi à élargir l’assise de son parti

ouverture du parti aux partisans laiques (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
ouverture du parti aux partisans laiques
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
L’avenir semble plutôt rose pour Naftali Bennett et son parti HaBayit HaYehoudi, crédité de 16 à 19 sièges dans la prochaine Knesset. Les récents sondages font apparaître le parti sioniste religieux comme la seconde formation politique du pays, juste derrière le Likoud. HaBayit HaYehoudi est en passe de devenir un parti gouvernemental de premier plan. Bennett pourrait ainsi prétendre au poste de Premier ministre.
Une progression étonnante pour une formation qui, il n’y a pas si longtemps, ne possédait que trois sièges à la Knesset et en détient seulement 12 aujourd’hui. Cela reflète également l’ascension fulgurante de son leader, un néophyte de 42 ans, impliqué depuis deux ans à peine dans les arcanes politiques.
Pour beaucoup, le solide Bennett, avec son franc-parler, est déjà considéré comme le représentant authentique de la droite israélienne. Dans un récent sondage sur le politicien qui représente le mieux le point de vue de la droite, Bennett recueille 39 % des voix, laissant loin derrière ses adversaires plus expérimentés : 28 % pour le Premier ministre Benjamin Netanyahou, leader du Likoud, et seulement 20 % pour le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, d’Israël Beiteinou.
La stratégie de Bennett a été d’élargir l’assise de son parti, à la base essentiellement sioniste religieux, pour recueillir les suffrages de la droite laïque et urbaine et rajeunir son électorat. Les jeunes yuppies laïques, attirés par son enthousiasme, son énergie, son aura high-tech et son style direct, typiquement israélien, le considèrent comme un leader « cool », dans un monde largement dominé par des politiciens plus âgés qu’ils détestent. Beaucoup ont tendance à voter pour l’homme, « le pote » Bennett, et à ignorer ou minimiser son idéologie annexionniste de droite.
Benito Naftalini
Mais la politique de Bennett pourrait mettre en péril la dernière chance d’une solution à deux Etats avec les Palestiniens. Lui à la barre, ou à proximité du gouvernail, cela pourrait faire glisser Israël vers une réalité à un seul Etat, en charge des contrôles de sécurité sur plus de deux millions et demi de Palestiniens de Judée-Samarie. Avec la menace de déclencher de nouveaux troubles avec nos voisins et d’aboutir à un processus d’isolement international d’Israël.
Bennett avance à grandes enjambées pour renforcer son succès. L’amendement, début septembre, de la constitution de son parti a été conçu précisément pour accélérer la transformation de HaBayit HaYehoudi de courant de la niche sioniste religieuse à un parti national au pouvoir avec de nombreux partisans laïques. La nouvelle constitution, qui lui accorde de nouvelles prérogatives, contribue à établir le leader comme un Premier ministre potentiel dans l’esprit du public. Elle lui permet également de faire entrer des candidats laïcs sur la liste des futurs députés à la Knesset, sans passer par les primaires du parti.
Selon la nouvelle constitution, le chef de la formation peut choisir un candidat sur cinq de la liste, soit quatre des vingt premiers prétendants. Il sera seul habilité à décider de rejoindre ou non une future coalition. Et, dans l’affirmative, lui seul désignera les ministres du parti.
Parmi les ennemis politiques de Bennett, au centre-gauche, son style de leadership autoritaire et ses positions de droite intransigeantes lui ont valu le sobriquet chaplinesque de « Benito Naftalini », lancé sur le ton d’une semi-plaisanterie.
Parmi ses proches, certains l’accusent également de diriger le parti de façon dictatoriale. Les députés Yoni Chetboun et Motti Yoguev ne mâchent pas leurs mots pour exprimer leur opposition aux changements de constitution. Le ministre du Logement Ouri Ariel, chef de file du mouvement des implantations d’extrême droite Tekouma, qui a rejoint HaBayit HaYehoudi avant les élections générales de 2013, a adressé à Bennett une lettre furieuse, menaçant de faire éclater le parti si ces changements entraient en vigueur.
Un pacte en coulisses ?
C’est pourtant plus que le style autoritaire de Bennett qui semble être en cause. Certains membres de HaBayit HaYehoudi comme Ariel, Chetboun et Yoguev soutiennent qu’en voulant courtiser le vote laïque, Bennett risque de compromettre les principes sionistes religieux qui sont le fondement du parti. A ce rythme-là, insistent-ils, débarrassé de l’aspect religieux qui le définit, HaBayit HaYehoudi finira tout juste comme un pâle clone du Likoud.
Leur point de vue reste cependant minoritaire. La plupart des acteurs sionistes religieux du parti, rabbins, hommes politiques et partisans de base, grisés par le doux parfum du succès, soutiennent Bennett presque sans réserve.
Jusqu’à présent au moins. D’après certains initiés du Likoud, un bouleversement politique est actuellement à l’œuvre en coulisses. Selon eux, Netanyahou et Bennett envisageraient un pacte électoral, similaire à l’alliance défunte entre le Likoud et le parti de Lieberman, Israël Beiteinou.
Une liste commune Likoud-HaBayit HaYehoudi assurerait à Netanyahou le poste de Premier ministre aux prochaines élections.
De son côté, Bennett obtiendrait le ministère des Affaires étrangères, qu’il pourrait utiliser comme tremplin vers de nouveaux sommets.
Aux dires des initiés, Bennett – autrefois persona non grata auprès de Netanyahou et surtout de son épouse Sara – et le Premier ministre entretiennent à présent une étroite relation de travail, qui pourrait ouvrir la voie à une éventuelle collaboration entre leurs deux partis.
Les tunnels de la discorde
Parallèlement, Bennett continue à se présenter comme un leader national en puissance.
Au cours du conflit de cet été contre le Hamas, dans la bande de Gaza, il est descendu vers la frontière, en tant que membre du cabinet de guerre, pour rencontrer les soldats. Il en est revenu muni d’amples informations qui lui ont permis de contester les plans opérationnels du ministre de la Défense Moshé Yaalon.
Il a même été accusé d’avoir envoyé son proche confident, l’ancien grand rabbin de Tsahal Avichaï Ronsky, sur le front. Ce dernier a fait jouer son grade de général de brigade (de réserve) pour se faufiler dans les séances d’information militaires de haut niveau et faire son rapport à Bennett.
Yaalon a dénoncé le leader de HaBayit HaYehoudi pour mauvaise conduite. Selon le ministre de la Défense, la critique publique de Bennett sur la façon dont la guerre était menée aurait dévoilé certains secrets militaires. Ce dernier de rétorquer que, sans sa collecte d’informations et sa persévérance, les tunnels stratégiques du Hamas creusés sous le territoire israélien n’auraient jamais été détruits.
Netanyahou et le ministre de la Défense accusent Bennett de vouloir s’attribuer des mérites qui n’ont pas lieu d’être, et persistent à dire que l’armée israélienne se préparait à frapper ces tunnels depuis des années.
Qui a tort et qui a raison dans cette affaire, cela importe peu. Mais sur le plan politique, la confrontation très médiatisée entre Bennett et Yaalon a largement joué en faveur du chef de file de HaBayit HaYehoudi. Même s’il n’est pas directement responsable de la guerre contre les tunnels, le message subliminal le fait apparaître comme un haut décideur sur un pied d’égalité avec le ministre de la Défense, un leader national potentiel au fait des affaires militaires, qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense.
Une ascension fulgurante
Naftali Bennett est né à Haïfa en 1972. Ses parents, Jim et Myrna, sont des immigrants américains qui ont fait leur aliya de Californie après la guerre des Six Jours. Laïques au départ, ils sont devenus religieux quand Bennett était encore enfant. Naftali fréquente plus tard le Bné Akiva, mouvement de jeunesse sioniste religieux, et étudie en yeshiva pendant ses années de lycée. Il enlève sa kippa après un cours de formation d’officiers de Tsahal, mais la remet après l’assassinat de Rabin en 1995, en réaction aux nombreuses critiques qui veulent rendre le monde religieux responsable du climat qui a conduit à la mort du Premier ministre.
Au sein de l’armée israélienne, Bennett sert dans les unités de commandos d’élite Sayeret Matkal et Maglan, où il finit chef de compagnie et major de réserve.
Trois ans après sa libération de l’armée, il fonde, en 1999, Cyota, une société de sécurité de l’information high-tech, et s’installe à Manhattan en 2001 pour en gérer sa branche américaine. Cinq ans plus tard, il vend, avec ses cofondateurs, l’entreprise à RSA, une importante société américaine de high-tech, pour 145 millions de dollars, ce qui fait de lui un homme très riche.
La seconde entreprise de high-tech qu’il dirige prend le même chemin. En 2009, il participe à la création de Soluto, une société de téléphonie mobile et de solutions informatiques, dont il assure au départ la gestion. Elle sera vendue quatre ans plus tard à Asurion, une compagnie américaine, pour plus de 100 millions de dollars.
Dans l’intervalle entre ces deux projets, Bennett est recruté pour travailler pour Netanyahou. Après l’élection de mars 2006, au cours de laquelle le Likoud se retrouve avec seulement 12 sièges, Netanyahou, confiné dans l’opposition, semble politiquement au plus bas. Mais quelques mois plus tard, après ce qui est ressenti comme un échec du gouvernement dans la conduite de la deuxième guerre du Liban, sa position dans les sondages commence à monter en flèche. L’opportunité de reprendre le pouvoir se profile à l’horizon et il fait donc appel au dynamique Bennett pour diriger son bureau.
Clone de Bibi ?
Comme beaucoup dans l’entourage de Netanyahou, Bennett apparaît comme une sorte de clone de Bibi – résolument de droite avec une formation américaine. Au départ, les deux hommes, qui se vouent une admiration mutuelle s’entendent comme larrons en foire. Mais l’arrangement durera à peine plus d’un an. Selon la presse de l’époque, Bennett, avec son approche pragmatique d’homme d’affaires, l’œil toujours fixé sur l’objectif, a du mal à digérer les retours en arrière constants de Netanyahou sur les décisions adoptées, souvent après l’intervention de sa femme.
Avec Ayelet Shaked, membre du personnel de Netanyahou qu’il a recrutée et va devenir l’une de ses plus proches alliés politiques, ils quittent ensemble le cabinet en mars 2008.
Bennett retourne au high-tech avec Soluto. Les dirigeants des implantations font alors appel à lui pour qu’il les aide à conquérir les cœurs et les esprits en tant que directeur du Conseil des implantations de Judée-Samarie, poste qu’il occupe fin janvier 2010. Mais là encore, Bennett ne fera pas de vieux os. Un conflit sur la ligne politique l’oppose aux leaders des implantations, notamment à propos d’une initiative lancée sur Facebook, avec Shaked, sa partenaire laïque, intitulée « Mon Israël ». L’idée en toile de fond était de contourner ce que Bennett considère comme la presse israélienne de gauche et d’utiliser les médias électroniques pour forger un partenariat entre laïcs et religieux représentant la majorité de droite.
Rejoints par quelques dizaines de milliers de supporters, Bennett, Shaked et Ronsky forment, en 2012, un mouvement politique parallèle appelé « Israéliens », avec des objectifs similaires.
Quelques mois plus tard, le trio rejoint HaBayit HaYehoudi, et Bennett se lance presque immédiatement à la conquête de sa direction. Au cours des primaires de novembre, il bat le député sortant, Zvoulon Orlev, un vieux de la vieille, sioniste religieux, avec un score impressionnant : 67 % des voix, bien qu’il se présente contre l’appareil du parti.
Une des premières initiatives de Bennett à la tête de la formation sera d’élargir ses rangs. Il intègre ainsi Tekouma et met en avant sa grande idée d’un partenariat laïque et religieux, l’une des forces motrices principales pour faire progresser le pays vers la droite.
Le pote Bennett
Le charme de Bennett repose en grande partie sur son franc-parler désinvolte et agressif. Par exemple, quand un reporter de la télévision britannique insiste pour qualifier la récente opération d’Israël à Gaza de disproportionnée, il rétorque « Vous voulez rire ? Si un millier de missiles tombaient sur votre maison et sur votre famille… vous viendriez encore nous parler de proportions ? » A une autre occasion, il compare le problème palestinien à « un éclat d’obus dans les fesses » – le retirer (résoudre le problème) pourrait entraîner de graves complications, le laisser en place ne provoque que quelques douleurs de temps en temps, au gré des saisons. Le discours musclé direct s’accompagne d’un marketing intelligent avec des slogans comme : « Il y a dans l’air quelque chose de nouveau » et « Bennett est un pote », deux des petites phrases de campagne électorale du parti les plus réussies.
Le succès de Bennett reflète le soutien du grand public au mouvement des implantations, objectif que les habitants de Judée-Samarie tentaient d’atteindre depuis des décennies et qui jusque-là leur avait échappé.
Une mauvaise nouvelle cependant pour le centre-gauche, qui considère le processus de paix israélo-palestinien comme la clé de l’avenir pour Israël dans la région.
« L’Initiative de stabilité d’Israël » lancée par Bennett en 2012 requiert l’annexion israélienne de la « zone C », soit 60 % de la Judée-Samarie dont toutes les implantations israéliennes. Dans les 40 % restants, où réside l’écrasante majorité des Palestiniens, ces derniers conserveraient une certaine autonomie, mais sous l’égide de la sécurité israélienne.
Cette disposition serait consolidée par une coopération économique et commerciale israélo-palestinienne. Quant à la bande de Gaza, elle retournerait à l’Egypte.
Boycott ? Même pas peur !
Mais les Palestiniens accepteraient-ils cette solution pour une durée indéterminée ? Et quid du reste du monde ? Pour le centre-gauche, cela fait figure de la politique de l’autruche : les arguments de Bennett ne tiennent pas compte des réalités régionales et internationales.
Par exemple, il insiste sur le fait que si seulement Israël avait une position claire et ferme sur son droit à tout le pays, il serait en mesure de convaincre la communauté internationale. Selon lui, l’économie du pays serait suffisamment forte résister seule au boycott. Par ailleurs, de nombreux acteurs internationaux refuseraient, affirme-t-il, de boycotter Israël car son partenariat leur est nécessaire autant que le leur pour l’Etat hébreu. De plus, insiste-t-il, le monde a besoin de l’innovation israélienne, par exemple les puces pour ordinateurs et téléphones portables, les stents pour la chirurgie cardiaque, les systèmes d’irrigation et de navigation.
Néanmoins, pour anticiper les effets d’un éventuel boycott européen, Bennett a, en tant que ministre de l’Economie, pris des mesures pour développer des liens commerciaux alternatifs. Il a fermé les délégations commerciales israéliennes en Finlande et en Suède, et en a ouvert de nouvelles en Chine, en Inde et au Brésil.
Pour lui, les Palestiniens, et tous les Arabes d’ailleurs, n’ont qu’une idée en tête : la destruction d’Israël. Aussi l’Etat hébreu n’a pas d’autre alternative que de s’accrocher avec toute la fermeté possible pour leur résister.
« Chaque fois que nous abandonnons un lopin de terre, dans les jours qui suivent, il est transformé en rampe de lancement de missiles… Chaque fois que nous leur accordons la souveraineté, ils nous assassinent », déclare-t-il. La conclusion qui s’impose est qu’Israël doit conserver la majeure partie du territoire et assurer le contrôle de la sécurité sur l’ensemble de celui-ci.
Ce n’est pas très éloigné de la ligne actuelle de Netanyahou. Ce qui explique pourquoi, après l’opération Bordure protectrice, le Premier ministre n’a fait aucun effort pour exploiter les conditions régionales favorables et lancer l’initiative diplomatique de grande envergure que de nombreux acteurs internationaux de premier plan attendaient.
Dans une situation où les Palestiniens sont en passe de porter le conflit devant l’ONU et d’autres organismes internationaux, afin de provoquer un tsunami diplomatique et économique contre Israël, la question est de savoir si la droite israélienne au pouvoir possède la subtilité d’esprit et la créativité nécessaires pour déjouer leur plan. Ou si la poussée de HaBayit HaYehoudi à la Knesset annonce une collision frontale non seulement entre Israël et les Palestiniens, mais entre Israël et ses alliés les plus proches. 
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