A armes égales

Un bataillon mixte, composé de près de 30 % de femmes combattantes, bouleverse clichés et idées reçues

Soldates de l’unité combattante Masada  à proximité du village de Hizma (photo credit: PAUL ALSTER)
Soldates de l’unité combattante Masada à proximité du village de Hizma
(photo credit: PAUL ALSTER)
Par une magnifique journée d’hiver à l’est de Jérusalem, je me rends en véhicule blindé dans le village de Hizma en Judée-Samarie, à environ cinq kilomètres à vol d’oiseau de Ramallah, la capitale de l’Autorité palestinienne. J’ai prévu de passer l’après-midi avec les soldats de l’unité combattante de Masada, basée au camp d’Anatot, près de l’implantation israélienne de Maale Adoumim. Objectif : prendre la mesure, sur le terrain, de cette étrangeté que constituent les éléments féminins au sein de cette unité très particulière.
Si vous avez vu la célèbre comédie américaine des années 1980 La bidasse avec Goldie Hawn, et que vous en avez conclu que les femmes dans les unités de combat de l’armée israélienne pouvaient avoir la moindre ressemblance avec ce personnage de JAP (Jewish American Princess), permettez-moi de vous dire que vous faites fausse route. Je conseille plutôt de jeter vos idées préconçues aux orties.
Danger omniprésent
Je me retrouve donc aux côtés du lieutenant Maor Lagali, commandant de l’unité de combat Masada, en poste à l’un des principaux carrefours sur la route qui mène à Hizma. Ce village palestinien de plus de 8 000 habitants est le théâtre de violences récurrentes : jets de pierres et attentats à la bombe incendiaire contre les véhicules qui circulent sur la route 60 sont monnaie courante. Lagali m’explique les défis auxquels ses soldats sont confrontés au jour le jour, et leur façon d’interagir avec la population locale afin de désamorcer des situations explosives.
« Notre rôle est d’assurer l’ordre public, de garantir la sécurité de tous ceux qui vivent ici ou passent dans ce secteur. En fin de compte, notre travail consiste à maintenir le calme, pour le bien-être des Juifs, des Palestiniens, et de quiconque se trouve dans ce périmètre », explique le commandant. « Nous visons au maintien de la paix entre Israéliens et Palestiniens – et quand je parle des Israéliens, j’entends aussi les Arabes israéliens bien sûr », précise-t-il.
Les Palestiniens et certaines ONG, souvent accusées à juste titre d’avoir un agenda politique ouvertement anti-israélien, affirment volontiers que Tsahal fait preuve de deux poids deux mesures : elle maltraiterait, selon ces organisations, les Palestiniens sous son contrôle en Judée-Samarie d’un côté, tout en étant plus laxiste et permissive avec les juifs. Des affirmations contre lesquelles Lagali se porte en faux : « C’est notre devoir que de traiter tout le monde avec le même respect », martèle le militaire. « Nous sommes ici pour nous occuper indifféremment de toute personne qui serait source de problème, quelle qu’elle soit. »
Le lieutenant raconte que ses soldats patrouillent le plus souvent à pied et non pas, comme j’aurais pu l’imaginer, à l’abri dans leurs véhicules blindés. Je lui demande alors si je pourrais me joindre à eux pour une ronde, afin de mieux me rendre compte des difficultés auxquelles sont confrontées ses troupes. Après une minute de conciliabule par talkie-walkie interposé avec sa hiérarchie, Lagali m’annonce que ce sera possible, à condition d’adopter les quelques mesures de précautions qui s’imposent. « Devant nous se trouveront une voiture blindée et deux soldats armés qui suivront à pied, et encore deux autres militaires et un véhicule blindé à l’arrière », m’informe-t-il.
C’est ainsi que la déambulation discrète que j’imaginais à travers la rue principale de ce village arabe, se mue en procession militaire au beau milieu des habitants qui vaquent à leurs occupations quotidiennes. Certains nous jettent des regards perplexes. Alors que nous passons à côté d’une voiture, le conducteur, qui fait mine de vouloir s’éloigner, reçoit immédiatement l’ordre de stationner à l’endroit où il se trouve jusqu’à ce que nous l’ayons dépassé. Je comprends qu’il s’agit de dissuader l’homme de se joindre à notre mini-convoi.
Dans un tel contexte, on se rend rapidement compte que même ce qui a l’air anodin peut, à tout moment, devenir un immense danger pour les soldats en patrouille, considérés par les Palestiniens comme une force d’occupation et de fait, comme des cibles légitimes. Nous passons ensuite devant une quincaillerie dont les abords sont jonchés de conduites de gaz, puis devant un magasin de réparation de pneus, autre menace potentielle : les pneus enflammés, lancés contre les soldats, ont vite de fait de rouler vers leur cible pour l’embraser, comme c’est régulièrement le cas en période de tension. A cela s’ajoute le fait qu’à tout moment, quelqu’un peut surgir avec un couteau et tenter de poignarder un soldat par-derrière. Le danger est à chaque coin de rue.
Il y a quelques années, alors que j’étais bénévole au sein d’une unité de la police des frontières, j’avais suivi un cours dans lequel on nous parlait de l’ingéniosité des terroristes, qui cachent des explosifs dans les endroits apparemment les plus inoffensifs : le socle d’une cage à oiseaux placée au seuil d’un magasin animalier, l’intérieur d’une caisse de CD dans un magasin de musique, une pastèque sur l’étalage d’un primeur, ou même une miche de pain. Voilà le genre de risques auxquels les femmes combattantes que j’ai rencontrées ce jour-là sont exposées, tout comme les jeunes filles en nombre exponentiel qui choisissent de servir dans les territoires disputés, ou dans d’autres régions particulièrement sensibles.
Des jeunes filles déterminées
Comment réagirais-je si l’une de mes filles m’annonçait qu’elle a choisi de s’exposer à ce genre de danger ? « Mon père est toujours très inquiet, exactement comme au premier jour », confie le lieutenant Sharon Bronar, âgée de 21 ans. La jeune femme, originaire de Beit Zayit, est responsable d’un bataillon de 18 jeunes hommes et femmes envoyés sur le terrain par tous les temps et parfois jusqu’à 12 heures d’affilée. Les soldates sont très souvent en première ligne, notamment quand il s’agit de fouiller des maisons, à la recherche d’éventuelles caches d’armes, par exemple. « Il dit toujours qu’il ne dort pas de la nuit et qu’il n’arrive pas à croire que je fais tout ça », poursuit Sharon, « mais je sais qu’au fond il est fier de moi et qu’il comprend pourquoi je le fais. Bien sûr, mes parents ont essayé de m’en dissuader, mais ils n’avaient aucune chance d’y arriver. Je savais que c’était ce que je voulais. Au final, ils me soutiennent même si ce n’est pas de gaîté de cœur. »
Le sergent Adi Weiss vit une situation plus simple. « Ma famille m’a soutenue dès le début. Ils ont tout de suite approuvé mon choix. Cela vient du fait que ma mère aurait bien aimé faire la même chose quand elle a fait son service militaire, mais à son époque, ce n’était pas possible. C’était son rêve. Elle vit donc cette expérience de soldate combattante par procuration, à travers moi. Dans les postes que nous occupons, ce soutien est essentiel pour survivre. Quand les choses se corsent, c’est ce qui nous aide à tenir le coup. »
Dans la plupart des autres pays, ces jeunes filles seraient probablement en train de poursuivre des études universitaires, ou seraient déjà investies dans la carrière de leur choix. Mais en Israël, la majorité continue de servir sous les drapeaux, 32 mois pour les hommes et deux ans pour les femmes.
Contrairement à Adi Weiss, qui aspirait clairement à rejoindre une unité de combat depuis son enrôlement, Sharon Bronar, sa supérieure, est arrivée à ce poste d’une manière très différente. « J’ai d’abord été sélectionnée pour servir dans la marine. J’officiais comme tatzpitanit, opératrice de vidéosurveillance à distance. Mais après quelques mois, j’ai réalisé que ce n’était pas fait pour moi, et j’ai demandé à être mutée », raconte-t-elle. « Je voulais un poste plus intéressant, avec plus d’action surtout. Je souhaitais faire partie de ceux qui sont en première ligne pour protéger le pays. Au départ, l’idée de devenir combattante était une blague : on riait là-dessus avec certaines filles de mon régiment dans la marine. Puis la plaisanterie est devenue réalité. » Je lui demande ce qu’elle et ses collègues pensent de ceux qui font tout leur possible pour éviter le service militaire. Sont-elles en colère contre eux ? « Chaque personne a ses raisons personnelles par rapport à ça », répond Sharon Bronar, « mais du coup, je pense que cela représente une opportunité pour les femmes : moins il y a de garçons pour briguer les postes de combattants, plus il y a de place pour nous. Cela permet aux filles d’opérer au plus haut niveau et de montrer ce dont elles sont capables. »
Mixité et égalité des chances
« On a constaté, au cours de ces dernières années, que la mixité fonctionne très bien dans ces unités. Une fois sur le terrain, personne ne pense plus en termes de genre, homme ou femme, nous sommes pareils. Nous sommes tous des soldats qui accomplissons notre mission du mieux possible », affirme Sharon.
« Il n’y a pas de division du travail en fonction du genre des individus », renchérit le lieutenant Maor Lagali. « Le sexe des militaires ne détermine absolument pas le type de mission qu’on leur confie. Les seuls critères sont les compétences et les aptitudes. Quiconque veut progresser et passer à un niveau supérieur le peut. Aucun obstacle ne viendra se mettre en travers de son chemin pour l’en empêcher. » Dans certaines franges de la société israélienne, la perception traditionnelle du rôle de la femme demeure encore profondément enracinée dans les mœurs. Je demande donc à Sharon Bronar si, selon elle, certains jeunes appelés issus de ces milieux avaient du mal à accepter la présence de femmes combattantes et de surcroît à être commandés par elles.
« Au début c’est peut-être un peu plus difficile pour certains de l’accepter », admet la jeune femme. « Mais très rapidement tout le monde se respecte de la même façon. D’ailleurs, même le contraire n’était pas évident pour certains. Il y a eu des officiers masculins qui trouvaient étrange d’être en charge de soldates. Mais ils s’y sont faits très vite, dans la mesure où tout le monde est égal au sein de l’unité. C’est l’un des points positifs d’une unité mixte, permettre à ces militaires d’abandonner leurs idées préconçues. Pour autant, quelqu’un qui a une tendance machiste profondément ancrée en lui a peu de chances de se voir affecté dans une unité mixte », précise Sharon Bronar.
S’il y en a encore, dans la société israélienne, qui doutent des compétences des femmes combattantes, il est évident que parmi les nombreux éléments extrêmement conservateurs de la société palestinienne et arabe, beaucoup doivent trouver bizarre d’être confrontés à une femme soldat. Sharon fait cependant remarquer qu’ils sont généralement un peu plus détendus quand ils ont affaire à des soldates qui sont en général moins « rentre-dedans ». Ce qui prouve que si les problèmes sont abordés sans agressivité, il est plus facile de s’entendre. « Il y a également des choses qu’un soldat ne peut se permettre avec une Palestinienne, alors que c’est accepté de la part d’une femme soldat », fait remarquer Lagali. « Par exemple, nous ne pouvons pas effectuer faire de fouille corporelle sur une femme. Seules les filles y sont autorisées. »
La physiologie féminine et ses limites
J’ai rencontré le lieutenant-colonel Youval Heled, chef du département de physiologie militaire au sein de Tsahal. Au cours de notre entretien, nous avons abordé l’éventualité d’ouvrir aux femmes tous les postes au sein de Tsahal. Cette question a été abordée dans le sillage de la décision des militaires américains de permettre aux recrues féminines d’accéder à des postes d’élite, au sein de la marine. Les femmes peuvent d’ores et déjà accéder à 93 % des postes au sein de Tsahal, y compris pilotes de chasse. Si Youval Heled affirme que « les femmes peuvent être de grands soldats », il indique néanmoins que la physiologie fondamentale du corps féminin leur impose des limites dans les activités combattantes de haut niveau. Elles sont par exemple davantage exposées aux blessures que leurs homologues masculins. « Les femmes sont cinq fois plus victimes de blessures dues au surmenage, même après avoir suivi un entraînement intensif », précise-t-il.
Sharon Bronar se montre très franche sur le sujet. « C’est important pour moi de souligner qu’il en coûte davantage, tant physiquement que socialement aux femmes des unités de combat qu’à leurs homologues masculins. Il ne s’agit pas d’exercer un simple travail à l’armée de neuf à cinq. Les conséquences physiques sont lourdes : les soldates se blessent plus facilement, et elles ont souvent des problèmes de genou ou de dos dus à un épuisement physique qui n’est pas adapté à leur physiologie. »
Adi Weiss s’entraîne comme gymnaste depuis l’âge de 11 ans. Grâce à ce sport, elle a acquis une discipline physique et mentale qui lui a été d’une grande aide lorsqu’elle est devenue combattante. « Je suis arrivée avec un très bon niveau de fitness. Je recommande vraiment à toute fille appelée sous les drapeaux, qui possède un réel acquis dans une discipline sportive de s’enrôler comme combattante. Ces postes sont faits pour des filles psychologiquement résistantes qui supportent la confrontation et qui ont un mental suffisamment fort pour avoir pu concilier entraînement intensif et lycée. Celles-là sont capables de relever les défis auxquels les combattantes sont confrontées », dit-elle.
Nos deux impressionnantes soldates envisagent-elles de faire carrière dans l’armée au sein de leur unité ? « Je n’en ai encore aucune idée », répond Adi Weiss en riant. « Je suis tellement investie dans ce que je fais en ce moment que je n’ai pas vraiment le temps de penser à l’avenir. » Sharon Bronar, elle, a signé pour quatre ans. Rempilera-t-elle à la fin de son contrat ? « C’est tout à fait possible », répond-elle dans un clin d’œil le sourire aux lèvres. Espérons que son père ne lira pas ces lignes… 

© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite