Juifs américains : le défi existentiel

La communauté juive d’outre-Atlantique, menacée entre autres par l’assimilation galopante, doit miser sur le renforcement de l’éducation. Sa survie en dépend

Rassemblement d’Israélo-Américains pour le 3e congrès annuel de l’Israeli American Council (photo credit: IAC)
Rassemblement d’Israélo-Américains pour le 3e congrès annuel de l’Israeli American Council
(photo credit: IAC)
La dernière course présidentielle n’a pas été une expérience facile pour les juifs américains. Elle a non seulement généré de profondes divisions au sein d’une communauté déjà largement polarisée, mais elle a aussi mis en évidence des signes inquiétants d’antisémitisme dans les extrêmes des deux camps, affirme Malcolm Hoenlein, vice-président exécutif de la Conférence des présidents des grandes organisations juives américaines. Cependant, à en croire celui qui occupe le même poste depuis 31 ans, le plus grand danger aujourd’hui pour les juifs américains est l’indifférence qu’ils manifestent à l’égard de leur identité.
Face à cet inquiétant phénomène, Malcolm Hoenlein et beaucoup d’autres préconisent de renforcer l’éducation juive, en mettant l’accent sur la beauté du judaïsme et l’importance de l’Etat d’Israël. Avec un objectif : fournir aux jeunes générations les outils appropriés pour combattre l’antisémitisme et l’antisionisme, promulgués notamment sur les campus universitaires à travers les actions du mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). « Nous nous dirigeons vers de grands bouleversements. Les défis sont nombreux pour les juifs du pays, qu’il s’agisse des mariages mixtes, de l’assimilation ou de l’affaiblissement de l’identité juive et des liens avec Israël », affirme Hoenlein.
La communauté juive américaine, estimée à environ six millions de personnes – 2 % de la population totale du pays –, est la plus importante de diaspora. Bien que le leadership juif américain soit considéré comme particulièrement influent, beaucoup de membres de la communauté sont assimilés. A tel point que selon certaines prévisions, le judaïsme des Etats-Unis ne représentera plus qu’1 % de la population d’ici trente ans. Si le portrait des juifs américains réalisé par l’institut de sondages Pew en 2013 montrait que ces derniers étaient majoritairement fiers de leurs origines, les chiffres étaient là : près de six sur dix étaient mariés avec un conjoint non juif et deux tiers n’allaient pas à la synagogue ; plus d’un tiers des sondés s’identifiaient au mouvement réformé pour seulement 18 % de personnes traditionalistes et 10 % de religieux ; enfin, trois personnes sur dix ne se considéraient comme n’appartenant à aucun de ces courants.
Eduquer les jeunes générations
« Je suis particulièrement préoccupé par les campagnes de plus en plus nombreuses du mouvement BDS sur les campus, qui ne sont pas seulement dirigées contre Israël, mais motivées par un antisémitisme débridé. Le grand problème est que beaucoup de nos jeunes, démunis face à la propagande, tombent souvent dans les filets de cette idéologie particulièrement répandue dans le corps enseignant des universités. Il nous faut donc réagir en éduquant les enfants dès la maternelle », constate Malcolm Hoenlein. L’autre facteur de réussite, dit-il, est l’unité au sein de la communauté. « Cela ne veut pas dire que nous ne tolérons pas la différence, mais nous devons considérer nos divergences avec respect, et considérer que ce qui nous rapproche est beaucoup plus important que les facteurs de division. Nous avons une foi et un destin communs, et ce qui arrive à une partie d’entre nous doit tous nous affecter », précise-t-il. Michael Siegal, un homme d’affaires en vue très impliqué dans les institutions de soutien à Israël, est également inquiet des clivages qui caractérisent la communauté juive américaine. « En dehors de la fracture gauche-droite, nous constatons aussi une différence entre sexes : les femmes juives votent démocrate et les hommes votent républicain. A cela, s’ajoute un décalage de perception avec la génération Y qui se considère d’abord comme appartenant à l’humanité plutôt qu’à la communauté juive. »
L’avenir de la communauté juive des Etats-Unis a été au centre des discussions lors de l’Assemblée générale des Fédérations juives d’Amérique du Nord qui a eu lieu à Washington entre le 13 et le 15 novembre. Si elle qualifie la communauté juive américaine de « vibrante », Cynthia Shapira, coprésidente de l’Assemblée générale, s’accorde également à dire que le prochain grand défi se trouve dans l’éducation de la jeune génération. « On constate depuis 10 ou 20 ans que les juifs du pays ont des façons de plus en plus variées de se positionner par rapport leur identité », dit-elle. Afin de remédier à la situation, Cynthia Shapira et d’autres ont créé l’organisme Onward Israel, dont l’objectif est de faire profiter tous ceux qui sont déjà allés en Israël d’une expérience d’immersion plus intense au travers de stages étudiants. Eli Ovitz, directeur général de l’ONG Limmud, mise lui aussi sur l’organisation d’événements éducatifs afin de donner envie aux jeunes de faire partie de la communauté et de s’impliquer davantage, soulignant, avec d’autres, le regain d’intérêt de nombreux juifs par rapport à leur héritage.
La question de l’inclusion
Pour Judy Altenberg, qui dirige la JFNA, une organisation philanthropique de femmes, la question la plus importante qui se pose à la communauté juive du pays est ce qu’elle nomme « l’inclusion ». « Nous ne pouvons pas ignorer le fait qu’au moins 70 % des enfants issus de foyers non religieux finissent par épouser des personnes non juives », dit-elle. « Face à cela nous pouvons soit nous mettre la tête dans le sable et faire semblant que ce problème n’existe pas, soit trouver un moyen halakhique de légitimer les conjoints non juifs et les inclure dans la communauté. » Elle prévient : « Si nous ne prenons pas en compte les mariages interreligieux de manière réfléchie, nous risquons de perdre 70 % de nos enfants, sans parler des générations futures. Tout ce qui est important à nos yeux afin d’assurer la continuité juive – les camps d’été, les externats, les mouvements de jeunesse etc. – ne voudra plus rien dire si nous n’avons plus d’enfants pour y prendre part. » Des propos corroborés par Michael Siegal : « Nous devons continuer à élargir notre tente, à accueillir tous les courants du judaïsme et toutes les familles ». Selon lui, Israël a un rôle à jouer en acceptant de reconnaître les différentes tendances religieuses comme il le fait pour la chrétienté et l’islam.
Judy Altenberg pointe également « une tendance extrêmement dérangeante parmi les juifs américains qui est celle de considérer l’existence d’Israël comme acquise ». « Même si l’on peut ne pas être d’accord avec la politique israélienne, il est primordial de savoir préserver les intérêts du pays », souligne-t-elle. « C’est pour cette raison qu’il est capital d’encourager plus de juifs américains, et particulièrement les jeunes, à découvrir Israël. » Suzanne Barton Grant, qui fait partie du comité dirigeant de la JNFA, se dit inquiète pour l’avenir de ses trois enfants : « Je me demande quelle place auront les traditions et les valeurs juives à leurs yeux », s’interroge-t-elle. Et d’insister : la construction d’une identité juive plus forte aux Etats-Unis passe nécessairement par le développement de l’attachement à Israël. D’où le rôle prépondérant d’organismes comme Massa et Taglit, qui organisent des voyages dans le pays pour les jeunes juifs du monde entier.
Le rôle prépondérant d’Israël
Faisant écho aux propos de Malcolm Hoenlein, Dede Feinberg, ancienne dirigeante du comité exécutif de la FNA, met en cause le système éducatif juif américain, pointant ses nombreuses lacunes : « Israël n’est plus considéré sous un angle aussi positif qu’auparavant, et on ne parle pas suffisamment d’antisémitisme », affirme-t-elle, et ce malgré l’indéfectibilité des liens qui existent entre les Etats-Unis et l’Etat juif. « Israël est dépendant du soutien et de la mobilisation de la communauté américaine aussi bien pour influencer les décisions de Washington que pour contrer l’influence du BDS dans nos universités. Et réciproquement, car les juifs américains profitent de l’image positive d’Israël perçu comme la start-up nation mais aussi comme une puissance militaire. Quelles que soient les divergences d’opinions, au final, nous sommes un seul peuple. »
Selon le Rav Abrahm Cooper, vice-doyen du centre Simon Wiesenthal basé à Los Angeles, les juifs américains sont « dans une période de transition ». Lui aussi met en garde contre l’assimilation et le relâchement des liens avec Israël. Pour y remédier, il en appelle au soutien de l’Etat juif. « C’est une question d’areivut (confiance mutuelle) et de respect réciproque. Il en va de la survie de notre communauté. » Afin d’optimiser cette relation, Jay Ruderman, un autre membre éminent de la communauté, insiste sur le fait qu’Israël doit être à même de comprendre les différences qui existent entre les juifs américains et les Israéliens.
Pour conclure, Malcolm Hoenlein n’hésite pas à user du vocabulaire de la guerre. « La communauté juive américaine ne doit pas seulement être en position de défense, mais également d’attaque. Plus que tout, elle doit resserrer ses rangs et mettre en place de coalitions positives, tout en cherchant à récolter le soutien du plus grand nombre possible de juifs dans le pays. Chaque juif est un trésor pour la communauté et nous ne devons écarter personne. » L’homme se veut malgré tout optimiste, et rappelle que les sombres prévisions d’il y a 50 ans, tablant sur la disparition imminente des juifs d’Amérique, ne se sont pas réalisées. « Tout comme Israël, nous sommes là pour rester. »
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