Terrain d’entente

Le basket-ball en Samarie est devenu le nouveau moyen de rapprocher mères et filles, religieuses et laïques. Rencontre

Sport (photo credit: DR)
Sport
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La route sinueuse entre Ariel et le carrefour Tapuah est sombre la nuit. Les voitures roulent pleins phares et à toute vitesse sur la route à double sens. Je traverse la grille de Kfar Tapuah et apostrophe une femme en jupe longue, dont les cheveux sont couverts par un foulard. « Le terrain de basket ? Continuez tout droit, c’est sur la droite », sourit-elle, ajoutant : « Vous ne pouvez pas le manquer ». Je me gare dans le parking et regarde le grand bâtiment. Le panneau à côté de l’entrée me salue par un « Installation sportive, érigé par le Conseil régional de Samarie en collaboration avec le ministère israélien de la Construction et du Logement, le ministère israélien de la Culture et du Sport, le Conseil de la communauté, au bénéfice des habitants 2013 ». Je m’engage à l’intérieur et prends une profonde inspiration.

A droite et à gauche, les escaliers grimpent jusqu’aux gradins. Derrière les portes vitrées, 20 ou 30 lycéens jouent sur un terrain flambant neuf. « Terrain local – Kfar Tapuah ». Je suis impressionnée.
Dans le bureau, je rencontre Revital, qui vient de Rosh Ha’ayin deux fois par semaine pour entraîner l’équipe féminine. Quelle est la particularité de cette équipe ? Revital réfléchit un moment. « La plupart des femmes du club n’ont jamais joué au basket-ball, mais aiment le jeu. J’ai dû commencer depuis le début avec elles ; elles ne connaissaient pas les bases. En général, la plupart des équipes passent une année à apprendre et pratiquer le sport avant de rejoindre une ligue. Mais ces femmes étaient déjà dans une ligue avant de connaître les règles du jeu. Nous apprenons au fur et à mesure », explique-t-elle. « Mais vous savez quoi », poursuit Revital, « j’aime leur attitude. J’ai entraîné un groupe d’adolescents qui ne se donnaient pas entièrement. Cette équipe-là a l’état d’esprit adéquat, maintenant les filles ont juste besoin d’apprendre à jouer. »

Une histoire de passion

Meir Brachya, le coordinateur du programme de sport en Samarie, se souvient des débuts. « Il y a deux ans, deux femmes de l’une des communautés de la région ont appelé et annoncé qu’elles voulaient lancer une équipe de basket-ball féminine. Nous avions déjà pensé à l’idée », confie-t-il. « Il était évident que si nous créions des équipes de compétition, nous inclurions des équipes féminines, et juste à ce moment, des femmes ont appelé et demandé à former une équipe ».

Et l’histoire de ce club féminin débute. « Nous avons commencé à constituer une équipe, que 30 femmes ont voulu rejoindre. La représentation de Tapuah n’avait pas encore pris forme. Nous avions alors la possibilité de louer un terrain à Ariel ou à Karnei Shomron. Celui de Karnei Shomron était malheureusement utilisé aux heures où nous avions besoin de jouer, nous avons donc décidé d’aller à Ariel sachant que nous passerions à Tapuah dès que le terrain serait prêt ». Pour Natalie Zacks, qui a fait son aliya depuis Detroit avec son mari et ses trois enfants pour s’installer à Ariel, l’idée d’une équipe dans sa ville était parfaite. Dans sa ville d’origine, elle organisait déjà des rencontres féminines. « Je n’ai jamais joué comme une fille », lance-t-elle. « Mais nous avons été invités à la fête d’anniversaire d’un ami et avons joué au “basket-ball en auto tamponneuse” ; et nous nous sommes éclatés ! J’ai donc décidé de poursuivre l’expérience du basket-ball », se souvient-elle. « J’ai appelé quelques amis et nous avons commencé à jouer chaque semaine. Cela a duré plusieurs années, jusqu’à notre aliya. J’ai seulement fait une pause quand mon fils est né ».
Lorsque la famille Zacks s’installe en Israël, elle tient à vivre au milieu d’Israéliens et d’anglophones, avec, bien sûr, une structure où pratiquer le basket. « Ariel était un excellent choix », assure Natalie. Elle organise alors un match entre femmes un soir par semaine, parfois deux. Quand son groupe entend parler de la ligue féminine, Natalie et quelques autres membres s’associent. « C’est un engagement fort », explique Zacks, « chacune doit venir aux entraînements et aux matchs, et prendre l’équipe au sérieux ».

La thérapie du basket

Parmi les joueuses de l’équipe : Efrat et sa fille Saraleh âgée de 15 ans. Une expérience constructive pour leur relation. « J’ai rejoint l’équipe pour ma fille », explique Efrat, qui n’avait jamais joué au basket-ball auparavant. Saraleh, elle, avait joué pendant des années dans des classes parascolaires pour filles, et quand elle avertit à sa mère de son désir de rejoindre le club, Efrat décide de la suivre. Les retombées seront surprenantes pour Efrat. Pour maintenir son endurance sur le terrain, elle commence à faire des exercices deux fois par semaine. « Au début, je devais demander à Revital de me remplacer au bout de cinq minutes sur le terrain. Maintenant, je peux jouer plus de la moitié d’un match sans me fatiguer. C’est un sentiment très satisfaisant ». Efrat remarque également qu’au niveau mental, elle a appris à gérer la pression. « Jouer en compétition crée beaucoup de stress », explique-t-elle. « Je me sentais responsable par rapport à l’équipe et je ne voulais pas faire perdre le match. J’ai appris à composer avec tout ça ».

Mais la récompense ultime est le lien particulier qu’elle a construit avec sa fille et d’autres membres de la famille. Comme avec ses plus jeunes enfants, stupéfaits de voir leur mère jouer au basket. Ils viennent l’encourager sur le terrain, et s’entraînent à dribbler et marquer des paniers à la maison. Même le mari d’Efrat participe, en donnant des conseils sur la façon de feinter les autres joueurs. « Mon implication dans le basket-ball a vraiment changé nos vies », confie-t-elle.
Pour Zacks, le basket s’est avéré être une source de réconfort inattendue : « Je suis rentrée d’un entraînement il y a quelques mois », se souvient-elle distinctement, « et mon frère m’a appelée des Etats-Unis pour m’annoncer que ma mère avait été diagnostiquée d’un cancer du cerveau. J’ai sauté dans un avion le soir même. Ma mère est décédée trois semaines plus tard ». Cet événement est si traumatisant que Zacks n’a alors plus envie de faire quoi que ce soit, et encore moins jouer au basket en compétition. « Je suis retournée au travail, mais je n’arrêtais pas d’y penser. La semaine suivante, je suis allée au stade, juste pour regarder ». Une semaine plus tard, elle sera de retour sur le terrain. « J’appelle ça ma “thérapie du basket-ball” », explique-t-elle, « l’activité fait circuler les bonnes hormones. Je ne pense pas à ce qui s’est passé pendant que je joue. Le basket m’a vraiment aidée à surmonter le traumatisme. »

Baisser les rideaux

Quant à Brachya, il avoue ne pas assister aux matchs. La plupart de ces femmes sont religieuses. Elles ont donc demandé à ce que les hommes ne participent pas aux jeux. « Lors des matchs à domicile, il n’y a pas d’hommes », confirme Brachya, mais « quand il s’agit d’un jeu à l’extérieur, nous avons le choix. Je les accepte totalement et les respecte pour ce qu’elles sont ».

Efrat et Shulamit (la seule grand-mère de l’équipe) s’accordent à dire que jouer en short, même long, a constitué un changement auquel il a fallu s’adapter. « Nous avons installé des rideaux sur les portes vitrées et les fenêtres », note Revital. « Il m’a fallu un certain temps pour les amener à s’entraîner sans jupes et couvre-chefs. Chacune joue comme bon lui semble. Les femmes mariées couvrent leurs cheveux et certains arbitres acceptent les jupes sur les shorts ».
Qu’en est-il des nouvelles recrues ? Revital explique que l’équipe compte déjà 17 membres. « Mais nous avons besoin de joueuses de grande taille », sourit Efrat. « J’ai remarqué une grande – et jolie – fille au supermarché ,alors je suis allée lui demander si elle vivait dans la région. Elle m’a dit qu’elle serait intéressée, mais pas maintenant ». « Obtiens son numéro de téléphone », conseille immédiatement Revital, qui fait remarquer que les équipes de Kfar Saba ou Petah Tikva arrivent parfois avec seulement cinq ou six joueuses. Les femmes de ces villes sont-elles moins motivées ? Revital répond ne pas vraiment savoir : « Ils ont plusieurs équipes dans chaque ville. Actuellement, nous sommes la seule équipe féminine de la région. Nous sommes au Centre, chaque personne qui veut jouer vient ici ». L’année prochaine, elle aimerait commencer une équipe féminine de lycéennes.

Une image en pleine métamorphose

Brachya et Doron Hallel, directeur du département des sports du Conseil régional de Samarie, sont ravis du résultat avec les équipes. « C’est une véritable révolution », déclare Brachya, se référant à l’intérêt pour les sports de compétition en Samarie. « Doron a commencé avec une équipe, et maintenant il y en a six ». Et le directeur du département des sports d’ajouter par ailleurs : « Si on inclut les différents niveaux d’âge et le volley-ball, nous avons 10 équipes de sport de compétition en Samarie ».

Le sport de compétition en général et le basket-ball en particulier, ont beaucoup apporté aux communautés de Samarie. « Toutes les équipes viennent », affirme Revital, « personne n’a jamais annulé un match par peur de venir. Les gens d’ici ont un bon état d’esprit ». Brachya confirme en expliquant que l’image des habitants de Samarie est en pleine métamorphose. « C’est moins unidimensionnel. Sur le terrain, nous sommes en mesure de rassembler les participants de différentes façons ». Les équipes masculines jouent en compétition contre des équipes arabes. Pour l’instant, il n’en est pas de même pour l’équipe féminine, pour la simple raison qu’il n’y a pas d’équipes féminines arabes dans la ligue régionale. Personne ne semble penser que jouer contre une équipe arabe soit problématique ou controversé. Le basket crée sa propre réalité. »
Alors que l’interview touche à sa fin, plusieurs femmes entrent dans le bureau. L’une d’elles vient d’avoir un bébé. Interrogées sur leurs enfants, les femmes sourient. Les plus grands viennent assister aux matchs, mais pour les petits, c’est une autre histoire : « Personne ne peut se concentrer si on s’inquiète pour son enfant de deux ans sur les gradins. Donc, la règle est que les petits ne viennent pas » conclut Revital.
L’équipe féminine rentre sur le terrain et les lycéens sortent à contrecœur avec leur entraîneur. Les femmes affichent les numéros de l’équipe imprimés sur leurs maillots. Certaines sont en pantalon, d’autres ne quittent pas leurs jupes. Zacks porte fièrement un T-shirt Superman et un bandana bleu. Le dernier lycéen à quitter le terrain ferme les rideaux derrière lui. Et les jupes tombent.
Elles démarrent en s’échauffant au rythme des coups de sifflet de Revital. L’équipe s’aligne pour faire des paniers. Efrat sourit, elle est la défenseuse de Saraleh. Coup de sifflet. Les femmes forment un cercle autour Revital alors qu’elle les divise en équipes. Les « blanches » marquent un panier, sous les acclamations de la défense. Les Samaritaines ont bel et bien trouvé leurs marques sur le terrain.