Rencontres en tous genres

Adieu marieurs et entremetteuses ! À l’heure de la romance hi-tech, du chat et des réseaux sociaux, trouver l’âme sœur a pris une tout autre allure.

P19 JFR 370 (photo credit: DR)
P19 JFR 370
(photo credit: DR)

« Vous venez ici souvent ? », la classique entrée en matière dudragueur, semble aujourd’hui dépassée. Une sous-culture avant-gardiste connuecomme l’industrie des virtuoses de la drague a vu le jour en Israël, notammentdans son sanctuaire des célibataires, Tel-Aviv.
Depuis les forums de discussion en ligne dans les années quatre-vingt-dix, oùles hommes inventent et échangent des techniques de séduction à succès, cettecommunauté plus ou moins secrète s’est propulsée sans complexe sur la scènepublique. Aujourd’hui, presque toutes les grandes villes ont une communauté devirtuoses de la drague, appelés « PUA » (Pick-Up Artists ou artistes piocheurs)chez les pros.
Près d’une décennie depuis le lancement de la première entreprise de séductiond’Israël « qui enseigne aux hommes toutes les ficelles de la drague », undomaine hautement compétitif a fait son apparition, pour aider les mâlesisraéliens à améliorer leurs compétences dans leur approche des femmes. Deséminaires en consultations, en passant par les camps d’entraînement intensifavec un coach en séduction, ces services peuvent coûter des milliers deshekels.
Avoir du succès auprès des femmes 
Nikolas Gershkovich, le fondateur du site DonJuan, estime qu’il y a aujourd’hui « un véritable problème de communicationentre les hommes et les femmes ». C’est pourquoi il a créé Don Juan, uneentreprise qui « enseigne la communication interpersonnelle et aide les hommesà développer et trouver l’amour et l’intimité. Le but est d’ouvrir une brèchepour réussir sa vie. » « Nous avons toute une variété de produits pour aiderles hommes à avoir du succès auprès des femmes », explique-t-il au cours d’unentretien qui se déroule dans un café pittoresque de Tel-Aviv. Il cite, entreautres, des ateliers sur le charisme, l’improvisation, la mode et le langage ducorps, ainsi que la formation personnelle avec des coaches en séduction.
Le slogan de Don Juan est « Votre gage de succès avec les femmes ». La plupartdes hommes viennent à l’école en raison de problèmes dans ce domaine. Maisséduire la gent féminine est seulement le « dérivé » d’un ensemble beaucoupplus vaste. « Lorsque nous recevons un client, nous considérons tous lesaspects de sa vie et travaillons ensemble à les améliorer.
Une fois leurs problèmes dans la vie résolus, la question de leurs rapportsavec les femmes se règle automatiquement. » « Pour garantir des résultats, nousdevons savoir à qui nous avons affaire », poursuit Gershkovich. « La premièrerencontre avec un client potentiel nous permet de voir s’il bénéficiera ou nonde notre approche. Si l’on voit que nous pouvons l’aider à atteindre sesobjectifs, nous l’intégrons au programme.
L’école dispose de huit instructeurs. Les cours durent trois à six mois, pourun coût variant de 3 000 à 6 000 shekels. Dix à vingt étudiants par mois s’inscriventaux programmes, qui allient la formation personnelle et des séancesindividuelles hebdomadaires, adaptées à la vie de chacun. « Si la personne aimefréquenter les bars, nous allons dans un bar. Si c’est un homme de quarante ansqui cherche à se marier, nous participons à des sessions de speed-dating ou desvoyages pour célibataires.
Comme une mitsva 
Sur « le terrain », que ce soit un bar, la plage, le centrecommercial ou partout où le client veut aller, l’instructeur aborde une femmeet entame une conversation, sous l’œil attentif de l’apprenti en séduction.Celui-ci s’y met à son tour, et quand il revient, ils examinent ensemble ledéroulement de la rencontre.
Gershkovich est très impliqué dans la communauté des esthètes de la drague àl’étranger. Il anime des ateliers aux Etats-Unis et ramène des conférenciers enIsraël pour parler de sujets tels que la confiance en soi, l’art de laséduction et les secrets du premier rendez-vous. Les conférences sont ouvertesau public, pour 50 shekels. Elles attirent des dizaines de personnes, dontaussi des femmes.
Bien que l’industrie soit « relativement jeune » et que les médias tentent «sans arrêt de la détruire » en présentant le phénomène sous une image trèsnégative, ce coach en séduction de 25 ans voit cela comme « une mitsva. Sans ledéveloppement de ce domaine, je serais probablement incapable de parler auxfilles aujourd’hui. Peut-être même jamais. » En réponse aux critiques quiaccusent les virtuoses de la drague de vouloir manipuler et utiliser les femmes,il affirme : « Les filles sont intelligentes. Je ne pense pas que de simplestrucs puissent les tromper. Quand un type dit quelque chose qui n’est pasauthentique ou véritable, elles le voient tout de suite. Nous enseignons destechniques comme par exemple “comment faire une bonne première impression”, cequi a à voir avec le langage corporel, le ton et l’état d’esprit de lapersonne, s’il est connecté avec lui-même. »
Séduction vs. manipulation 
Gershkovich n’est pas le seul à défendre sa « profession » contre lesconnotations quelque peu douteuses qu’évoque le monde de la drague. AlexZenevich du site Pickup Action, dont le slogan est « Succès en temps réel avecles femmes », déclare : « Drague et séduction ne sont pas synonymes demanipulation. C’est un travail beaucoup plus difficile. Nous construisons uneréalité intérieure pour le client [qui paie 4 400 shekels pour un cours de 16séances] et lui donnons les outils nécessaires pour acquérir toute confiance encette réalité ».
Selon le site, Pickup Action a été lancé en 2012 pour apporter « une solutionau besoin de plus en plus pressant, pour les hommes, d’améliorer leur existencedans le domaine des relations ». Qu’il s’agisse de problèmes d’insécurité oud’inexpérience, de personnes divorcées après des années de mariage qui sesentent coincés, ou tout simplement de ceux qui cherchent à développer leursaptitudes sociales, c’est toujours un processus difficile, explique Zenevich. «Nous vivons dans une société où nous sommes évalués à l’aune de nosréalisations. Aussi, même si l’on a du mal à faire face au sentiment de rejet,lorsque l’on essuie de nombreux refus, cela vous donne une grande forcementale. » Fondée en 2009, mySod (mon Secret) est une entreprise qui semblefuir la culture de la séduction. Elle se présente comme un « centre pourl’autonomisation et la promotion des compétences de communication pour leshommes. Son programme phare, « le Processus », a démarré il y a un an et demi,en coopération avec l’université Bar-Ilan, où son fondateur, Stas Segin, aterminé sa maîtrise en psychologie.
Quand le verre est plein… 
Segin, qui a donné des conférences, des séminaires etdes ateliers sur la façon d’aborder les femmes depuis 2005, « a changé l’ADN »de son enseignement. C’est ce qu’il explique lors d’un entretien dans sonbureau du quartier de la Bourse de Ramat Gan. « Nous sommes à la recherche d’unéquilibre. Autrefois, notre enseignement était basé sur l’extérieur de lapersonne : comment s’habiller, comment parler, que dire, que faire. A présent,nous nous efforçons de travailler sur l’intérieur, de sorte que le changementinterne conduise au changement externe. » Avant, l’objectif principal était desortir dans un bar et de parler à autant de femmes que possible, maintenant «nous préconisons une sortie avec un ami cher, tout en faisant fi du bar et detout ce qui l’entoure. En effet, quand une femme voit que vous vous intéressezvraiment à votre ami, cela augmente vos chances et ajoute à votre charme. »Pour tenter d’illustrer cette approche « plus globale », Segin utilise ungobelet en plastique comme symbole du « bien-être » de la personne. 
Avant cechangement conceptuel, « on apprenait que pour se sentir bien dans sa peau, ilfallait collectionner les femmes et les numéros de téléphone. Aujourd’hui, ilfaut d’abord remplir le verre », et pour illustrer ce nouveau concept, il versede l’eau dans un verre vide, par degrés. « Cela signifie remplir votre vie avecdes activités comme rencontrer des amis, faire de l’exercice et s’adonner à desloisirs « jusqu’à ce qu’il soit plein ». Au lieu de se nourrir et de prendre del’autre, comme c’est le cas avec les techniques de séduction traditionnelles,on apprend à donner. » Le cours, qui dure trois mois et coûte 2 200 shekels, «est tout un processus. Au terme du premier week-end, il y a des réunions toutesles deux semaines, et ensuite nous restons en contact avec les stagiaires »,explique Segin. « Nous leur donnons une perception différente de leur identité: apprendre simplement à s’apprécier soi-même. Quand on se sent mieux dans sapeau, les autres sont naturellement attirés vers nous. » 
Un clic qui peutchanger la vie 
Dans un mouvement témoin de l’ascension et de la chute denombreuses entreprises, des dizaines de coaches et de programmes de formationsont en lice pour rester sur le marché, d’autant plus qu’ils sont confrontés àla concurrence énorme de l’industrie de 3 milliards de dollars des rencontresen ligne.
Avec plus de 125 millions d’utilisateurs, 4 000 sites de rencontres à traversle monde, et une relation sur cinq qui, selon de récentes estimations, commencedans le cyberespace, les rencontres sur Internet sont devenues le deuxièmemoyen le plus populaire de trouver un compagnon, après les rencontres grâce àdes amis communs.
Depuis 1990, le nombre de couples qui font connaissance sur le Web est passé dezéro à plus de 20 % aujourd’hui. Spark Networks possède et exploite plus de 30communautés en ligne. Parmi lesquelles ChristianMingle et le premier site derencontres juives, JDate, qui compte 750 000 membres actifs à travers le monde« dont plus d’un tiers en Israël ». L’adhésion à JDate coûte 129 shekels parmois ou 69 shekels par mois pour un abonnement semestriel.
Daniella Perlstein de JDate Israël et Europe a commencé sa carrière en tant queconsultante en stratégie à New York, après avoir obtenu sa maîtrise àl’Université Columbia. Elle estime qu’il y a plus d’un million de célibatairesen quête d’amour en Israël. Une enquête spéciale menée l’an dernier par le sitede rencontres a établi que 80 % des célibataires en Israël sont à la recherched’une relation en ligne.
« Les gens se rencontrent en ligne », dit-elle, citant un autre sondage quimontre qu’un mariage sur trois, aux Etats-Unis, commence aujourd’hui surInternet. « Tous les aspects de la vie sont désormais en ligne : la banque, lesachats, le cinéma avec Netflix. Tout le monde s’y retrouve. Cela fait partie dela vie ».
Au début de l’année, elle a lancé un nouveau programme intitulé Jexperts : uneéquipe de spécialistes qui facilitent les rencontres via divers programmes.Pour 1 200 shekels, un styliste professionnel conseille, lors d’une séanceprivée, comment s’habiller pour un rendez-vous et améliorer son apparence. Uneséance photo avec un photographe professionnel coûte 290 shekels.
Et plus si affinités 
Tout le monde ne partage pas ce même enthousiasme. Pourceux dont le seul but est le mariage, Doo-Lev (Deux-Cœurs) est un service derencontres qui vise à unir les destinées. Depuis l’ouverture de son premier bureauà Beersheva en 1991, Doo-Lev a essaimé à travers le pays, à Jérusalem, Ashdodet, plus récemment, à Tel Aviv. Harella Ishai, qui dirige cet empire, acommencé à caser ses étudiants quand elle enseignait l’économie et lacomptabilité à l’Institut technologique de Beersheva.
« La demande a augmenté ces dernières années parce que les gens en ont marred’Internet », affirme-t-elle. Elle ajoute que beaucoup préfèrent s’adresser unepersonne en chair et en os plutôt que de confier leur avenir à un entremetteurvirtuel.
Chez Doo-Lev, « chaque client est examiné dans les moindres détails, et chaquedemande est passée au crible, à l’inverse de l’océan de propositions quipullulent sur le Web. J’envoie leur écriture à un graphologue pour analyserleur personnalité et voir avec qui ils pourraient être compatibles. Nousprenons en compte les passe-temps favoris, les traits de caractère et lesdonnées techniques comme l’éducation, le statut social et financier. Je demandeà chaque client ce qui est le plus important pour eux dans une relation, ce surquoi ils ne sont pas prêts à transiger et ce qui constitue le couple idéal.Avec ces données, je fais des recoupements avec les différents candidats pourvoir qui pourrait convenir. » Cependant, ce genre d’agence matrimonialetraditionnelle tient un peu du pari. Il en coûte la lourde somme de 10 000shekels, et si vous ne trouvez pas l’homme ou la femme de votre vie, vous enêtes pour vos frais. D’un autre côté, si vous vous mariez, c’est un doublegain. Vous repartez avec un conjoint et l’entreprise empoche encore 10 000shekels ! Par le passé, les clients de Doo-Lev étaient pour la plupartreligieux, mais au cours de la dernière décennie, l’agence a attiré un nombrecroissant de laïcs. « En fait, aujourd’hui, nous avons plus de clients laïquesque de clients religieux », explique Ishai. « Les gens sont surpris quand ilsentendent cela. Ils pensent que les entremetteurs sont le domaine exclusif desreligieux. » 
Un conseiller pour l’amour
Un phénomène apparu ces dernières annéestend à montrer que les candidats au mariage apparaissent de plus en plusdifficiles. « Quand je ne réussis pas à marier les gens, c’est en général parceque leurs attentes ne correspondent pas à la réalité », poursuit Ishai. « Ilsarrivent avec une liste d’exigences et chaque année, ces listes s’allongent etsont de plus en plus détaillées, ce qui les rend plus difficiles à satisfaire.Si, il y a dix ans, quelqu’un cherchait un compagnon aux cheveux clairs,aujourd’hui on vous demande des cheveux longs ou courts, raides ou bouclés.Elle appelle cela le « syndrome de la sélectivité en série » et met en gardecontre le risque de « passer à côté d’une relation parfaite pour une petitebêtise ».
L’âge du mariage en Israël est en forte hausse. Aujourd’hui, les célibatairesmasculins âgés de 25 à 29 ans représentent 65 % de la population, contre 28 %dans les années 1970. Le pourcentage de femmes célibataires dans ce grouped’âge atteint 46 %, contre seulement 13 % il y a près de 40 ans. Le Bureaucentral des statistiques constate également qu’en général, les couples mariéssont plus heureux que les célibataires.
C’est peut-être ce qui explique pourquoi les rencontres conventionnelles sonten perte de vitesse, au profit de moyens ultramodernes ou ultratraditionnelspour trouver l’âme sœur, à savoir, l’Internet ou un entremetteur juif.
« J’ai eu un jour comme client un célèbre joueur de football », raconte Ishai.« Il m’a confié que, tout comme il a un entraîneur, un agent et un conseillerfiscal, je suis son conseiller pour trouver l’amour. »