Le Hamas opte pour le modèle du Hezbollah

Le gouvernement d’unité nationale Hamas-Fatah pourrait aboutir à un parti politique armé jusqu’aux dents, qui finirait par faire de l’ombre au gouvernement central

Hamas (photo credit: REUTERS)
Hamas
(photo credit: REUTERS)
Le 2 juin, après des mois de pourparlers, le Hamas et le Fatah ont formé un gouvernement d’union nationale pour l’Autorité palestinienne (AP), et le Hamas a dissous son gouvernement dans la bande de Gaza.
La démarche est le fruit d’un long débat interne aux échelons les plus élevés des deux organisations, au sujet de leur future ligne de conduite. Désormais, les leaders du Hamas changent de direction : plutôt que d’adhérer à la stratégie d’il y a sept ans qui privilégiait le contrôle exclusif de « la Forteresse de Gaza », sans réduire la distance avec le Fatah en Judée-Samarie, ils veulent maintenant transplanter le modèle du Hezbollah libanais en Palestine.
Pour le Hamas, cela signifie intégrer un système politique plus général, tout en conservant l’indépendance de ses forces armées bien équipées, et maintenir son contrôle sur Gaza par une mainmise sur sa bureaucratie locale, son vaste réseau d’institutions sociales, ses 20 000 cadres militaires très bien entraînés et son personnel de sécurité. Depuis sa prise de pouvoir militaire en 2007, l’organisation a embauché plus de 50 000 employés pour le secteur public.
En même temps, le Hamas semble déterminé à exploiter l’accord de réconciliation pour ressusciter sa branche politique et ses activités terroristes clandestines en Judée-Samarie. Le Premier ministre sortant du Hamas, Ismaïl Haniyeh, décrit parfaitement la nouvelle formule : « Nous quittons le gouvernement, mais nous gardons le pouvoir… Nous renonçons à notre place mais pas à notre rôle. »
Le changement de stratégie du Hamas – du monopole du pouvoir à Gaza à un accord autorisant une présence de l’Autorité palestinienne, et des critiques acerbes du chef de l’AP Mahmoud Abbas à une coopération méfiante avec lui – résulte d’hésitations douloureuses parmi les leaders de l’organisation.
Ce questionnement interne est provoqué par plusieurs déconvenues récentes : la perte du régime ami des Frères musulmans en Egypte voisine, la fin de la fourniture d’armes par la péninsule du Sinaï, la réduction des aides financières de l’Iran et du Qatar, et la colère grandissante des habitants de Gaza face à l’augmentation du chômage, aux difficultés économiques et à la répression constante.
Avec la bénédiction de l’Iran
Pendant cette période désastreuse, les dirigeants du Hamas ont tenu plusieurs réunions en mai avec des officiels iraniens à Téhéran et des leaders du Hezbollah à Beyrouth. C’est là qu’on leur a conseillé d’adopter un plan plus ambitieux et de ne plus se contenter de défendre Gaza, mais de défier le Fatah sur son propre territoire de Judée-Samarie.
Le mode opératoire du Hezbollah au Liban – qu’on peut résumer par « add ballots to your bullets (ajoute des bulletins de vote à tes balles de mitraillette) » – leur a été présenté comme un modèle à suivre. Ainsi Téhéran a encouragé le premier accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Le 26 avril, la porte-parole du ministre des Affaires étrangères iranien a déclaré : « La République islamique d’Iran soutient la solidarité des organisations palestiniennes contre le régime sioniste, ainsi que toute sorte de réconciliation nationale qui entraînerait l’unité palestinienne ».
L’Iran avalise l’accord : cette déclaration en est un des nombreux signes. De même que le Hezbollah garde ses positions au Liban, les leaders du Hamas affirment dans leurs récentes déclarations que la branche armée de l’organisation – les brigades Izz al-Din al-Qassam – ne sera pas désarmée, ne passera pas sous le contrôle de l’AP, et continuera à se développer en tant que puissant mouvement de « résistance ».
Idem pour son appareil de renseignements et de sécurité. Le Hezbollah possède des forces armées largement supérieures à l’armée ou aux services secrets libanais, et le Hamas a l’intention de développer ses unités militaires indépendantes, qui sont déjà plus importantes et bien mieux équipées que les forces de sécurité nationales de l’AP.
Par exemple, les ateliers de Gaza continueront leur production de missiles M-75 – qui peuvent d’ores et déjà atteindre Tel-Aviv et Jérusalem – bien qu’Abbas ait accepté le principe d’un Etat palestinien démilitarisé.
Comme un parti politique
Le Hamas ne compte pas non plus démanteler ses organes de renseignements, qui lui permettent de garder le contrôle sur Gaza, exactement comme les forces du Hezbollah contrôlent le sud de Beyrouth, le sud du Liban et la vallée de la Bekaa.
Même si des unités de l’AP sont attendues à Gaza, leur rôle essentiel consistera à fournir la garde aux points de frontière avec l’Egypte et Israël. Cela ne modifiera en rien la situation sur le terrain.
Si le Hamas choisit d’adopter complètement le modèle du Hezbollah, il cherchera à infiltrer dès que possible toutes les institutions de l’AP, afin de les remplacer en partie. Pour l’instant, les leaders du Hamas ont accepté de n’avoir aucun ministre dans le cabinet semi-technocrate refondu du Premier ministre de l’AP Rami Hamdallah.
Le but réel de l’organisation n’est autre que les élections promises par Abbas pour dans six mois, et l’établissement d’un nouveau « Corps dirigeant » dans l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui comprendra pour la première fois des personnalités éminentes du Hamas et du Djihad palestinien islamique.
Comme le Hezbollah, le Hamas souhaite agir en tant que parti politique. Il est impatient de prendre part aux élections présidentielles, parlementaires et municipales, de recevoir une majorité ou tout au moins une bonne partie des votes, et de former le gouvernement ou devenir un partenaire de coalition.
Pour l’instant, les dirigeants du Hamas ne sont pas sûrs d’obtenir la présidence ou une majorité au Conseil législatif, surtout parce qu’Abbas a modifié les lois électorales après le succès du Hamas aux élections de 2006, de telle sorte qu’elles favorisent les candidats du Fatah. De plus, ils ont signalé leur ambition de remplacer des portefeuilles ministériels importants – comme l’a fait le Hezbollah au Liban – et d’influencer les motions parlementaires.
Le terrain laissé aux jeunes
L’accord de réconciliation a déjà permis à l’organisation d’obtenir des bénéfices significatifs. L’AP a silencieusement levé l’interdiction sur les activités politiques du Hamas en Judée-Samarie, et le mouvement a recommencé les réunions publiques et la propagande.
Ce retour du Hamas à des activités dévoilées affecte les organes de sécurité de l’AP. Malgré le maintien des ordres interdisant les activités terroristes, nombreux sont les officiers de rang intermédiaire et leurs subordonnés qui ne savent pas s’ils doivent intervenir et de quelle manière, lors des rassemblements du Hamas.
Par exemple, les lectures du Coran subventionnées par le Hamas couvrent souvent leur recrutement pour les cellules terroristes clandestines.
La résurgence du mouvement en Judée-Samarie est particulièrement marquée dans les camps de réfugiés aux abords des villes principales. Les forces de sécurité de l’AP se risquent rarement à pénétrer dans ces camps. Ils abandonnent le terrain aux jeunes qui s’organisent en milices légèrement armées capables de remplacer l’AP. Le Hamas sera certainement tenté de se lier à ces groupes, de les convertir à sa doctrine et de les soutenir financièrement ainsi que, si possible, de les fournir en meilleures armes.
Ce que le Hamas convoite, c’est de remplacer l’OLP en tant que « seul représentant du peuple palestinien », et entité en charge de négocier avec Israël. Si le leader du Hamas Khaled Mashaal est amené un jour à succéder à Abbas à la tête de l’OLP, il devra décider, entre autres, s’il désavoue les accords d’Oslo.
C’est pour cela que les vieux officiels du Hamas n’ont pas évoqué ce dilemme potentiel en public : il y a encore tant d’obstacles à surmonter jusqu’à ce que le mouvement se joigne à l’OLP, à plus forte raison pour en prendre le contrôle.
Pour l’heure, notons que le Hamas n’a pas protesté trop fort lorsqu’Abbas a affirmé que le nouveau gouvernement d’unité reconnaîtra Israël et soutiendra la solution à deux Etats, malgré l’insistance du mouvement à déclarer qu’aucune plate-forme politique n’avait été adoptée dans l’accord d’unité.
L’émergence du modèle du Hezbollah dans l’Autorité palestinienne constitue une menace majeure pour toute tentative de reprendre des négociations sérieuses avec Israël. Si le calendrier électoral et la période de transition sont respectés, le Hamas pourrait se retrouver l’an prochain avec une force armée et un agenda terroriste intacts, et de plus une implantation solide en Judée-Samarie. Il obtiendrait aussi au moins la possibilité de s’exprimer lors des prises de décision de l’AP et de l’OLP – si ce n’est un droit de veto.
Dans ce cas, une nouvelle réalité prendrait place dans les territoires palestiniens, celle d’un parti politique armé jusqu’aux dents qui finirait par faire de l’ombre au gouvernement central et remplacerait de nombreuses institutions.
Les pays occidentaux, si prompts à soutenir la réconciliation Hamas-Fatah, devraient faire attention à ce qui se passe ici dans la réalité : au lieu de voir le Fatah regagner ses « provinces du sud » à Gaza, c’est le Hamas qui récupère les « provinces du nord » de Judée-Samarie.
D’après ce contexte, l’opération israélienne de laminoir contre les dirigeants et les agents du Hamas en Judée-Samarie, à la suite de l’enlèvement à la mi-juin de trois jeunes étudiants de yeshiva, a des implications stratégiques sur le long terme. Elle pourrait saper le modèle Hezbollah du Hamas, tout en renforçant l’emprise du Fatah en Judée-Samarie, avec tout ce que cela implique dans la perspective d’un futur modus vivendi israélo-palestinien. 
Ehud Yaari est membre de Lafer International de l’Institut de Washington pour la politique proche-orientale et spécialiste pour le Moyen-Orient à la deuxième chaîne israélienne.
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