Bas les masques !

Oyez, oyez, brave gens, voici un défilé de Pourim pas comme les autres. Cette année, assistez à la grande parade politique

purim (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
Pourim approche. Tout le monde, en particulier les enfants, prépare son déguisement. C’est à qui sera en personnage de la Méguila, icône culturelle, politicien ou tout ce qui peut sortir de l’imagination et de l’industrie du déguisement. Mais en Israël, un groupe d’individus fêtent Pourim toute l’année. Des hommes et des femmes qui passent la plupart de leur temps à la Knesset, où ils expriment leurs opinions, ou plutôt les opinions qui plairont le mieux à leur cour. Et quand arrive le vrai Pourim, ils participent à une parade annuelle (Adloyada), déguisés à souhait pour glaner le plus d’applaudissements d’une foule qui les dévisage.
La plupart de nos dirigeants et représentants ont de longtemps renoncé à penser à ce qui convient le mieux au bien-être, à la prospérité et à la sécurité du pays. De temps en temps, ils sortent la tête de la cafétéria de la Knesset pour vérifier dans quelle direction les vents de leur circonscription soufflent et écoutent attentivement les paroles des grands prophètes de la politique moderne de l’Etat - Mina Zemach, Kamil Fuchs, etc. Bref, ils se laissent guider, au lieu de guider.
Avec le temps, leurs masques deviennent une seconde nature, jusqu’à remplacer peu à peu leur vrai visage.
Alors, amusons-nous à les démasquer.
En tête de cette parade politique Adloyada, en lieu et place de Mordechaï Hayehoudi, voici Binyamin Netanyahou, dans ses beaux habits de parrain. Il est intime avec les milliardaires du pays, tout en déclamant un discours populiste à la Trajtenberg au bas peuple. Monsieur Guerre quand il s’agit de menacer l’Iran, et Monsieur Paix en visite au Bureau ovale. Il porte un shtreimel pour s’adresser à ses partenaires haredis et se transforme en farouche laïc libéral lorsqu’il modifie la loi Tal. Il excelle à être tout pour tout le monde, et distribue à tout va des offres qui ne peuvent être refusées. C’est évidemment lui qui recueille les plus forts applaudissements du public.
A ses côtés, défile Tzipi Livni, pas Esther Hamalka, non, mais plutôt une sorte de caméléon, qui change d’allure plus vite qu’il ne faut pour le dire, un jour adversaire loyale, s’inclinant devant “l’intérêt national” ; le lendemain féroce chef de l’opposition, qui s’en prend au gouvernement sans vergogne. Elle se colle à l’establishment quand il est critiqué par le monde, et s’élève contre lui lors des conflits internes.
Près d’elle, une autre “Esther” à la couronne toute neuve, Shelly Yachimovich. Vêtue de rouge pourpre lorsqu’elle s’exprime sur les questions sociales, surfant sur la vague du mouvement de protestation, elle vire immédiatement au bleu et blanc vif, balbutiant sa quasi-inexistante doctrine de paix.
En rang, deux par deux Et puis, accueillons cette année un nouveau venu dans la marche, Yaïr Lapid, sur son trente et un, gel dans les cheveux, un vrai Monsieur Consensus. Un ami, proche même, des plus riches parmi les riches, et un allié de la classe moyenne, un laïc libéraldémocrate, au maniérisme quasiroyal.
En faveur de la paix, mais sous des conditions impossibles.
Si vous voulez savoir ce que 60 % des Israéliens pensent, ou du moins ce que Lapid pense qu’ils pensent, il suffit de l’écouter, ou de garder les yeux sur son déguisement consensuel.
De l’autre côté de la rue, parade Eli Yishaï, déguisé en Arieh Deri pour plaire à son patron, exprimant sa préoccupation pour les pauvres et nécessiteux, sans cesser de rafler tout ce qu’il peut du Trésor, à l’intention unique de son parti Shas.
Avec eux, en guise d’invité, le Dr Ahmed Tibi, plus catholique que le pape, ou plutôt plus palestinien que l’OLP. Celui-ci exprime avec éloquence les positions palestiniennes, que ce soit à Ramallah ou à Gaza, plutôt que de se préoccuper des besoins socio-économiques de ses électeurs au sein d’Israël.
Au-dessus de tous, dans un survol spectaculaire, nous apercevons Ehoud Barak, dans un F-15, le général de l’aviation, prêt à bombarder l’Iran et si cela ne tenait qu’à lui, tout autre ennemi d’Israël.
Enfin, en queue de la marche, comme s’il était sur la Place Rouge, Avigdor Lieberman. C’est le seul qui n’est pas déguisé - avec lui, ce que vous voyez et entendez, c’est ce que vous aurez - racisme juif, aux penchants totalitaires, appelant à une législation pour délégitimer la Haute Cour de Justice, la minorité arabe et toute la gauche israélienne.
Et au loin, un homme seul, qui n’est pas apparent mais semble pourtant aux manettes du spectacle : le Pr Yaacov Neeman, transparent, et malgré tout très présent, non comme un ami de la Haute Cour, mais comme ami des colons, et conseiller de Bibi.
Les dés sont-ils pipés ? Mais laissons la parade Adloyada poursuivre sa route et penchons-nous plutôt sur ce pays à la croisée des chemins, entre guerre et paix, entre stabilité socio-économique et justice, effondrement économique et corruption, entre démocratie dynamique et système populiste dirigé par un chef de file “fort” au détriment des droits civils ; entre les menaces nucléaires et l’opportunité d’une coalition internationale ; entre membre de la famille des nations et Etat paria, critiqué et boycotté.
Dans des moments pareils, Israël a besoin d’un leadership politique qui dit la vérité au peuple et présente les choix réels.
Un leadership courageux qui prend des décisions difficiles, pour le bien du pays, loin du souci de popularité de politiciens médiocres.
Pour ce faire, nos dirigeants doivent ôter leurs masques, être honnêtes et trancher. Mais cette génération de politiciens en estelle capable ? J’ai de sérieux doutes. Leurs ancêtres idéalistes et pères fondateurs de l’Etat avaient les qualités requises ; leurs enfants, la jeune génération, que nous avons vue l’été dernier descendre dans les rues d’Israël, pourraient les avoir et méritent qu’on leur donne une chance.
Les Bibis, les Ehoud, Shellys etc., continueront probablement à se cacher derrière leur déguisement.
La Meguilat Esther se termine bien pour les Juifs. Pour qu’il en soit de même pour Israël aujourd’hui, nos dirigeants doivent rester fidèles à une autre Meguila, la Meguilat Haatsmaout.
L’auteur est président du Centre Peres pour la Paix et était négociateur israélien dans les Accords d’Oslo.